Le Haut pays d’Oisans par Paul Beylier

LE HAUT PAYS D’OISANS
par Paul BEYLIER
Un très beau texte publié dans « La Montagne et Alpinisme. Numéro de juin 1963.

On ne semble pas bien fixé sur l’origine du nom Oisans. D’après le géographe André Allix, élève de Raoul Blanchard, Pline dans ses écrits mentionne une peuplade : les « Ucenni ». Le mot se rapproche assez bien de Uissans qui désigne encore parfois de nos jours les habitants de ce pays si particulier, si attachant.
Uissans a-t-il été latinisé en Ucenni ou Ucenni est-il devenu Uissans? Devant cette incertitude, cette petite querelle, j’ai décidé tout seul que « Oisans » était la traduction dans un langage, hélas perdu, de « Paradis ». Car c’est un paradis ! Paradis des alpinistes et skieurs, bien sûr, mais aussi des géographes, géologues, botanistes, chasseurs, etc.
Paradis, surtout et longtemps encore, du modeste touriste qui, recherchant la beauté dans le calme et la solitude, veut fuir le monde trépidant des villes, monde dont il est hélas ! de plus en plus difficile de se détacher.
C’est un paradis bien défendu puisque l’unique voie d’accès remontant le cours d’impétueux torrents se faufile péniblement dans des gorges sauvages et se heurte à des portes étroites. Mais ce n’est pas saint Pierre qui est au suprême guichet, c’est Saint-Christophe. À une certaine époque, pas tellement lointaine, c était un bout du monde et Saint-Christophe ouvrait la porte à l’élu, lui accordant sa protection tant la suite était incertaine. On croit voir l’origine du nom de ce village par la nécessité d’invoquer le grand saint pour poursuivre au-delà une entreprise jugée téméraire. Et cependant le courageux élu, à sa surprise, entrait dans un monde enchanté, dans le monde des fées. Le paradis commençait et c’est encore vrai de nos jours.
Pour un géographe, l’Oisans est clairement exprimé par l’ensemble du bassin versant de la Haute Romanche et de son affluent principal le Vénéon. Par contre, pour l’alpiniste qui, déjà sur la carte, veut toucher du doigt, c’est sensiblement le polygone irrégulier formé par les sommets : Meije, Agneaux, Écrins, Ailefroide, Bans, pic d’Olan, Tête de Lauranoure, Rateau. Dans ce polygone l’alpiniste trouvera sa mesure dans un ensemble de courses qui suffiraient largement à remplir une vie.
C’est bien un paradis enfin puisque cette « grande dame » : les Eaux et forêts, a choisi la frontière du haut pays d’Oisans pour délimiter une zone dite Parc National du Pelvoux ou, plus justement, Réserve Naturelle du Pelvoux. Cette réserve couvre une surface de 13 500 hectares dans laquelle la nature continue son évolution sans contrainte, sans obligation et sans rien devoir ni demander à l’homme : arbres, arbustes, fleurs, faune, se perpétueront toujours librement. Demain sera comme hier et l’avenir comme le passé. La « grande dame » a, il est vrai, dans sa hiérarchie, la fonction de conservateur.
Elle se justifie dans son oeuvre.
Mais quel dommage que l’homme, à l’image de la faune et de la flore, ne puisse aussi s’y conserver !
Quelle misère que notre court passage terrestre vis-à-vis d’un monde minéral éternel ! Quelle tristesse de ne plus jamais voir la haute et droite stature d’un guide comme Devouassoud, disparu il y a un an, fils du célèbre Gaspard, vainqueur de la Meije… Quel bel homme ! Quelle prestance avec ses yeux clairs, ses fortes moustaches à la gauloise retenant si bien le givre ! Qui pourrait nous rendre la frêle silhouette d’un Casimir Rodier, timide, effacé, autre guide de l’époque, l’homme aux 150 Meije ? Heureux ceux qui les ont connus, ils les auront toujours dans le « parc », dans la « réserve » de leurs souvenirs.

