Huit jours dans les glaciers de l’Oisans (2-7)

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Vallée de Saint-Christophe en Oisans, Eugène Charpenay, Collection Musée Dauphinois.

HUIT JOURS DANS LES GLACIERS DE L’OISANS
Les tribulations de huit intrépides aventurières et aventuriers sur un glacier de l’Oisans quelque part dans le massif des Écrins…

Source Gallica : Revue « Les Alpes Illustrées, publications du 29 juin 1893, No 24 au 10 août 1893, No 30

L’OISANS ET LA BÉRARDE
HUIT JOURS DANS LES GLACIERS – 1/7 – 2/7

De loin, nous apercevions sur le chemin un monsieur, vêtu d’un grand pardessus qui lui battait les talons, et coiffé d’un magnifique chapeau. C’est notre hôte, vrai type de « père noble », qui nous attend avec impatience. La poule au pot va être trop cuite, le poulet rôti se dessèche, les truites réclament la friture, la cuisinière se fâche, et M. Giraud, ne nous voyant pas arriver, croit que son dîner va lui rester pour compte.

Nous voilà ! tout est sauvé ! Il nous reçoit à bras ouverts, et nous nous précipitons à table, disant sans regret adieu à la voiture de M. Michel, et souhaitant de n’avoir pas le plaisir de le revoir.
M. Giraud nous sert lui-même, sans quitter son pardessus ni son chapeau, bien entendu.
Je vous recommande sa maison hospitalière : elle fait heureusement oublier celle des Michel et des Turc. Il a depuis peu fait aménager quelques chambres où les touristes trouveront un gîte confortable, lorsqu’ils iront visiter le lac Gravitel (sic), le massif de la Muselle et ses glaciers, et même lorsqu’ils voudront aller au Mont de Lans.
Pendant que nous déjeunons, on prépare le mulet qui doit porter les bagages et les appareils de Charpenay. Nous nous plaisons à faire causer notre hôte, pour voir s’animer sa bonne figure de saint d’église de village. Nous lui demandons s’il y a beaucoup de monde à la Bérarde. D’après lui, il ne doit y avoir qu’une vieille Anglaise, si tant est quelle y soit arrivée, ce dont il doute, bien qu’elle ait quitté son hôtel, la veille, vers quatre heures du soir.
« Mais, ajoute M. Giraud, je me connais en marcheurs, et je me suis dit qu’elle n’arriverait jamais, quand je l’ai vue se mettre en route, et marcher… marcher… » — et ses bras levés s’agitent dans le vide, à la poursuite d’un terme de comparaison qui ne vient pas — « comme une grue » s’écrie-t-il enfin ! Devant cette conclusion inattendue, nous éclatons tous de rire… parce que nous avons l’esprit mal fait, sans doute.
Mais nous ne pouvons pas causer indéfiniment avec notre hôte, et nous aussi nous nous mettons en route, nous appliquant à ne pas marcher… comme la vieille Anglaise. Charpenay s’installe sur un second mulet, qui doit les porter alternativement, sa femme [et] lui. Nous saisissons nos bâtons qui vont devenir nos amis inséparables ; et, disant adieu à Bourg-d’Arud et à M. Giraud, je me mets à la tête de la bande, prenant mon pas de vieux mulet de montagne, pour régler celui des autres. Nous défilions ainsi en bon ordre, non sans ajouter par nos costumes au pittoresque du paysage.
En sortant de Bourg-d’Arud, nous suivons pendant deux kilomètres un chemin carrossable, jusqu’au pont, jeté sur le Vénéon. Ce commencement de chemin est dû à l’initiative de mon pauvre ami Cendre, ancien président de notre section, mort dernièrement à Moscou, où il était allé remplir une mission que lui avait confiée le Gouvernement. Je ne puis parler de cette région, sans payer mon tribut de regrets à ce brave ami, qui a tant aimé notre pays et qui a tant fait pour lui.

À partir du pont « Cendre » — nom que je prierai mes amis de vouloir bien lui donner dorénavant —, il n’y a plus qu’un chemin muletier qui longe le plan du lacet avant de s’élever dans le clapier de Saint-Christophe.
Dès qu’on a dépassé ce clapier, le chemin redescend vers le ruisseau du Diable, qu’il franchit au moyen d’un pont des plus pittoresques, au-dessous duquel l’eau se précipite en cascades.
Peu après le Pont du Diable, on arrive à Saint-Christophe. Cette commune, une des plus étendues de France, est un de nos principaux centres d’excursions et compte de nombreux hameaux, dont ceux des Étages et de la Bérarde sont les principaux.

