Chez la Marquise

AÉRIUM CHEZ LA MARQUISE
Première publication 25 septembre 2011, mise à jour le 1er semptembre 2024
Je remercie chaleureusement Fernande pour son accueil et le temps qu’elle a bien voulu me consacrer ainsi que Louisette sans qui cette rencontre n’aurait pas été possible.
– Note de la mise à jour : Fernande nous a quittés le 6 janvier 2024

Si vous êtes passé par le Freney d’Oisans pour vous rendre à la station d’Auris, dans le village, à un carrefour, vous avez remarqué une maison à l’architecture atypique, qui détonne dans une commune de montagne.
Une tour massive aux arêtes délimitées par quatre chaînes d’angle en pierre de couleurs pâles, un sommet efflanqué d’un toit à la géométrie pyramidale. Face à la route, de grandes fenêtres ornées de décorations vinicoles sans doute peintes à la main sur des carreaux de faïence dont quelques-uns se sont détachés. 
En bas à gauche une première porte, quelques marches à droite pour accéder à une terrasse et une autre porte… Deux accès possibles sans doute.

Cette bâtisse à un nom qui laisse planer une histoire dont le sillon remonte jusqu’à une noblesse locale… Chez la Marquise. Je trouve que cela lui va comme un gant.
Dans les années 50, cette maison accueillait une trentaine d’enfants venus des quatre coins de l’Isère. Ces maisons d’accueil s’appelaient des « aériums ». À cette époque, notre département comptait une douzaine de ces maisons spécialisées soit un peu plus de 500 lits.
Entre la colonie de vacances, le centre de soins médicaux ou le sanatorium, l’aérium était un établissement de cure au grand air pour les enfants âgés de 3 à 16 ans indemnes de lésions tuberculeuses qui ne relevaient pas d’un préventorium. Créés après la Seconde Guerre mondiale, ils étaient souvent situés en moyenne montagne, Isère, Savoie, Vercors… Prescrits pour de longs séjours réglementés par arrêté ministériel, les enfants pouvaient bénéficier de cette structure sur des périodes allant de 3 à 6 mois suivant l’affection. Durant cette cure, les enfants conservaient leurs activités scolaires maintenues par des enseignants au sein de la structure.
Les derniers aériums ont fermé dans les années 70.
Dans l’incontournable livre de Roger Canac « Ces demoiselles au tableau Noir » j’ai trouvé ces quelques lignes qui décrivent brièvement l’Aérium « Chez la Marquise ».

Page 128
« Avec Michelle, la comparaison avec Auris en fit une capitale. Elle me parla du centre créé par l’œuvre des villages d’enfants pour recueillir les enfants « chahutés » par la guerre et la misère. Installé «chez la Marquise», une maison à plusieurs étages, et dans divers locaux du Freney, le village d’enfants était alors un aérium et possédait deux classes fonctionnant à mi-temps. Il était dirigé par un instituteur. Je n’étais pas isolée, le monde enseignant était bien représenté. » (Extrait du texte de Janine André, institutrice au Freney d’Oisans 1950)

Pourquoi « Chez la Marquise » ?
Note complémentaire rédigée avec l’aide de Denis VEYRAT.
La maison prend son nom de Marie Sophie Catherine CHABERT, née au Freney le 26 mars 1881 et décédée le 30 juin 1975 à Marseille. Elle était la fille de Pierre Chabert, né à Clavans le 18 novembre 1848, issu d’une riche famille de Clavans qui possédait d’immenses pâturages entre le Perron et Les Quirlies ; terres qu’ils ont vendues au XIXe siècle à la famille du riche berger de mouton actuel de Clavans et Besse. Sa mère était Marie Joséphine Fleur, née au Freney le 18 mars 1859, également issue d’une riche famille qui a financé la restauration de l’église du Freney au XIXe siècle.