Aiguille du Plat de la Selle Oisans, 1910-1914. Autochrome stéréoscopique 6 x 13 cm. Coll. Henri Bussillet, source Musée dauphinois

Leur costume de guide était semblable, à peu de chose près : pantalons longs et lourde veste en Bonneval gris-brun — couleur de rocher, leur monde — courtes molletières pour bien fermer la chaussure. Un béret bien coiffant et, pour la tourmente, un passe-montagne. Et je vous prie de croire qu’avec ces rudes hommes, on les passait les montagnes ! De fortes chaussures cousues mains, cuirassées d’ailes de mouche. On cramponnait peu en Oisans et la broche à glace était inconnue, mais on pouvait tailler des heures avec un piolet fait de matières généreuses. Le long manche facilitait la ramasse et permettait également de taquiner la marmotte au fond de son trou.
Mais l’Oisans vit sa vie et, à La Bérarde comme à Chamonix, la jeune génération des guides n’est pas dépourvue d’allure. Chandails et anoraks aux vives couleurs, bas et lacets rouges, bonnet coquin.
À cet aspect nullement critiquable, il faut ajouter une technique très sûre, car il n’est pas si facile d’être actuellement classé guide.
De nos jours, pour atteindre La Bérarde, Mecque des alpinistes de l’Oisans, peccadille ! Une route peu large, mais convenable, avec garages de croisement judicieusement placés, permet des horaires très satisfaisants.
Par contre, qui se souvient des lacets de Saint-Christophe s’offrant aux véhicules d’avant 1914 ? Les voitures présentaient quelques insuffisances, ne braquaient pas et chaque virage devait être pris en plusieurs fois. Tous les disponibles mettaient prestement pied à terre, sans se faire prier, soi-disant… pour alléger… pour pousser… ou pour chercher la grosse pierre à usage de cale. En réalité, par « frousse ». Les « stops » ! qui limitaient le recul, se succédaient, le plus souvent par paires et le second d’un ton plus élevé. Le monstre crachant la vapeur aurait fait bien plaisir à l’ingénieur Serpollet.
On arrivait enfin au village. Devant l’église, c’était le havre ! Mais, chose curieuse, le moteur qui avait calé plusieurs fois aux derniers virages, pris alors de frénésie, prétendait ne plus s’arrêter, contact coupé. Le visage du conducteur à nouveau se contractait, son œil s’arrondissait. L’auto-allumage était à l’origine de cette facétie (encore un mot que le progrès aura fait disparaître !). Après quelques hoquets, un ultime tressautement, c’était la paix entre l’homme et la machine. Le conducteur, menton haut, un peu suffisant, s’épongeait le front d’un geste large et avec le même mouchoir extirpait prudemment le bouchon du radiateur.
« En arrière les enfants » ! Ces derniers n’avaient pas droit au gros plan du geyser et aux ultimes borborygmes vaporeux. Puis, comme il fallait que « çà » refroidisse avant de remettre de l’eau, c’était la traditionnelle visite au cimetière (il perd beaucoup de visiteurs avec la voiture moderne), et l’apéritif chez Turc (réclame gratuite, car ils s’appelaient et s’appellent encore tous Turc). On pouvait cependant encore rouler jusqu’à Champhorent, mais c’était vraiment le bout du monde, et c’était aussi l’heure du déjeuner sur l’herbe. Que tout cela est vieillot, mais fleure bon le souvenir !
C’est en 1921 que la route a été prolongée jusqu’à La Bérarde. Elle a été progressivement très améliorée, mais au début elle impressionnait fort le voyageur. On se défendait de parler au conducteur et les cris apeurés, au droit des impressionnants à-pics, étaient stoppés par un « chut » discret ponctué d’un coup de coude dans le flanc provocateur.

