Le trésor du Pont long des Fréaux

Pont du Chazelet, photo Marcel Fleureau, sans date, Archives départementales des Hautes-Alpes.

LE TRÉSOR DU PONT LONG DES FRÉAUX
Légende racontée par Mme Annaïsse Baptiste, des Fréaux.
Traduit en Français par M. Jacques Place qui, pour « La Meije » No 136, février 1965.

Nota sur le Pont des Fréaux,  j’ai trouvé ceci dans le recueil périodique des Archives des Hautes-Alpes publié en 1907 : « Construction des ponts, de la Romanche, dit Grand Pont, et de celui des Freaux en l’an 1823.
– Dans le printemps de la mème année (1823), sous la mairie de MM. Joseph Rome et Augustin Poya, adjoint, il a été construit deux ponts, l’un, dit le Grand Pont, sur la Romanche, au chemin allant à la Lauzette, et l’autre, aux Freaux, sur la rivière du Gà. Ils ont coûté, non compris le bois, 500 fr., M. le sous-préfet (Viel) a accordé un encouragement à cette commune, pour cela, la somme de deux cents francs. L’entrepreneur [a été] Payen, de Saint-Chaffrey, et le tout, ainsi qu’on peut le voir à la liasse n° 114 de l’inventaire, à cinq cent cinquante francs, approuvant le renvoi de la rature de trois mots (1823). »
Le Pont de notre histoire doit être le « Grand pont ». 

Nota sur l’esprit Follet par Paul Girard et Lionel Albertino :
L’esprit Follet que l’on trouve dans les légendes de nombreuses communes de l’Oisans sous une orthographe différente : Le foulletoun d’Auris et de Besse, le Fouletoum de Clavans, le foulaton, l’esprit foulet ou foulaton à Bourg-d’Oisans et Ornon l’esprit follet au Freney, la Garde, Oz, le fouleut au Mont-de-Lans, etc.
L’esprit domestique le Follet, est un esprit invisible à l’homme, mais pas aux animaux, il est non décrit, on en perçoit seulement l’activité. La plus remarquable est celle qu’il déploie vis-à-vis des chevaux et des juments, en particulier de certaines bêtes qu’il dispute au propriétaire pour les soins à leur apporter, qu’il fait galoper toute la nuit dans les chemins pour les ramener trempés de sueur.
On peut noter, pour l’esprit domestique, une fréquente référence au domaine de la sorcellerie.
Au Freney-d’Oisans, le lieu qui porte le nom de Follet a probablement un lien avec cet esprit. En effet au Freney trois légendes se rapportent à cet esprit follet, elles sont rapportées par Charles Joisten dans son livre « Êtres fantastiques, patrimoine narratif de l’Isère ».
1) Au hameau des Granges un nommé Rémy B. avait un esprit follet qui soignait le cheval, lui faisait le pansage, lui donnait à manger et à boire, etc.
2) Un « esprit » détachait les chevaux pour les mettre à la place des vaches.
3) Il y avait un instituteur à Puy-le-Bas qui habitait l’école. Toutes les nuits, il ne pouvait pas dormir : on jouait aux boules sur le plancher de sa chambre : « PIN ! les boules, ça pétait ! » Et on lui arrachait ses couvertures, etc.
Pour Alain Duc, folleton, foulleton « Follet, esprit malin » en dehors de ces sources littéraires et des légendes, il est usité avec le sens de « courant d’air, tourbillon de neige ». Les anciens disaient que quand on voyait des folletons de neige, c’était signe que la bise allait bientôt tomber.
À rapprocher aussi des légendes sur les feux-follets qui sont une manifestation lumineuse ayant l’apparence d’une petite flamme. Dans les croyances populaires ils étaient tenus pour des esprits malins se plaisant à égarer et perdre les voyageurs que leur trompeuse lumière attirait vers les précipices et fondrières. On raconte aussi que parfois les feux-follets étaient des âmes en peine qui brûlaient des ardeurs de l’enfer.
Sur nos chemins de traverse, un oratoire ou la désignation par un micro toponyme peut aussi faire référence à un ou une série d’accidents rattachés au lieu-dit, souvent escarpé, qui a pu connaître un fait tragique provoqué par un animal domestique (âne, mule, cheval, vache…) qui a fait un écart, entrainant parfois son propriétaire au fond de l’abîme. Le comportement irrationnel de l’animal à cet endroit précis étant alors imputé au Follet qui avait joué un méchant tour à la pauvre bête. La désignation Follet dans micro toponyme ou à l’oratoire jouant alors la fonction de mise en garde adressée aux marcheurs, sur ce point de passage dangereux.
Bien que l’œuvre de Joisten relate qu’une flamme peut indiquer la présence d’un trésor, la description faite du Follet de cette histoire l’apparente plus à un Leprechaun, lutin irlandais, avide de trésors qu’il garde jalousement, qu’à l’être fantastique que nous avons décrit plus haut. Dans la liste des esprits collectés par Joisten et dans les nombreuses légendes archivées, je n’ai pas trouvé de profil particulier d’un esprit ou lutin avide et gardant jalousement son trésor. Ainsi, les chats sans queue, les Afa, les fayots peuvent jouer des tours, indiquant un vrai/faux trésor, ou transformant des épis en pièce d’or, mais rien de comparable à l’histoire que vous vous apprêtez à découvrir maintenant. 

