UN ORATOIRE TEMPORAIRE EN OISANS
En 1979, durant la construction de l’usine souterraine du Barrage de Grand’Maison une statuette était religieusement installée à l’entrée de la galerie. Cette idole était la seule « femme » tolérée dans l’univers exclusivement masculin des perceurs de galeries.
Sainte-Barbe est la sainte patronne d’une quinzaine de professions : les pétroliers, les libraires et les étudiants — c’est par instruction que viendra sa conversion au christianisme—, les architectes, les charpentiers, les maçons, les couvreurs, les mathématiciens, les marins-pêcheurs et le boucher.
Mais c’est surtout grâce à sa maîtrise de la foudre (feu divin) qu’elle fut choisie afin de protéger les métiers en rapport avec le feu, les éclairs et les explosions.
Ainsi, les forgerons, les mineurs, les ardoisiers (à partir du milieu du XXe siècle), les artilleurs, les armuriers, les artificiers et bien entendu le corps des pompiers, ont aussi pour patronne Sainte-Barbe.
Ce n’est que très récemment que les constructeurs de galeries et de tunnels demandent sa protection. C’est peut-être dans cette profession, tournée tardivement vers cette icône protectrice que le culte est aujourd’hui toujours le plus présent (je parle de la croyance en une protection divine, non d’une commémoration calendaire).
À la fin des années 70, ce sont les mineurs issus des houillères, industries en déclin à cette époque, qui vont apporter avec eux ce culte et la sainte icône. Les nouveaux chantiers, notamment celui de Grand’Maison, ont conservé la tradition d’une idole protectrice à l’entrée des tunnels. Ainsi, Sainte-Barbe veillait et protégeait les hommes, croyants et agnostiques, qui rentraient dans la galerie. Chaque homme avait une pensée ou un regard pour une représentation de la sainte, placée à l’entrée du tunnel.
Le 4 décembre* était un jour férié consacré à Sainte-Barbe, cela se déroulait du lever au coucher du soleil.
Ce jour était particulier à plus d’un titre. Les hommes célébraient leur sainte patronne. Ils commémoraient le souvenir des frères, des amis et des collègues « restés au fond du trou ». Enfin, pour ce jour exceptionnel, ce sont les employés qui invitaient les patrons à déjeuner. (Une prime pouvait être donnée par le patron pour l’organisation de cette fête.)
La journée commençait le matin par une messe traditionnelle ou une simple bénédiction. Lors d’un repas, souvent bien arrosé, les ouvriers s’autorisaient la découpe des cravates de leurs patrons. Ces « trophées » étaient bien souvent exposés à l’entrée de la galerie. Il était de coutume, sans que cela se soit généralisé, que les jours qui précédaient la fête, les mineurs travaillent plus pour compenser les heures chômées du jour férié.
Petit à petit l’évolution du métier, les méthodes d’extraction, les brassages ethniques et les différentes religions ont provoqué la transformation sociale et politique des ouvriers. La sainte patronne demeure un emblème fédérateur, mais il ressemble sans doute plus aujourd’hui à une « revendication syndicale » qu’à une image biblique.
*L’église remplacera en 1969 Sainte-Barbe par Sainte Barbara.
Sainte-Barbe et le feu divin.
La vie de Barbe bascule dans l’horreur dès l’âge de 16 ans. Une succession d’épreuves lui sera infligée par, et à la demande de son père Dioscore qui la trouve trop belle. Il l’enferme dans un palais, mais Barbe se tourne vers Jésus. Elle réalise une première représentation de la trinité en faisant creuser une troisième ouverture dans la tour du château, ainsi que des représentations de croix pour rappeler le sacrifice du fils de Dieu.
Furieux, son barbare et païen de père décide de la soumettre au jugement du tribunal.
Elle subira alors d’abominables tortures et humiliations jusqu’à sa mort par décapitation, dernier outrage infligé par la main même de son père. À chaque épreuve, elle sera soutenue par Dieu, qui guérira ses blessures, lui accordera sa protection, la couvrira d’un voile de lumière. Jusqu’à son sacrifice ultime, Barbe acceptera ses tourments en parfaite béatitude par la grâce de Dieu.
Dioscore, quant à lui, sera foudroyé et réduit en cendre par un éclair divin.
C’est cet éclair qui confère à Sainte-Barbe la domination du feu et des explosions. On peut considérer également que la troisième ouverture « creusée » dans un mur de la tour du château demeure aussi un acte de foi, qui rapproche Sainte-Barbe des mineurs et des perceurs de tunnels et de galeries.
Les mines d’argent comme celle de Brandes, qui, par les méthodes d’extraction à l’aide d’un feu nourri et d’une explosion de la roche provoquée par un choc thermique, ne sont sans doute pas étrangères à la présence en Oisans du vocable de Sainte-Barbe, toujours accroché aujourd’hui à un Oratoire de Clavans-en-Haut-Oisans et à la Chapelle du Parizet, mais également à d’autres édifices plus anciens disparus depuis.
L’oratoire temporaire de Grand’Maison a disparu avec les hommes qui l’avaient érigé pour demander sa protection. Un culte qui se rapproche d’une superstition pour les uns, un respect des traditions pour les autres, et quelque part dans les esprits de chaque mineur au moment de rentrer dans le gouffre, l’écho d’un refrain lu, appris ou entendu, il y a longtemps :
Sainte-Barbe, ô douce patronne
Tu nous vois à tes pieds,
Implorant ton secours
Quand le rocher s’abat
Et que la mine tonne
Veille, veille sur nous toujours.
[…]
Sources :
Revue TOS, article de François MARTIN, Centre d’Etudes des Tunnels,
Association Ste–Barbe des Mines www.stebarbe.com
Chapelles rurales et Oratoires de l’Oisans. ISBN 2-9525284-0-3