La Bérarde ! Sans caractère, hormis la minuscule église joliment faite avec le granit du pays. Les vieux toits de chaume ont presque disparu, remplacés, hélas ! par là triste grisaille de la tôle ondulée.
Combien il est à déplorer que ce pays d’Oisans qui possède une richesse minérale extraordinaire n’ait pas fourni à nos constructeurs ces « lauzes », pierres très plates de grande surface, qui font le charme et la beauté des toitures des hautes vallées italiennes.
A La Bérarde, c’est alors vraiment le bout du monde pour la voiture. Les jours de « grand beau » les cars réguliers, arrivant à leur terme, accouchent sur la place minuscule. Le touriste pittoresque et polychrome en descend.
Il y a toujours un Béotien, le plus souvent à l’image du héros du dessinateur Jean Bellus, chemise largement ouverte, short et le kodak bien posé sur l’étagère de l’abdomen.
Il fait lentement un tour d’horizon, déçu. Il renifle, le nez froncé pointé vers les sommets qui l’entourent. Il tourne en rond. Il semble chercher quelque chose : un fil, un câble, peut-être un téléphérique ! Insatisfait, désappointé, il va consulter les menus affichés aux restaurants. Puis il achète des cartes postales et va prendre l’apéritif. Après le déjeuner, eh bien, mon Dieu ! il ne faut pas s’éloigner car l’heure du départ est impérative et « çà » sera vite là. Alors… une petite sieste auprès du Vénéon, au gros soleil car il faut revenir bronzé, c’est le gage des belles vacances… Et le soir les rayons actiniques auront donné à la cuisse les reflets du couchant. Les amis seront jaloux.
Eh ! non, Monsieur, il n’y a pas de téléphérique à La Bérarde et vous avez bien raison de préférer la mer… On chuchote bien d’un projet à la Tête de la Maye. En vérité, cela ne serait pas si mal car la vue est d’une grande beauté, et d’une ampleur exceptionnelle… mais, que voulez-vous, les hommes d’affaires et les financiers ne sont pas fous. Ils ont les pieds sur terre et les mains solidement aux poches pour être sûrs que rien ne s’en échappe. Comment admettre que soit rentable un équipement qui ne fonctionnerait que six ou huit semaines par an (et je suis généreux !), uniquement par beau temps et sans possibilité d’emploi mixte avec le ski ?

Autochrome, vue sur les Deux Alpes – Henri Bussillet. Début du XXe siècle, Coll. M. dauphinois

