LE SEUIL DE L’AVEYNAT 4/5
1927 Syndicat de défense de la Plaine de l’Oisans en lutte contre le rehaussement du seuil de la plaine d’Oisans. (4e partie)
Archives : André Glaudas
Une série de 5 articles consacrés à la plaine d’Oisans et la lutte contre son inondabilité récurrente.
Presque un siècle après sa publication, cet article conserve tout son intérêt et une corrélation avec le nouvel aménagement hydroélectrique de Romanche-Gavet, je vous invite de lire également les trois articles suivants de M. Bernard François, Président de l’association Coutumes et Traditions de l’Oisans :
Bulletin Coutumes et Traditions No 75 : Le barrage de l’Infernet, les détails du projet du barrage d’Édouard Lullin
Bulletin Coutumes et Traditions No 76 et 77 : Abaissement des seuils de la plaine d’Oisans 1/2 et Abaissement des seuils de la plaine d’Oisans 2/2, (historique complet sur la lutte permanente de la plaine du Bourg-d’Oisans à l’abaissement des seuils de la Romanche.)
1re partie : Le seuil de l’Aveynat 1/5 • 2e partie : Le barrage d’Édouard Lullin • 3e partie : Un barrage automatique
– 1o Existence des seuils de Vestre et de Baton –
Considérant que la première observation de fait qui frappe l’esprit est qu’à la suite de l’abaissement du seuil de l’Aveynat on constata un abaissement sensible du lit de la Romanche, sous l’action du tirage qu’opéra la pente créée entre les seuils de Vestre (704), le seuil de l’Aveynat (702,40) et le niveau de la retenue (700,65).
Qu’il est indéniable que le relèvement de ce niveau à 702,90, soit 2 m. 25 plus haut que le niveau réglementaire et 0,50 plus haut que le seuil abaissé de l’Aveynat, a détruit cette pente et paralysé le tirage qu’elle exerçait sur les galets.
Que, même pour se rendre exactement compte du trouble apporté en temps de crue par l’exhaussement du niveau du barrage à la pente de la Romanche et au tirage qui résultait de celle créée par les ingénieurs, il faut observer qu’entre le niveau de la crête du barrage 702,90 et le niveau du seuil de Vestre qui est le plus rapproché (704) il n’y a qu’une différence de 1 m. 10, qu’il suffit dès lors que la lame d’eau passant sur le barrage ait une épaisseur de 1 m. 10, et il est arrivé qu’elle ait eu plus du double, pour que le remous produit par le barrage se prolonge jusqu’à ces deux seuils et paralyse l’entraînement des galets roulant sur le fond du lit.
Que c’est pourtant au regard des crues du torrent que l’influence du barrage doit être envisagée parce que ce sont les grosses et non les basses ou moyennes eaux qui entraînent les galets.
Considérant que, si après avoir montré que l’arrêt des galets est autant imputable au barrage qu’aux seuils, on recherche quelle action chacune de ces causes exerce sur les débordements de la Romanche, il est impossible de méconnaître que le barrage de l’usine de Livet y a une part considérable.
Que l’influence sur les eaux en temps de crue de deux états des vannes du barrage, l’un inverse de l’autre, vannes levées, vannes baissées, font à cet égard une démonstration concordante.
Qu’en effet, le 24 septembre 1924, la Romanche subit une crue importante. Vers 11 heures du matin, l’inondation était imminente. Une lame d’eau de 20 à 25 centimètres passait sur la Route Nationale en amont de Bourg-d’Oisans. Sollicitée dans la matinée de renverser ses vannes, l’usine de Livet parvint à en renverser une. Dès midi, la baisse se manifesta et se poursuivit rapidement. Tout danger avait disparu.
Un coup d’œil jeté sur le diagramme de l’appareil enregistreur installé au Pont de l’Aveynat montre aux plus incrédules quelle hauteur énorme l’eau avait atteint ce jour-là sous ce pont, et quelle chute brusque elle fit aussitôt que l’une des vannes du barrage fut abattue, provoquant la baisse qui fut constatée quelques instants après sous le pont de la Romanche au Bourg-d’Oisans.
Qu’est-ce à dire ? Sinon qu’obstrué par le barrage et rétréci par les ouvrages qui l’accompagnent, le lit en pareil cas ne suffit pas à écouler toute l’eau que le torrent débite. Les centaines et les milliers de mètres cubes d’eau qui ne peuvent être débités s’emmagasinent et refoulent dans la cuvette formée par les digues dans lesquelles le plan d’eau s’élève progressivement jusqu’à ce que le débordement s’ensuive.
