L’Oisans souterrain : visite à la mine de la Gardette

Entrée de la Mine de la Gardette, Hippolyte Muller, vers 1900. Fonds d’archives Musée Dauphinois.

L’OISANS SOUTERRAIN : VISITE À LA MINE DE LA GARDETTE

Source : Gallica
Revue :  La Montagne 
Auteur : Laurant Rigotard
Date d’édition : Janvier 1926

Sur le même sujet : Histoire brève de la mine d’or de La Gardette

L’Oisans souterrain.

UNE VISITE AUX MINES D’OR DE LA GARDETTE

Par LAURENT RIGOTARD

Passionnés que sont tous les alpinistes pour la haute montagne, doivent-ils pour cela passer la courbe de 1 500 mètres sans voir les hommes qui animent les niveaux inférieurs, sans étudier ce qui s’y passe, sans remarquer ce que la nature y a pris soin d’accumuler, sans s’intéresser à la vie du monde, du monde dont ils sont après tout, dont ils sont encore malgré leurs envolées plus près du ciel.

Sans doute les impressions éprouvées à 1 000 et 1 500 mètres d’altitude sont bien pâles à côté des frissons qu’on ressent en lisant les prouesses qui s’accomplissent au-delà de 4 000 mètres. Et si je suis encouragé à parler de promenade dans la basse montagne — incapable de parler des hautes altitudes qui me sont inconnues —, c’est bien par la lecture d’une fort belle page du peintre A. Ch. COPPIER parue ici même (voir La Montagne, 1924, p. 202-211.). Pour nous comme pour lui la montagne est enivrante, non seulement par les difficultés qu’elle offre aux ascensionnistes, mais par tous ses aspects, par toute sa vie, et l’alpiniste peut s’intéresser aux observations les plus variées d’ethnographie, de géographie et de géologie, de botanique et de climatologie ; il pourra contempler des paysages à toutes altitudes, les peindre ou les décrire ; il trouvera intérêt à visiter les industries de la montagne… Et c’est ce à quoi je vous convie aujourd’hui. Faisons un tour dans les mines de l’Oisans.

À tout seigneur tout honneur, commençons par l’or. Allons visiter les mines de La Gardette près du Bourg d’Oisans, mines célèbres dans le monde scientifique par la variété spéciale de cristaux de quartz qu’elles recèlent (mâcle de La Gardette).

Le filon de quartz aurifère qui a donné lieu à diverses exploitations depuis le XVIIIe siècle était connu des paysans de la localité. D’après les renseignements que nous trouvons, dans le livre d’Albert BORDEAUX, La Géologie et les Mines de la Savoie (V. La Montagne, p. 29), les paysans recueillaient de l’or en 1765 et parmi eux les histoires locales mentionnent Laurent Gardent qui porte ses pépites à la fonderie d’Allemont, alors dirigée par SCHREIBER.
En 1776 le filon fut concédé au comte de Provence, le futur Louis XVIII, qui avait alors 21 ans. Après les études de SCHREIBER on met en exploitation en 1781 : la mine coûte 30 000 livres et rapporte 7 500 livres. On l’abandonne. Une médaille d’or existant au musée de Grenoble a été frappée, en souvenir de cette exploitation, avec l’or de la Gardette.
En 1829, concession à un belge, qui se révèle étranger et n’a pas qualité. La concession est passée à une Société française en 1838, qui en trois ans dépense 45 000 francs et recouvre 7 500 francs.
En 1840 on abandonne les travaux.
Il est vraisemblable que depuis, on a tenté diverses exploitations, jusqu’au moment où la mine fit partie des affaires servant de tremplin au faux financier Rochette (crédit minier). Elle connut un renouveau éphémère d’activité.

Quoi qu’il en soit de l’histoire de La Gardette, bornons-nous aujourd’hui à visiter la mine et à écouter parler les indigènes, sans aucune prétention de faire une enquête.

À une demi-heure du Bourg d’Oisans, sur le sentier de Villard-Notre-Dame, près d’un petit torrent, passé les Rochers du Ponté, se trouvent les premières galeries de mine.
La première fois que j’y montai, je m’aventurai dans une galerie, une bougie à la main. À 10 mètres de l’entrée, ma bougie est soufflée par un courant d’air froid. Qu’importe, je continue la visite et, au retour, je constate que j’avais passé sur un profond puits vertical, ouvert au milieu de l’étroite galerie, et à demi couvert par quelques vestiges de planches pourries.
Véritable piège à fauves qui eut pu m’absorber sans qu’il en restât de trace… La galerie avait une allure débonnaire à en juger par son entrée ouverte aux curieux. Pour la visite plus complète faite ensuite (28 août 1912.) je me suis muni des recommandations du gardien-chef de l’usine de traitement des minerais située au Vert, M. BOUSCA YROL, qui fut depuis, m’a-t-on dit, tué à la guerre. Une seule galerie des mines du Ponté est sans danger, elle permet d’arriver à un filon de galène argentifère de plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur. En effet, à La Gardette on n’a pas exploité que l’or, des filons de galène argentifère assez riche formaient une grande partie du tonnage traité dans la charmante petite usine du Vert, où nous verrons toute la métallurgie de l’or en raccourci. N’anticipons pas.