L’Oisans, dans ses hautes vallées, a toutes chances de conserver longtemps encore sa personnalité, sa grandeur, sa pureté et son exceptionnelle beauté sauvage. L’Oisans ne se livre vraiment qu’au promeneur susceptible de faire quelques heures d’efforts.
Il y en a, Dieu merci !… Je Mais il faut quitter La Bérarde.
Le village est au confluent de deux vallées dont on ne soupçonne pas l’ampleur. L’une accompagne le cours supérieur du Vénéon, remontant jusqu’à sa source. L’autre s’étire jusqu’à l’origine du torrent des Etançons. Ces deux vallées ont un développement qui, à cette altitude, confond les appréciations les plus optimistes (huit kilomètres environ à vol d’oiseau). Leur largeur est également surprenante. Chacune d’elles comporte, dans son parcours, une malicieuse angulation, bien faite pour faire désirer le spectacle final. Le promeneur justement curieux est attiré et progressivement subjugué.
Il veut voir ce qu’il y a plus loin… derrière le tournant… et, sans grande fatigue, sur sentier facile, s’il a accepté de faire un effort de deux heures, il a sa récompense, sa grande récompense. Il sera pris, et bien pris ! Celui-là reviendra en Oisans.
Il y entraînera ses meilleurs amis.
Il découvrira deux merveilleuses toiles de fond : dans la vallée des Etançons, la grandiose muraille sud de la Meije qui culmine en rocher pur jusqu’à près de 4000, véritable silhouette massive d’un vieux château féodal, avec sa patine ocrée, sa tour d’angle, son donjon, ses murs surmontés de créneaux et la lumineuse fenêtre carrée de son glacier suspendu.
Si un jour le promeneur, devenu alpiniste, veut en faire la conquête, ce n’est pas une dame en hennin qui l’accueillera au sommet, mais une madone toute simple. Ce fut pour moi une immense joie et une profonde émotion lorsque j’aperçus là Vierge du Grand Pic à la sortie de la directissime Pierre Allain quand, avec mon guide et ami Lucien Amieux, nous fîmes la seconde.
Dans la vallée du Vénéon, le regard du promeneur sera d’abord arrêté par l’aile déployée de la sévère Ailefroide puis, plus loin, après une nouvelle angulation, par le merveilleux éventail des Bans avec son subtil décor de glace et de roc.
Les marches d’approche en Oisans ? Pour les refuges ? Pour les courses ? Bien sûr… c’est d’abord excellent pour l’entraînement ! Il n’y a rien de plus pénible que de quitter un téléphérique à forte dénivellation pour attaquer aussitôt. Il faut un certain rodage, un temps d’adaptation.
Et pour le retour !… Quand on descend du royaume du silence, de là-haut, le cœur rempli d’allégresse et les yeux éblouis de lumière, quelle profonde tristesse que de plonger brusquement dans l’espèce jacassante d’une benne de téléphérique qui, dix minutes plus tard, vous éjecte dans le tintamarre d’une kermesse permanente. Alors, soyez heureux ! L’Oisans vous, garanti un certain nombre d’heures de solitude et de rêverie avant de revenir chez les hommes. Et, quand vous redescendrez de la Meije vos souvenirs auront tout le temps de se bien fixer.
Pour vous alpinistes, le CAF a prévu des refuges accueillants certains très confortables. Tout bien placés au départ de comme les plus variées : Temple-Écrins qui dessert les Écrins, avec ses homologues Caron et Glacier Blanc sur le versant Vallouise. Chatelleret qui alimente tous les pics et pointes rive droite et rive gauche du vallon des Étançons. Le Promontoire (bien vétuste hélas !) mais auquel va succéder un refuge moderne.
D’autres refuges appartenant à la S.T.D. (Société des Touristes du Dauphiné), complètent heureusement l’équipement du massif : la Selle et le Soreiller : dans un magnifique vallon au pied d’une « flèche de cathédrale » : l’aiguille Dibona, qui est bien la plus belle école d’escalade dont on puisse rêver (une infinité de voies du III au VI avec ou sans « pédales »).
Et pour terminer, ne pouvant les citer tous, le refuge de la Pilatte. Il mérite une mention spéciale par sa position dans un site exceptionnel. C’est le seul qui permet un tour d’horizon presque complet en offrant au regard tous les géants du massif : Meije, Ecrins, Ailefroide, Bans.
Facilement accessible, par un sentier bien tracé, en trois ou quatre heures (ce qui fait déjà une sélection pour les « enfants » de Bellus), ce refuge est relativement récent et son architecture est fort belle. Il est gardé par le ménage Paquet qui en assure l’ouverture à Pâques et à partir du 1er juillet. Pierre Paquet, doyen des guides actifs, est connu de tous les alpinistes fréquentant l’Oisans. C’est enfant du pays. Il fut un grand guide pionnier des courses difficile du massif, il l’est encore. Mais c’est avant tout un amoureux de la montagne. Avec lui, il n’est pas essentiellement question de technique, de contorsion acrobatique et de chronométrage. Il y a bien d’autres choses. Absorbé par la recherche d’une prise, vous alliez passer, sans remarquer, à côté de ce coussin de silène en velours vert piqueté d’adorables petites fleurs roses…, vous alliez mettre la main, sans le savoir sur une plante de génépi, et cette touffe d’androsace, là, presque sous votre nez.