Au-dessus de Saint-Christophe s’élève le Jandry, dont la cime mérite l’attention toute spéciale des touristes, à cause du magnifique panorama qui se déroule autour d’elle, et qui dédommage amplement des fatigues de l’ascension.
Nous la réservons pour une autre fois, et, sans même traverser le village de Saint-Christophe que nous longeons « extra muros », nous continuons notre route, laissant sur notre gauche l’Aiguille du Plat.
À ce moment, nous avions déjà gagné une grande avance sur les mulets, que nous apercevions dans le lointain, bien au-dessous de nous. Charpenay se prélassant sur l’un des deux. Ils deviennent si petits que nous ne cherchons plus à les voir, car, du reste, la vallée de la Mariande, affluent du Vénéon, attire nos regards et s’impose à notre admiration.
Nous voici arrivés au hameau de Champhorent, bâti au pied de la tête de Marsare. Ce hameau marque le point culminant de notre étape. En face de nous apparaissent, pour la première fois, dorées par le soleil couchant, les blanches cimes de la Barre des Écrins : elles sont saluées par des cris d’admiration. La Barre des Écrins, dont le plus haut sommet atteint 4,108 mètres d’altitude, est le pic géant du Pelvoux, autour duquel nous allons évoluer les jours suivants.
Depuis Champhorent, le sentier se rapproche du lit du Vénéon en suivant une pente assez rapide. Mais nous nous arrêtons bientôt pour contempler sur notre droite la vallée de la Lavey, couronnée par les glaciers de la Muande et des Sellettes.
En cet endroit, la vallée du Vénéon, que nous remontons toujours, s’infléchit vers la gauche. Malheureusement, le jour baisse ; mes compagnons ne s’en plaignent pas, car, si leurs yeux perdent quelques-unes des beautés du paysage, leur imagination la peuple, en revanche, d’êtres fantastiques qui les enchantent. C’est ainsi que le contour de certains rocs noyés déjà dans la brume deviennent tour à tour pour eux des chamois et même un ours ; mais l’obscurité croissante nous oblige à presser le pas et à interrompre nos recherches fantaisistes. Nous arrivons bientôt à des chaumières que tout mon monde salue d’un joyeux hourra, croyant toucher enfin à la Bérarde. La déception ne se fait pas attendre et ma carte, consultée aux derniers reflets du jour, nous apprend que nous sommes au hameau des Étages, c’est-à-dire à trois quarts d’heure de marche de la Bérarde.

Le hameau des Étages est dominé par les cimes des Rouïes et de Clochatel qui attirent justement les touristes et méritent de les arrêter assez longtemps dans cette région.
Nous sortions des Étages quand nous fûmes rejoints par un homme — je devrais plutôt dire par un nain ! — qui courait après nous, désolé de nous voir marcher si vite. C’était le facteur de la Bérarde, auquel on avait recommandé de presser le pas pour annoncer notre arrivée. Mais le pauvre homme qui fait toute l’année ce dur service ne pensait pas avoir affaire à d’aussi intrépides marcheurs et, malgré tous ses efforts, nous arrivâmes en même temps que lui à la Bérarde. Il était sept heures ; nous n’avions mis que quatre heures et demie pour venir de Bourg-d’Arud et les mulets qui portaient Charpenay et les bagages n’arrivèrent qu’une heure plus tard. Il était temps, car déjà les cris : « Oh ! que j’ai faim ! » recommençaient à se faire entendre.
De très bons lits nous attendaient, et le lendemain, à six heures du matin, on se serait cru dans le palais de la Belle au bois dormant, si je n’avais fait secouer toutes les portes.

Aussitôt levée, Mme Georgé — réclama la poste où elle avait recommandé à sa sœur de lui écrire bureau restant. Quelle ne fut pas sa surprise devoir que la Bérarde, dont elle entendait tant parler depuis deux jours, n’était qu’un pauvre hameau composé de trois ou quatre masures, parmi lesquelles, jusqu’en 1885, la maison Rodier, qui était alors la plus louable, servait d’auberge.
Depuis 1885, la Société des Touristes du Dauphiné, aidée de la Compagnie P.L.M. qui lui accorda une subvention considérable, a fait construire le chalet-hôtel où nous étions logés.
Cet hôtel, situé au centre du massif du Pelvoux, est à proximité de toutes les belles ascensions qui peuvent, sans fatigue, se faire dans la journée. Les Anglais et les Allemands l’envahissent ; seuls, les Français en connaissent à peine l’existence. Il contient une vingtaine de très bons lits ; on y est en outre bien nourri et fort proprement servi. M. Tairaz, le gérant du chalet est un homme prévenant qui connaît très bien son métier de maître d’hôtel. Les voyageurs qui veulent d’avance limiter leurs dépenses n’ont qu’à demander le tarif établi par la Société des Touristes. Le service des guides et des porteurs, très bien organisé, offre toute sécurité et, de puis un an, un bâtiment spécial attenant à l’hôtel leur est affecté. Une petite chapelle construite par les Chartreux complète la physionomie de la Bérarde.

Saint-Romme.
À suivre…

 

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