LE SEUIL DE L’AVEYNAT 3/5
1927 Syndicat de défense de la Plaine de l’Oisans en lutte contre le rehaussement du seuil de la plaine d’Oisans. (3e partie)
Archives : André Glaudas
Une série de 5 articles consacrés à la plaine d’Oisans et la lutte contre son inondabilité récurrente.
Presque un siècle après sa publication, cet article conserve tout son intérêt et une corrélation avec le nouvel aménagement hydroélectrique de Romanche-Gavet, je vous invite de lire également les trois articles suivants de M. Bernard François, Président de l’association Coutumes et Traditions de l’Oisans :
Bulletin Coutumes et Traditions No 75 : Le barrage de l’Infernet, les détails du projet du barrage d’Édouard Lullin
Bulletin Coutumes et Traditions No 76 et 77 : Abaissement des seuils de la plaine d’Oisans 1/2 et Abaissement des seuils de la plaine d’Oisans 2/2, (historique complet sur la lutte permanente de la plaine du Bourg-d’Oisans à l’abaissement des seuils de la Romanche.)
1re partie : Le seuil de l’Aveynat 1/5 • 2e partie : Le barrage d’Édouard Lullin
– Un barrage automatique –
En 1923, la Société propriétaire de l’usine de Livet remplaça son barrage fixe non autorisé par un barrage soi-disant automatique.
Le 24 septembre 1924, une crue subite de la Romanche a menacé le Bourg-d’Oisans. À ce moment-là, les vannes auraient dû fonctionner soit automatiquement, soit mécaniquement. Or la vanne de droite bloquée par les graviers n’a pas fonctionné. L’inondation menaçante n’a pas eu lieu grâce aux travaux exécutés par tous les habitants du Bourg-d’Oisans et parce que la vanne de gauche a pu être abaissée complètement, ce qui a provoqué une baisse assez rapide des eaux à partir de 12 heures, malgré la pluie persistante. Phénomène constaté par de nombreux habitants de la plaine de l’Oisans.
Devant un danger aussi grand, l’Union intersyndicale de l’Oisans s’est réunie le 16 novembre 1924 et a pris une délibération demandant à M. le Préfet :
1o de faire vérifier les conditions actuelles d’installation du barrage ;
2o de prescrire d’urgence toutes mesures utiles pour mettre la Société en demeure de rétablir les lieux dans les conditions réglementaires ;
3o de requérir immédiatement l’application de l’article 10 de l’arrêté préfectoral du 13 septembre 1894 prévoyant le curage à vif fond et à vieux bords du bief de la retenue dans toute l’amplitude du remous.
Le 17 juin 1925, M. le Préfet de l’Isère a pris un arrêté mettant la Société, propriétaire de l’usine de Livet, en demeure de modifier, dans un délai de deux mois, les installations de sa prise d’eau sur la Romanche pour les rendre conformes aux prescriptions de l’arrêté de l’autorisation du 13 septembre 1894 et de procéder, dans le même délai, à l’enlèvement du massif de maçonnerie installé par elle dans le pertuis de chasse.
Cet arrêté n’étant pas encore exécuté, le Syndicat Supérieur de l’Oisans ne voulant pas avoir la responsabilité morale d’une catastrophe croit devoir à nouveau, pour dégager sa responsabilité et la laisser toute entière à qui de droit, présenter les observations suivantes :
Considérant que la plaine de l’Oisans est traversée dans toute sa longueur par la Romanche, qui reçoit sur ce parcours six autres cours d’eau, dont les apports en cailloux, graviers et sables accroissent ceux déjà considérables de la Romanche elle-même et concourent avec eux à l’exhaussement continu de son lit, dont le niveau est en moyenne supérieur à un mètre trente centimètres à celui du sol de la plaine.
Que cette situation particulière fait peser sur cette plaine et la Ville même du Bourg-d’Oisans un danger permanent d’inondation, contre lequel les habitants ont senti la nécessité de se prémunir en créant de longue date des Syndicats chargés de prendre les mesures et d’exécuter les travaux propres à les protéger contre le fléau qui les menace, que rien ne proclame plus haut ce danger, les alarmes et le souci de préservation qu’il a de tout temps suscité dans l’esprit public de ce pays, que la dénomination sous laquelle fut créé le principal et le plus ancien d’entre eux (1829) :
« SYNDICAT DE PROTECTION ET DE DÉFENSE CONTRE LA ROMANCHE ».
