Sépultures gauloises de Venosc.

Planche archéologique

SÉPULTURES GAULOISES À VENOSC EN OISANS.  Description détaillée des sépultures gauloises découvertes à Venosc vers 1839.

Revue archéologique, date d’édition : Octobre 1858 Source : Gallica.Bnf.

SÉPULTURES GAULOISES À VENOSC EN OISANS (ISÈRE)

Par Jacques-Joseph Champollion, dit Champollion-Figeac (né le 5 octobre 1778 à Figeac dans le Lot et mort le 9 mai 1867 à Fontainebleau), archéologue français.

Le village de Venosc est situé au nord du torrent de Vénéon, dans la partie supérieure de la vallée de l’Oisans. Au centre d’une contrée désolée par les grandes œuvres de la nature, et qui se termine par un éternel glacier, le touriste est agréablement distrait de ce spectacle attristant par l’aspect inattendu « d’une oasis de délicieuse verdure, où est assis le village de Venosc, où vivent quelques gros propriétaires de cette vallée presque inconnue : la fertilité de l’entourage de Venosc produit aussi un effet frappant. »

D’après ces conditions naturelles du sol, il n’est pas étonnant que dans une contrée aussi abrupte que l’est la partie haute de l’Oisans, une oasis d’une si grande fertilité ait toujours été habitée et cultivée depuis que l’industrie humaine y a pénétré, et dans les temps même antérieurs à l’invasion romaine dans les Gaules. Les sépultures que je vais décrire en sont un témoignage irrécusable.

Ces sépultures furent découvertes à Venosc, vers l’année 1839. Je recueillis alors les notes sur lesquelles j’écris la présente notice, et je possède encore des objets en bronze qui y furent découverts.

Les squelettes étaient couchés sur un lit de dalles, de pierre schisteuse qui abonde dans le pays ; leur visage était tourné vers l’orient ; les dimensions de leurs os principaux annonçaient parfois des hommes d’une stature au-dessus de la moyenne : cette circonstance fut un des caractères physiques de la race gauloise.

Dans les débris des ossements, on trouve des anneaux ou bracelets formés d’une tige en bronze de quatre millimètres de largeur, plane à l’intérieur et portant quelques ornements en relief. De l’avis d’un habile ouvrier en métaux, la tige, dans une longueur indéterminée, était tirée au banc, c’est-à-dire recevait, au moyen d’une pression mécanique, les empreintes en relief qui formaient les ornements ; découpés ensuite en morceaux, les deux bouts de chaque morceau étaient soudés et formaient l’anneau ou le collier. L’habileté de la soudure est remarquable; il n’en reste aucune trace; le diamètre total des bracelets que j’ai conservés est de cinq à six centimètres. Ces mesures convenaient à des mains et à des bras d’enfants et de jeunes femmes.

Un de ces bracelets se distinguait de tous les autres, et sous plusieurs rapports. Ce n’est plus d’une tige de bronze qu’il est formé ; c’est d’une lame du même métal de près de deux centimètres de largeur, bombée aussi et chargée, à l’extérieur, d’ornements réguliers; mais ces ornements sont en relief dans le creux et faits au burin. La surface qui les offre est distribuée en huit compartiments carrés, dont le champ est alternativement orné de quatre disques ou de lignes parallèles très-rapprochées ; les deux bouts du bracelet ne sont pas soudés; l’élasticité du métal secondait l’entrée de la main, et, parvenu au bras, une agrafe allongée y fixait le bracelet en serrant et retenant les deux bouts, terminés à cet effet par une espèce de bouton; l’ouverture oblongue du bracelet est de six centimètres sur cinq ; l’élasticité l’augmentait dans les deux sens.

La même année 1839, des sépultures analogues furent trouvées sur le territoire de la Grave (Hautes-Alpes); des bronzes semblables y furent recueillis ainsi que des restes de colliers, composés, les uns de disques d’ambre ou autre matière résineuse, de trois centimètres de diamètre à l’extérieur, sur quinze millimètres d’épaisseur; et d’autres, de disques de pierre dure et noire, sur la circonférence de laquelle avaient été creusés trois vides arrondis, qui étaient remplis d’une substance solide et d’une couleur qui tranchait sur le fond. Percés à jour à leur centre, ces disques réunis dans un fil, formait le collier.