Autochrome, Le lac du Lauvitel, vallée du Vénéon vers 1910, par Hernri Bussillet, – Coll. M. dauphinois

Il connaît tous les cailloux de l’Oisans et tous les trous de marmottes. Écoutez-le ! Il vit un jour une mégère marmotte, dressée sur son séant, calotter « en aller et retour » son innocent rejeton qui n’avait pas obtempéré assez vite au coup de sifflet de « l’agent de service ». Il surprit une fois une bonne mère chamois fort occupée à apprendre à son dernier né la ramasse sur un névé, l’obligeant à recommencer plusieurs fois sa timide tentative. C’est évidemment un incomparable chasseur, mais il ne faut pas oublier qu’autrefois, spécialement en Oisans, on était chasseur de chamois avant d’être guide. C’était une rude formation.
Il a un flair, une intuition et avant tout une connaissance parfaite de tous les couloirs, de toutes les vires de son massif. Il verra instantanément un chamois sur une terrasse, dans un pierrier ; vous, vous mettrez cinq bonnes minutes pour le découvrir. À l’empreinte du chamois, il vous dira son sexe et son âge. Pour les marmottes c’est un magicien et il a sûrement un pacte, un traité secret avec elles. Il vous en montrera partout, vous-mêmes les prenez pour des cailloux. Enfin il siffle aussi bien qu’elles !
Tout ça ? Mais c’est l’Oisans ! Nature, hommes, la montagne vraie, la montagne humaine, la montagne de l’alpiniste complet, digne du nom.

Et s’il fallait s’étendre sur les vallons secondaires ? Mais il faudrait page sur page, un volume.
Lanchâtra, son petit hameau perdu, abandonné, devenu cimetière de maisons (80 habitants en 12 foyers en 1913, actuellement zéro). Quelle tristesse !… Départs et abandons justifiés hélas par les conditions de vie de moins en moins acceptables par les jeunes générations. Vous partirez de ce vallon pour cueillir l’extraordinaire et rarissime chardon bleu des Alpes, mais n’en demandez pas plus.
Autres vallons : Mariande, Lavey, Étages, Chardon, Selle, Soreiller… vallons enchanteurs, un peu mystérieux, ruisselants de lumineuses cascades, ayant chacun leur personnalité, leur beauté, leur toile de fond. Vous y serez le plus souvent seul, la montagne sera bien à vous. Quel prix accorder à cet insigne bonheur !
Printemps ! Printemps lumineux ! Joie de monter des heures à la rencontre du soleil, sur la neige qui porte, skis sur le sac, narines soudées par le froid, mais cœur ardent. Bonheur de plonger tout à l’heure dans la poudreuse en soulevant une poussière de cristal… et, au bas du dernier névé, être accueilli par le clin d’œil des mille fleurs d’un champ de crocus. Le ski de printemps, quelle merveille en Oisans !
Et quelles possibilités illimitées, très tôt en saison, dès que la route des Etages sera rendue praticable par les travaux entrepris, notamment au droit de l’avalanche de Champhorent. Cela est en train de se faire.
Été. Il ne reste plus beaucoup de choses à dire, mais il vous reste, à vous alpinistes, à feuilleter l’excellent Guide du massif des Écrins (en deux volumes) de Lucien Devies et Maurice Laloue.
Toutes les courses y sont parfaitement décrites. Vos moyens dicteront votre choix.
Pour les forts, il n’y a certes plus de grandes premières, mais il y a de très belles voies à redresser qui feront des directissimes de choix.

Notez que l’heureuse situation géographique de l’Oisans lui assure très souvent un très beau temps que l’on ne trouve hélas ! pas toujours ailleurs. Le vallon du Soreiller et sa fameuse aiguille Dibona vous permettront toujours, par temps médiocre, d’attendre le retour du soleil et des conditions ? Meilleures. Le rocher y est très rapidement sec.
Automne. C’est la saison la plus belle, mais tout le monde a fui la montagne. Il faudrait, pour exprimer l’automne en Oisans, savoir parler avec lyrisme de toute sa palette de tons merveilleux, jaunes, ors, rouges, mauves… sans pour cela approcher la vérité.
Mieux vaut ne pas essayer.
Mais faites l’effort de revenir un week-end fin septembre, début octobre. Les courses sont finies, la haute montagne est fermée. Il n’y a plus personne, vous serez seul. Montez tout simplement à La Grave : le panorama sur la Meije est extraordinaire. Empruntez le sentier qui conduit au refuge Chancel, quittez la forêt et allez à la rencontre de la première neige toute fraîche tombée. À cette époque, elle n’est pas loin. Quelle merveille que cette première neige qui vient reconnaître son terrain, le poudrant légèrement pour annoncer sa venue prochaine !
Jamais, sans l’avoir vu, on ne peut imaginer la couleur des champs de myrtilles après les premières gelées. On croit voir la montagne frileusement recouverte de manteaux, de tapis d’Orient d’un rose extraordinairement lumineux se détachant sur toute une gamme de verts. Plusieurs fois, il m’est arrivé de me déplacer pour une touffe isolée croyant voir un foulard perdu… Et que dire du frémissant bouleau aux feuilles d’or, du mélèze bronzé, des grappes rouges du sorbier ? Tout cela vibrant de lumière sur le fond noir des pins.