Mais, qu’on supprime en tout ou en partie l’obstacle qui obstruait le cours des eaux, qu’on ouvre en un mot complètement le robinet, les eaux retrouvant une issue suffisante, l’équilibre se rétablit entre le débit d’entrée et le débit de sortie, et le plan d’eau s’abaisse dans la cuvette. C’est ce qui se passa le 24 septembre 1924 aussitôt qu’une vanne eut été renversée, l’autre n’ayant pu l’être.
Peut-on nier après cela l’influence du barrage en temps de crue sur le niveau des eaux dans la plaine de l’Oisans et jusque dans la partie amont de cette plaine ?
D’autre part, il y a quelques jours, le 31 octobre dernier, après plusieurs jours de grosses pluies, la Romanche eût une crue sensiblement pareille à celle de 1924, avec cette circonstance, qu’on ne saurait laisser passer inaperçue, que depuis 1924 son lit s’est élevé de 0 m. 07, puisque M. l’ingénieur GEX nous a appris que depuis six ans le lit s’exhaussait de 0 m. 035 par an. L’usine de Livet eut la précaution de tenir ce jour-là ses deux vannes abaissées, partiellement du moins pour l’une d’elles, comme nous le verrons tout à l’heure.
C’est à peine si, à 4 kilomètres en amont du Bourg-d’Oisans, en un point en face duquel le Vénéon se jetant dans la Romanche en coupe le courant et la fait refluer, une lame d’eau de 0,02 à 0,04 pénétra pendant quelques heures sur environ 200 mètres de la Route Nationale. Mais il n’y eut pas le moindre déversement sur le point de la route où en 1924 passait une lame d’eau de 0,20 à 0,25 centimètres. La cuvette ne s’était pas remplie.
N’est-ce pas encore la preuve d’un rapport étroit entre l’existence ou l’inexistence du barrage, qui baisse est inexistant, et le niveau de la Romanche dans la plaine en temps de crue ainsi que de son influence sur les possibilités d’inondation tout à fait indépendamment de l’existence des seuils de Vestre et de Baton ?
Que la conclusion à tirer de tout ce qui précède est que si la suppression des seuils de Vestre et de Baton d’une opportunité incontestable doit être énergiquement poursuivie, ses effets seraient presque totalement annihilés, tant que le barrage exhaussé de l’usine de Livet subsistera, déterminant en temps de forte crue le prolongement d’un remous produisant sur l’entraînement des galets des effets équivalents à ceux des seuils eux-mêmes et provoquant par l’obstacle qu’il oppose à l’écoulement des eaux, la surélévation du plan d’eau dans toute l’étendue du lit du torrent dans la plaine et par là l’inondation.
Qu’on pourrait avec raison se demander s’il n’est pas plus rationnel d’empêcher la création du seuil artificiel qui forme le barrage avant de détruire à grands frais les seuils naturels de Vestre, de Baton et du Pont de l’Aveynat, tel qu’il avait été envisagé par les ingénieurs qui n’avaient pas négligé la perspective de cet abaissement et ses conséquences en fixant le niveau de la retenue prescrit par l’arrêté du 13 septembre 1894.
Qu’en tous cas, une mesure radicale, la suppression combinée des seuils et de l’exhaussement du barrage serait seule susceptible d’arrêter d’une façon certaine, l’exhaussement du lit de la Romanche et de mettre le pays à l’abri des inondations.
À suivre : l’apport de l’Eau d’Olle encombrant le lit de la Romanche
2o Apports de l’Eau d’Olle encombrant le lit de la Romanche au-dessous du confluent des deux rivières
Considérant que cette objection n’est pas susceptible d’observations bien graves ; que ce serait vraiment, en effet, faire injure aux ingénieurs qui ont préparé l’arrêté réglementaire du 13 septembre 1894 que de supposer qu’ils ont ignoré ou tenu pour négligeables les apports de l’Eau d’Olle et n’en ont pas tenu compte pour fixer le niveau de la retenue de l’usine future, de façon à déterminer un tirage suffisant pour assurer l’évacuation des galets confondus de l’Eau d’Olle et de la Romanche et pour parer à ce que l’accumulation des premiers n’entravât pas l’écoulement des seconds.