Toutes les indications qui composent cette description sont autant de caractères et de signalements de monuments funèbres gaulois. J’en ai trouvé de semblables dans diverses parties de la Gaule, soit dans des sépultures isolées, soit sous des Pierres-levées, près des Pierres-fichées ; et enfin dans tous les tumulus.

Dom Martin, dans son Traité de la Religion des Gaulois, en rappelle et en décrit plusieurs exemples; j’ai réuni dans mon Traité d’Archéologie (les lecteurs de la Revue archéologique se rappellent l’intéressante notice publiée, au sujet de la découverte d’objets semblables à Ornon, par M. Antonin Macé, dans la Revue des Alpes, et dont nous avons donné un résumé. Voir plus haut, page 502 ), toutes les notions qui, de l’avis des maîtres de la science, donnent une origine gauloise aux monuments de cet ordre ; et, en 1857, la Revue archéologique a publié ma description du cimetière gaulois de Cély (Seine-et-Marne), ainsi que des colliers et des bracelets semblables à ceux de Venosc, tirés des sépultures de Cély. (Ici, les colliers d’hommes, en tige de bronze, ornée à l’extérieur, étaient ouverts, s’attachaient aussi avec une agrafe et avaient douze centimètres de diamètre. Ceux des femmes, soudés, avaient vingt-deux centimètres. Les colliers d’hommes serraient le col ; ceux des femmes descendaient sur la poitrine.)

Sur les uns et les autres, l’art et les usages gaulois se révèlent, et la science recueille avec soin ces précieux témoignages dans l’intérêt de ses doctrines.

Du reste, ces traces de civilisation dans les hautes vallées de l’Oisans, ne sont que la conséquence naturelle de la position géographique et politique de cette contrée dans les temps primitifs de l’histoire moderne. Dans l’inscription latine du Trophée des Alpes, conservée par Pline l’ancien, les Uceni sont nommés parmi les peuples des Alpes, et l’ordre topographique dans lequel ces peuples sont cités a fait unanimement reconnaître les Uceni dans le canton qu’on appelle encore Oisans. Une route romaine, indiquée dans tous les itinéraires latins et figurée sur la carte des voies romaines gravée sur une table de cuivre, où les dernières additions sont du temps de Théodose, conduisait de Vienne au Mont-Genèvre, en passant par Moirans, Grenoble, la vallée de la Romanche, depuis Livet jusqu’à l’Oisans, tournait de là vers Misoen, retrouvait la Romanche, suivait la Combe de Malaval, dépassait le col du Lautaret et arrivait au Monestier et de là à Briançon ; et c’est sur cette route qu’on a placé, en tenant compte de quelques analogies dans les noms, les stations romaines indiquées dans cette carte antique : Morginum, Moirans ; Cularo, Grenoble ; Catorissium (vers le Bourg-d’Oisans); Mellosedum, Misoen; Durotincum (près le Villar-d’Arène), Stabatione ou Statione, le Monestier de Briançon, et Brigantium, Briançon.

Cette route d’Italie en Gaule, par le mont Genèvre, Briançon et l’Oisans, était la plus courte de toutes. Celle de Grenoble à Briançon par Gap et Embrun est aussi gravée dans la carte Théodosienne ; mais la route par l’Oisans, alors comme aujourd’hui, épargnait aux soldats et aux voyageurs plusieurs journées de marche. À Briançon aboutissaient aussi du centre de l’Italie, la voie militaire par les Alpes Cottiennes et la voie consulaire de Milan à Arles. La route de Briançon à Grenoble fut donc fréquentée dans tous les temps.

Il est utile de recueillir, avec une attention toute patriotique, surtout pour les indications topographiques, ces souvenirs gaulois ou romains, qui sont aussi un beau chapitre de notre histoire nationale. Gloria majorum.

J. J. CHAMPOLLION-FIGEAC.

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