Le chasseur est à peu près le seul que sa passion conduit en montagne en automne. Et c’est grand dommage qu’il soit le seul !
J’ai, pour ma part, le souvenir d’une matinée qui m’a donné un inoubliable spectacle. Nous devions
nous regrouper avec deux amis au lever du jour.
J’étais en avance et, assis, je me perdais en la contemplation de fines gouttelettes de rosée accrochées aux herbes et arbustes qui m’entouraient. Tout près de moi, une toile d’araignée terminait sa carrière. Alourdie de rosée, elle défendait sa géométrie contre la brise matinale. Le soleil venait tout juste d’éclater et, phénomène paradoxal, mais bien connu, brusquement la température baissa de plusieurs degrés. J’assistai alors à une métamorphose aux phases enchantées. Un vrai coup de baguette. Le monde qui m’entourait se figea peu à peu. Toute couleur disparut, tout devint blanc, comme recouvert d’une poussière de cristal. La fine gouttelette de
rosée se transforma en diamant étincelant et ma toile d’araignée fut alors tissée de gros fils blancs qui, mieux encore, soulignaient son merveilleux travail. Quel artiste, malgré tout son talent, pourrait prétendre réaliser ce que j’ai vu en quelques minutes ? Vous voyez bien qu’il y a encore des fées en Oisans.
J’étais tellement émerveillé, presque bouleversé, que si un coq de bruyère était passé sur ma tête, je l’aurais sûrement manqué… parce que je ne l’aurais pas tiré.
À vrai dire, ma petite vocation de chasseur montagnard est surtout liée à la joie de parcourir encore l’Oisans en automne.
Hiver. Il y a seulement quelques années, la tradition, mais surtout la raison, étaient de laisser reposer la montagne. L’alpiniste en profitait aussi. Crampons et piolet bien graissés, il ressassait ses souvenirs, il en préparait d’autres.
Montagnard complet, il attendait aussi le ski.
Mais… avec la nouvelle vague des hivernales, l’Oisans a son mot à dire. De nouveaux problèmes sont offerts et de sérieux problèmes.
Qui s’attaquera en premier à la face nord du Rateau, à la face nord de la Meije, à la face nord-ouest de l’Ailefroide ? Et il y en a d’autres !
Si l’éperon de la Walker a 1 250 m, la face nord-ouest de l’Ailefroide n’en offre pas moins de 1 050, et les difficultés doivent être très sérieuses, la face nord du Rateau 550 m, la face nord de la Meije 750 m. Encore de belles perspectives qui mettront en œuvre : technique, volonté, résistance et moral.
Encore quelques beaux « derniers » problèmes à résoudre en Oisans.
Mais il faut conclure, car, hélas, il n’y a seulement que quatre saisons.
Amis alpinistes, amis promeneurs et randonneurs, si l’Oisans est inconnu de vous, venez le découvrir, venez vous excuser auprès de lui, il vous pardonnera certainement. Et alors vous aimerez l’Oisans, il vous le rendra et accumuleront en vous des souvenirs si purs, que toute votre vie de montagnard en sera remplie. Et s’il vous arrive de l’aimer autant que je l’aime, alors n’en parlez pas trop. Parlez-en aux seuls vrais amis… Restons entre nous.

Fin

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