Qu’il est d’ailleurs difficile de comprendre qu’on puisse tout à la fois prétendre que les apports de l’Eau d’Olle arrêtent l’écoulement de ceux de la Romanche et proclamer l’innocuité du barrage qui fait obstacle à l’écoulement des uns et des autres réunis dans le même lit.
Qu’il semblerait, au contraire, que l’abondance des apports de l’Eau d’Olle démontrât de plus fort la nécessité de maintenir à la pente réglée par les ingénieurs des Ponts et Chaussées toute sa puissance de tirage.
Considérant que cette objection, si elle est fondée, revient à dire : En temps de grosse crue le barrage n’existe pas; il disparaît automatiquement sous le poids de l’eau qui le fait basculer.
Qu’il y a d’abord lieu d’observer que si le barrage ne devient un grave danger qu’au moment d’une forte crue, il est néanmoins nuisible d’une façon permanente pendant la saison des grosses eaux qui, insuffisantes pour faire abattre les vannes, seraient suffisantes pour entraîner certaines quantités de galets, si le barrage ne réduisait pas le tirage entravant ainsi le curage latent du lit et coopérant à son exhaussement.
Que si on envisage le barrage dans l’hypothèse d’une forte crue il s’agit de peser la valeur de cet argument souverain ; le barrage est renversé, il n’existe plus ; et de savoir s’il y a certitude absolue que ce barrage dit automatique fonctionnera en réalité automatiquement et ne sera pas paralysé, au moment voulu, soit par des causes inhérente à son organisme, soit par des causes naturelles, soit par des causes imputables à ceux qui en ont la garde, l’entretien et la responsabilité.
Que tout d’abord on ne peut considérer comme négligeable l’opinion des techniciens qui estiment que les barrages automatiques ne sont appropriés qu’aux cours d’eau qui, en temps de crue, ne transportent qu’un volume d’eau plus considérable, mais ne charrient, pas des apports de toute nature, dont l’amoncellement contre les vannes peut entraver et paralyser leur fonctionnement.
Il ne faudrait pas remonter au delà de 1924 pour trouver dans ce que nous en avons rappelé précédemment la justification de cette opinion, impossibilité ce jour-là d’abattre la vanne droite du barrage bloquée par des apports de tout genre.
Qu’un fait plus récent encore est venu apporter une nouvelle preuve de la fragilité et de l’incertitude du fonctionnement du barrage. Comme on vient de le dire, le 31 octobre dernier une très forte crue fit naître la crainte d’une inondation. Mais elle se réduisit à quelques centimètres d’eau sur 200 mètres de la Route Nationale dans sa partie la plus basse, aux Alberges. On peut supposer que le barrage de l’usine de Livet avait fonctionné d’une façon irréprochable grâce à quoi on n’en avait été quitte pour la peur. On se trompait gravement.
Dès que l’eau a eu assez baissé, on a pu constater que la vanne droite du barrage, la même qu’en 1924, n’était pas complètement abattue, qu’elle était bloquée et que si celle de gauche s’était comportée de même on n’eut sans doute pas échappé à l’inondation. Cette vanne est restée dans cette position jusqu’au 13 décembre, date à laquelle on est parvenu à la débloquer. Qu’il est donc avéré qu’en trois ans, c’est-à-dire depuis l’installation du barrage, la plaine a été, par deux fois, sous le coup d’une inondation et que ces deux fois l’automatisme du barrage n’a été qu’une fiction.
Que personne n’oserait garantir qu’une avarie dans l’appareil, une négligence d’entretien, la soudaineté d’une trombe avec sont cortège de pierres et de galets ne bloquera pas les vannes, ne paralysera pas leur fonctionnement au moment critique, en sorte que le sort de la plaine de l’Oisans est à la merci d’une série d’aléas enfanté soit par l’homme, soit par la nature, soit même par des événements de pur hasard.
Qu’ainsi, abstraction faite des autres considérations, le problème, qui se pose à la Commission se ramène finalement à ces seule questions.
L’exhaussement de 2 m. 25 du barrage de l’usine de Livet n’augmente-t-il pas, s’il ne les engendre, les risques d’inondation de la plaine de l’Oisans ?
Est-elle infailliblement garantie contre ces risques par la possibilité du fonctionnement, dit automatique des vannes dudit barrage ?
La commission peut-elle prendre la responsabilité de décisions s’inspirant de cette conviction ?
À suivre : Considération et conclusions du Syndicat