Après un coup d’œil aux mines de plomb du Ponté, continuons à suivre le sentier du Villard-Notre-Dame. En une heure environ nous arrivons au hameau de La Gardette à 1 290 m. d’altitude.
Trois maisons à gauche du sentier, dont deux aujourd’hui démolies, l’autre désertée… c’est là qu’habitait encore le père GARDENT, en son temps mineur, d’outre-mer, et chef mineur de l’Oisans ; il avait vu la reprise de l’exploitation en 1838 et la fin en 1840. Ce vieillard à grande barbe blanche, type du montagnard accueillant, ayant vagabondé à travers le monde, est revenu finir ses jours dans sa maison, revivre sa vie de jeunesse à la mine. Il avait la garde des filons abandonnés où il avait longtemps travaillé : la concession est de 47 hectares et elle est entièrement située sur la commune de Villard-Notre-Dame. L’exploitation avait été reprise en 1896, et l’or y fut extrait jusque vers 1902, le plomb et l’argent jusqu’en 1912. Que ne fut-elle toujours aussi bien gardée… n’en disons pas plus long pour ne pas trahir les confidentielles révélations de l’honnête vieillard, que je n’ai pas eu le plaisir de retrouver en 1924. J’ai vu sa stèle dans le petit cimetière du Villard-Notre-Dame…

Le père GARDENT prépare deux lampes de mine à huile, d’un modèle antique, munies d’un long harpon : « Il faudra les tenir devant soi, au ras du sol ; on avancera doucement ; vous me laisserez marcher devant. » La conversation s’engage au sujet de l’exploitation ; discret d’abord : il m’en dira beaucoup plus long tout à l’heure quand il me connaîtra mieux. Treize ans après je ne veux pas le trahir.
Il me mène par un sentier, à travers bois, vers l’ouverture d’une grande galerie, près d’un torrent, dans un talweg sans végétation, et de pente rapide. Près de l’entrée, le sol est déjà jonché de très beaux morceaux de cristal de roche. La galerie, large de plus d’un mètre, haute de deux, est taillée dans une roche dure à grain fin, de teinte verdâtre. À cent mètres de l’entrée, on prend une bifurcation à droite. Cette deuxième galerie suit un très beau filon de quartz épais de 40 centimètres et rempli de poches tapissées de cristaux de quartz. Dans ces poches, une boue jaunâtre et sur les cristaux les plus limpides un dépôt ocreux masque la transparence. La galerie a environ 250 mètres de longueur, A 75 mètres environ de son entrée se trouve une cavité de plusieurs mètres cubes, remplie d’eau jusqu’au ras du sol, lui-même couvert d’eau. Pour éviter de s’y plonger, on doit toujours marcher très à droite le long du mur en allant, et tenir sa lampe en avant, très près du sol. Avançons avec précaution… Voici un puits de 20 mètres de profondeur pratiquement invisible, il est plein d’eau comme toute la galerie ; il est également situé du côté gauche à l’aller, et son ouverture vient jusqu’au milieu du passage. Plus loin la galerie devient sèche et sans danger. Elle se termine brusquement sur un puits très profond qui la fait communiquer avec une autre située beaucoup plus bas et dont l’entrée est visible au bord du sentier du Villard-Notre-Dame, non loin de La Gardette.

Après cette visite, qui procure au minéralogiste l’occasion de cueillir de forts beaux échantillons de quartz et quelques autres minéraux ou roches dignes de son attention, on peut, en prenant un sentier qui fait suite à celui venant de La Gardette, rejoindre un peu plus bas le sentier du Bourg-d’Oisans.
Que devenaient les minerais d’or de La Gardette ? de plomb et d’argent du Ponté ? De chacune de ces mines des câbles conduisaient le minerai brut à l’usine du Vert située juste au-dessous, dans la plaine. Dans cette usine, des roues hydrauliques et un moteur à vapeur actionnaient les machines.
Les minerais de plomb concassés et broyés grossièrement étaient soumis à un enrichissement mécanique, le quartz était éliminé par courant d’eau, la grenaille de galène, assez pure, était expédiée aux usines de Pontgibaud. On pouvait traiter environ 30 tonnes par jour. Depuis 1912 les frais du traitement et du transport y ont fait renoncer.
L’or était traité différemment et avec plus de soin ; c’est une leçon de métallurgie de l’or que l’on peut suivre en visitant l’usine du Vert. Le minerai d’or de La Gardette entre dans la catégorie justiciable du traitement par amalgamation. Dans les grandes lignes, voici ce qui était fait : le quartz aurifère broyé très finement était entraîné dans un « sluice », puis il passait sur des tables à mercure au nombre de trois (petites tables de 2 m. x 6 m. environ) qui retenaient les parcelles échappées au « sluice ». Ce mercure une fois distillé rendait l’or en poudre parfaitement pure. Un four à creuset situé à quelques mètres de l’usine permettait de préparer les lingots d’or.
Des lingots d’or furent en effet extraits de La Gardette, et si cet or n’avait pas eu la curieuse propriété d’être… volatil, il est hors de doute que l’exploitation aurait été rémunératrice. Laissons ce côté de la question.
En 1924 j’ai retrouvé l’usine en ruine ou peu s’en faut. Et comme elle appartient désormais à l’histoire, il m’a paru que le moment était venu d’en parler.

LAURENT RIGOTARD

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