Le pain noir et la misère de Besse en 1809.

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Pain de Besse en Oisans. Photo plaquette d’exposition Maison des Alpages de Besse, année 2015

LE PAIN NOIR ET LA MISÈRE DE BESSE EN 1809.
La misère dans un village de montagne… 

Extrait de « « Cahiers d’Histoire » – t. IX — 1966.
– La misère dans un village de l’Oisans. de M. PAQUET ».
Sources : Archives nationales F 854 — Rapport du Dr Aribert au Bureau des Épidémies du département de l’Isère (3 mai 1809).

« La commune de Besse consiste à peu de chose près en un seul village de deux cents maisons environ ; il est situé sur le penchant (le versant), et presque au sommet d’un mamelon faisant partie de la chaîne des Alpes, à douze milles (mille = 1480 m. la distance de Bourg-d’Oisans à Besse est de 19 km par les routes actuelles.), au moins du Bourg-d’Oisans.
On y cultive de l’orge, du seigle et des pommes de terre. Le pays est couvert de neige pendant sept à huit mois.
Il n’existe d’autre combustible dans cette commune que la fiente des vaches dont les habitants tapissent les murs de leurs habitations pour la faire sécher et le fumier de mouton qu’ils font sécher aussi en forme de galette ; ce n’est qu’à grands frais que quelques particuliers aisés se procurent une petite quantité de bois.
Les habitants n’ont que quatre mois pour cultiver leurs terres et récolter, et pendant ce temps ils se livrent à des travaux excessifs.
Le dernier de leurs travaux qui a lieu vers la fin de septembre consiste à convertir en pain grossier le seigle et l’orge qu’ils ont récoltés. Ils en cuisent alors pour toute l’année et ensuite le font sécher pour le conserver. Ce pain, dont j ’apporte un échantillon est très fermenté et très salé. Dès le mois d’octobre, ce pays se couvre ordinairement de neige et les habitants rentrent dans leurs tanières d’où ils ne sortent plus guère qu’au mois d’avril ou de mai suivant. Les plus pauvres se réunissent en grand nombre dans une même écurie pour y filer et tricoter des bas à la lueur d’une lumière commune, ils s’y entassent autant que possible pour se garantir du froid, et là vivent de leur pain sec, de leurs pommes de terre et de soupe au beurre lorsqu’ils peuvent en avoir…
(Le médecin décrit alors la maladie, plus meurtrière depuis quelques années, qui s’attaque à la population à la fin de l’hiver…)
Les habitants devenus plus pauvres ont eu moins de bestiaux dans leurs écuries. Ils se sont accumulés en grand nombre dans deux veilleries (locaux, ici une écurie, où l’on se tient pour la veillée qui dure du 8 septembre au 24 mars) pour profiter d’une lampe entretenue à frais commun. Ils ont été réduits pour tout aliment à leur mauvais pain endurci, à quelques pommes de terre et rarement de la soupe, tandis qu’autrefois ayant un plus grand nombre de bestiaux la chaleur de leur écurie leur permettait de rester chez eux, ils pouvaient se procurer quelques aliments frais, un peu de bois pour les faire cuire, peut-être aussi entretenaient-ils un peu plus de propreté dans la partie d’écurie qui leur sert de logement.
Cette année surtout a été remarquable par les privations qu’ils ont eu à supporter, la neige ayant été trop précoce, ils n’ont pas eu le temps de faire sécher de la fiente de vache ou de fumier de mouton, de façon que pendant l’hiver, ne pouvant faire cuire ni la soupe ni les pommes de terre, faute de combustible, ils ont été réduits à leur mauvais pain noir et sec. L’hiver
ayant été long et rigoureux, ils ont été plus longtemps et plus entassés dans les veilleries, aussi les maladies ont été plus communes et plus meurtrières que les années précédentes, et il est si vrai que l’on doit les attribuer à cette cause que les familles aisées qui n’ont pas été soumises aux mêmes influences en ont été entièrement exemptes… »

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES.
Besse est un village du haut Oisans situé à 1560 mètres d’altitude, au-dessus de la limite des forêts.
La présence de bonnes terres agricoles et de pâturages a fixé là une population nombreuse qui a atteint 900 habitants vers 1830. Actuellement Besse ne compte plus que 116 habitants.

L’absence de bois nécessite l’utilisation du fumier des animaux pour la cuisson (tout le fumier des moutons, une partie de celui des bovins) des aliments. Le pain est cuit au four communal avec la paille du seigle et les fagots coupés dans les fossés autour du village, si l’on n’a pas pu faire provision de bouses, il n’y aura plus rien pour cuire les aliments à la fin de l’hiver. Le pain est cuit en une seule fois. C’est le « pain bouilli » que l’on cuisait encore pendant la dernière guerre dans les villages du haut-Oisans et du Briançonnais. « On cuit la farine de seigle dans l’eau bouillante. Pas de sel. Ce pain doux, brassé en tourtes de 5 kg au moins, mijotera pendant 7 heures au four banal. On bouche l’orifice et il n’est que d’attendre. Le pain se conserve pendant un an jusqu’à la récolte suivante ». (Source le Petit Dauphinois, 9 janvier 1942.)

C’est aussi l’absence de combustibles qui oblige les hommes à vivre avec leurs animaux (dossier : « se loger », une maison à Besse) et à se rassembler l’hiver pour la veillée, ceci jusqu’à ce qu’on utilise à la fin du XIXe l’anthracite des mines de l’Herpie.
Cette vie difficile est remise en cause dès que les ressources diminuent (guerre qui gêne le départ de ceux qui partent l’hiver gagner leur vie ailleurs, prix du bétail qui baisse, fermeture des ardoisières, etc.) ou que les conditions climatiques s’aggravent, c’est alors le cycle maladie-misère qui s’installe. La population sous-alimentée est une proie facile pour les maladies, un demi-siècle plus tôt, c’était la famine.
La sous-alimentation entraîne la maladie, ici des sortes de fièvres typhoïdes endémiques dans les régions pauvres à la fin de l’hiver. En dehors de quelques médicaments peu efficaces, les médecins conseillent surtout une alimentation plus riche et font appel à la charité publique.

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