La mort du curé des cimes

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L’abbé FABRY, chef de bataillon, curé des cimes

LA MORT D’ANTOINE FABRY, CURÉ DES HAUTES CIMES
Source :  Petit Dauphinois édition du Mardi 28 novembre 1939

Le lieutenant-colonel Antoine Fabry,
curé des hautes cimes vient de mourir,
avec ce noble prêtre disparaît une belle figure de soldat

Autres articles sur les curés de montagnes : 
-Les paroisses de l’Oisans durant la 1re Guerre Mondiale
– Les tribulations d’un prêtre réfractaire en Oisans

Bourg-d’Oisans, 27 novembre,
— La montagne vient de perdre son curé. On le pleure dans le canton, mais aussi dans tous les villages « d’en haut », car le glas a sonné du Bourg à la Bérarde, de la Bérarde à Huez, à St-Christophe, de Mizoën, à Besse et jusqu’à Villar d’Arène…, dans toute cette rude terre de légende de l’Oisans où l’on moissonne une fois sur deux le seigle vert sous la neige.
Le bon curé est mort.

On a porté la nouvelle de porte en porte, et de la bourgeoise demeure au toit de chaume, ce fut un rude coup, comme on dit ! Car le curé de Bourg-d’Oisans, l’archiprêtre Antoine Fabry, était mieux encore qu’un pasteur vénéré, c’était un exemple, un héros simple et grand, timide de ses vertus et de sa gloire qu’il cachait, sans même le savoir, dans l’accomplissement d’une fervente mission. C’est sous la tunique de lieutenant-colonel que le prêtre de l’humble diocèse trouva la mort : il avait, cinquante ans à peine. Il était parti en 1914 avec le grade de sergent ; quelques mois plus tard, alors qu’une action d’éclat lui avait donné l’une des premières Croix de guerre de l’armée, il se battait en Champagne à la tête de sa compagnie de chasseurs et portail le drapeau glorieux des Diables-bleu. Rude, mais terrible honneur que celui-là…

Sans passer par d’autre école que celle du front, sans avoir été évacué un seul jour, sans avoir reçu une seule égratignure malgré tous les combats essuyés, l’armistice le redonna à ses fidèles. Le commandant Fabry devenait à nouveau l’abbé Fabry.

Près de la Croix de guerre, qui d’année en année de bravoure s’était constellée d’étoiles, la croix empourprait le dolman (veste uniforme). En septembre dernier, le soldat rejoignait son poste, chef d’état-major d’un très glorieux régiment alpin, cantonnant à 2 600 mètres d’altitude. Les hommes, des réservistes surpris par l’âpre rigueur des cimes, trouvèrent en leur chef un montagnard averti, mieux encore : un ami, le dévouement de l’officier fut sans borne, il ne consentit à se reposer que lorsque tout son régiment eut un bivouac organisé ; pendant huit jours il ne se coucha pas, dormant une heure sur ses cartes.
C’est là que le mal le saisit.

Le soldat demanda la faveur de n’être point hospitalisé. Sentant la gravité extrême de son état, il pria son général de lui laisser la joie de mourir à l’ombre de son clocher, sous les crêtes orgueilleuses de Combe-Longe, dans le presbytère baigné dans les grandes branches rousses des tilleuls. Il s’éteignit à sa table de travail, une plume à la main. Une lettre était commencée : 

« Mon colonel, chaque jour qui passe m’est plus triste sans mon beau régiment, je voudrais… »

Dans la chambre silencieuse, de l’autre côté d’une immense cheminée à l’auvent de bronze, semé de fleurs de lys et portant la date 1746, sous le plafond bas, l’archiprêtre de l’Oisans repose. Tous les curés de la montagne, « son escouade », comme il disait, descendus par les sentiers de chèvre ou par les chemins de neige, veillent et prient, leur béret alpin dans les mains jointes. L’abbé Barnier, curé de Saint-Christophe et de la Bérarde, celui qui chaque jour d’hiver déchausse ses skis pour dire sa messe ; l’abbé Lemaire, curé d’Oris [sic], lieutenant de chasseurs alpins, le filleul légionnaire du héros défunt, pleurent doucement au pied du lit de bois. Et dans le bourg, les gens se rappellent le dernier sacerdoce du prêtre aimé.
Il alla par un mètre de neige, au Villard, à 13 km. de sa cure, au cours d’une terrible nuit, porter le dernier réconfort au père Ravaud mourant, dans sa cabane perdue là-haut, dans l’ancienne faille des orpailleurs, rien qu’avec sa canne ferrée, sa lanterne et son chien, disant en riant à son vicaire s’offrant avec insistance pour cette sainte et dure besogne :
— Les marches de nuit, c’est fait pour les curés et les chasseurs alpins !… Et moi je suis l’un et l’autre !…

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