Que pour fournir à ces Syndicats les moyens d’accomplir leur œuvre, les habitants n’ont pas hésité à grever leurs propriétés de taxes très onéreuses, s’ajoutant à l’impôt foncier et constituant une dépense supplémentaire qui n’accroît en rien la productivité de leurs terres, mais en sauvegarde l’existence.
Que les travaux exécutés, tels que : l’abaissement du seuil du Pont de l’Aveynat, la construction d’épis sur les deux rives de la partie inférieure de la plaine avaient donné des résultats qui ne laissaient aucun doute sur leur efficacité pour, non seulement arrêter l’exhaussement du lit de la Romanche, mais pour déterminer son abaissement et que c’est, au vu de ces résultats acquis et dans le but de les maintenir et de les accroître, que les ingénieurs des Ponts et Chaussées, après les études les plus sérieuses, fixèrent à la cote 700,65 le niveau de la retenue que M. LULLIN demandait à établir et qui fut autorisé par l’arrêté du 13 septembre 1894.
Qu’en portant, en 1907, le niveau de la crête de son barrage de la cote réglementaire 700,65 à la cote 702,90, l’usine de Livet a, au point de vue légal et en fait, opéré une véritable révolution dans le régime de la Romanche, dans les rapports de la propriété rurale et de l’industrie et dans l’équilibre que l’Administration des Ponts et Chaussées et l’arrêté préfectoral du 13 septembre 1894 avaient voulu maintenir entre eux.
Qu’il y a lieu de s’étonner de ce que l’Administration ait, sans s’y opposer, laissé l’usine de Livet, établir et subsister un barrage dont la crête est à un niveau supérieur de 2 m. 25 au niveau seul autorisé et supérieur de 0,50 à la cote du seuil du Pont de l’Aveynat, abaissé par les soins des ingénieurs des Ponts et Chaussées, dans le seul but d’attirer les galets charriés par la Romanche en temps de crue et d’abaisser ainsi son lit dans la plaine.
Qu’on ne pourrait expliquer cette attitude de l’Administration et son inaction en face des réclamations des Syndicats que par cette hypothèse que les ingénieurs dont les études et les travaux ont préparé la réglementation de 1894, se sont complètement trompés, en écrivant dans un de leurs rapports que :
« Le plus grave danger qui menaçait la plaine de l’Oisans était l’exhaussement progressif du lit de la Romanche ; qu’on ne pouvait lutter contre ce danger qu’en augmentant la pente du torrent par l’abaissement du seuil qui ferme l’extrémité de la plaine ; et que pour fixer à la cote 700,65 le niveau de la crête du barrage, ils ont considéré que si on abaisse de 1 m. 50 le seuil de l’Aveynat la cote du fond du lit sera au pont de 700,90, c’est-à-dire encore légèrement supérieure au niveau fixé pour la crête de l’ouvrage. »
Que cependant il faut reconnaître que les événements leur avaient donné complètement raison puisque, d’une part, il est constant qu’à la suite de l’abaissement du seuil de l’Aveynat et de la construction des épis, le niveau de la Romanche s’est sensiblement abaissé et que, d’autre part, il résulte d’un rapport de M. GEX, ingénieur des Ponts et Chaussées, du 23 décembre 1924 :
« Qu’en moins de 19 ans le lit de la Romanche s’est élevé de 0 m. 56 soit de 3 centimètres par an en moyenne et qu’il a atteint près de 3 centimètres 1/2 les six dernières années. »
Qu’il est difficile de ne pas trouver dans la coïncidence de l’exhaussement de plus de 2 mètres du barrage de l’usine de Livet et de l’exhaussement de 0 m. 56 du lit de la Romanche, au cours de la même période, un rapport de cause à effet.
Qu’à cette déduction imposée par des faits matériels aussi probants que ceux relevés ci-dessus on oppose trois objections principales tendant à démontrer, sinon la légalité, du moins l’innocuité du barrage, au point de vue du danger d’inondation de la plaine.
1o L’existence en amont du barrage et du Pont de l’Aveynat des seuils de Vestre et de Baton, qui à eux seuls suffiraient à retenir les galets.
2o Les apports considérables de l’Eau d’Olle qui encombrent le lit de la Romanche en aval du confluent des deux torrents.
3o Le caractère automatique du dernier barrage dont le fonctionnement en temps de grosses eaux supprime de fait le barrage et cesse d’opposer un obstacle quelconque à l’entraînement des galets par les eaux.
Que quelques considérations suffisent à démontrer le peu de valeur de chacune de ces objections.
À suivre : L’Existence des seuils de Vestre et de Baton