Bonne lecture. 

La légende : Le trésor du Pont long des Fréaux

« Jadis un soldat qui s’en revenait des guerres qu’il avait eues là-bas, de l’autre côté de nos montagnes, en Piémont ou plus loin encore, vers la mer, se trouva si malade en passant par chez nous, dans la gorge maudite d’en bas, qu’il y crut rendre l’âme. À Satan, en vérité, il l’aurait rendue, car il rapportait dans sa giberne un riche butin qu’il avait amassé en pillant mainte ville d’Italie.
Or il traînait à l’arrière-garde de l’armée, n’en pouvant plus, les pieds en sang, au grand risque d’être abandonné de ses compagnons. La giberne était bien lourde. Et le soldat avait si grand désir de revoir son doux pays natal qu’il confia son trésor aux rochers : il l’enfouit sous une grosse pierre du Pont Long, pensant y revenir un jour…
Succomba-t-il avant de revoir son village ? Toujours est-il que le butin plus d’un siècle demeura caché sous la pierre du Pont Long.
Mais l’Esprit Follet qui hante ces lieux a l’œil perçant et les doigts crochus. Il aime l’argent. On sait en nos pays combien il est avare et garde jalousement tout trésor confié par l’homme à la terre ; et aussi qu’il défend l’accès des filons d’or ou des fours à cristaux à ceux qui les cherchent dans le Malleval. Mais sait-on que. L’Esprit Follet et les diablotins élèvent des juments noires dont on entend la nuit les grelots d’argent, quand elles vont paître sous la route, vers la Romanche ?
Or nos anciens connurent que l’Esprit Follet menait bonne garde au Pont Long, donc qu’un trésor y était caché. Mais personne n’osait soulever la pierre.
Deux hommes qui allaient au Dauphin passèrent une nuit de printemps par là. Ils s’étaient mis secrètement d’accord pour s’arrêter au Pont Long et dénicher le butin. La nuit était froide, les étoiles piquaient le ciel sans lune. Le pas des deux compagnons résonnait sur la terre gelée. Et entre les hautes parois noires, ils serraient fort dans leur grosse main un gourdin dont ils s’étaient munis à tout hasard. L’autre main, dans la poche de leur veste, se crispait de plus en plus sur leur chapelet.
Non loin du Pont Long, ils commencent à trembler comme des feuilles, se demandent s’ils vont s’arrêter ou poursuivre leur chemin comme s’ils ne s’étaient pas promis de ravir le trésor. Au moindre bruit du vent dans les mélèzes, ils sursautent et s’immobilisent. Enfin voici le Pont et la pierre dans l’obscurité comme le dos d’une grosse marmotte endormie. Ils approchent, l’oreille aux aguets.
C’est alors que sur la route retentit le bruit d’un attelage infernal. On aurait dit qu’un voiturier fouettait ses juments. On les entendait hennir dans la nuit froide. Les grelots chantaient, le fouet claquait. La charrette geignait et les roues crissaient sur les graviers de la route. Des juments, il devait y en avoir au moins douze. Le cocher devait être très grand, la voiture bien lourde, chargée de sacs d’écus.
Les deux compères qui s’étaient jetés sous le remblai de la route, presque sous le pont tout couvert d’une froide sueur, ne voulaient rien voir… Mais ils entendaient souffler les cavales et le rire de L’Esprit Follet qui venait compter ses écus. Après un temps qui leur parut bien long, la charrette se remit en marche. Alors les deux hommes osèrent passer le nez au-dessus du talus.
Ils avaient encore les oreilles pleines du tintement des grelots, du hennissement des juments, du claquement du fouet, du grincement des roues. Mais la route, devant et derrière eux, était déserte. C’était, n’en doutons pas, L’Esprit Follet qui visitait son trésor et s’en allait vers quelque autre cachette, de lui seul connue. Nos compagnons prirent leurs jambes à leur cou et, d’une traite, coururent jusqu’au Dauphin y cacher leur folle terreur et leur triste déconvenue. Depuis ce jour et tant que dura le Pont Long personne. n’osa s’approcher de la pierre mystérieuse. »

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