Mademoiselle CHABERT quitte le Freney très jeune, avant son 15e anniversaire, elle se marie avec Louis Eugène BROSSETTE le 21 juin 1900 à Boufarik en Algérie. Louis Eugène meurt en 1914, Marie Catherine Chabert hérite des mines de zinc, plomb et de cuivre. Elle se sépare d’une partie de ses mines en 1916 et une autre en 1919, mais semble garder une mine (nom de la concession Draamine) que l’on retrouve dans des documents jusqu’en 1929 comme sa propriété et à son adresse. Ensuite, elle se remarie avec Jean Etienne Richard Johanito TRAMOY DE LAUBEYPIE.

Je n’ai pas trouvé dans ces deux mariages de titre clairement établi de marquis pour ces deux maris, mais la piste la plus sûre serait que le titre de Marquise lui a été accordé après son premier mariage, la maison familiale des BROSSETTE depuis 1850 étant le Château Fougères à Poule-les-Echarmeaux dans le 69. Puis Marie Sophie Catherine marie sa fille Mathilde.

Sur sa vie au Freney, nous n’avons pas grand-chose. Après son premier mariage, elle passe une grande partie de sa vie en Algérie. En 1928, elle participe à la création d’un sanatorium. En 1929 (mais sans doute avant) elle est citée comme viticultrice à Alger (une frise en faïence ornée de grappes de raisin habille les avancées de toit et cadres de fenêtres de la Marquise). Dans la revue « le gaulois » du 30 janvier 1929, elle figure en bas de liste dans les chevaliers de la Légion d’honneur.

Puis, toujours en 1929, elle semble participer dans l’administration d’une parfumerie. En 1930, elle est associée au mécénat du Musée d’Alger qu’elle dote d’une somme d’argent. En 1932, un lotissement « Tramoy de l’Aubeypie » est cité dans la chronologie des principaux évènements architecturaux et historiques de la construction d’Alger. En 1934, elle offre des lots pour une tombola des enfants victimes de guerre du département d’Alger. En 1934, son mari est indiqué comme administrateur principal de la S.A. Les Habitations salubres d’Alger à Hussein Dey, le siège social correspond à son adresse, rue Michelet. Ce projet immobilier concerne 4 lots d’immeuble d’habitation moderne, de type HLM. En 1936, elle figure dans la liste des donateurs au musée d’Alger. En 1937, elle est aussi donatrice d’une grosse somme d’argent pour un arbre de Noël. En 1939, elle est citée plusieurs fois dans les journaux pour sa distinction à l’ordre d’officier à la Légion d’honneur (le 12 août 1939 semble être la date). D’autres textes laissent supposer que c’était une femme d’affaires avisée, très impliquée dans le caritatif, presque philanthrope. Il est aussi question dans un texte d’un discours important retraçant sa vie, qu’elle aurait lu lors de la remise d’une distinction ou lors d’un congrès sur les vignobles d’Alger, mais le texte n’est plus malheureusement disponible.

Encore aujourd’hui (2024), après la vente de cette maison de caractère, on dit toujours « Chez la Marquise » en souvenir de Marie Sophie Catherine TRAMOY DE L’AUBEYPIE, née en Oisans, femme au destin extraordinaire, dite La Marquise du Freney d’Oisans.

Cliquez-moi !

Château de Fougères, de la marquise Tramoy de Aubépy, à Poule les Echarmeaux, dans le département du Rhône. Photo Marie et Jean Poulet.

Le hasard a voulu qu’un jour où je prenais les photos de la Marquise, je croise Louisette, qui m’informa que sa tante Fernande, actuellement sur le Freney, avait travaillé « Chez la Marquise » dans les années 50. Rendez-vous est pris alors avec Fernande Rignon, née Pellorce qui nous raconte un petit bout de sa vie du temps où elle travaillait « Chez la Marquise ».
L’enregistrement a une durée de 18 minutes. Cliquez sur le triangle pour lancer le player.

Fernande Rignon

Time code de l’interview

0,00 min    0,13 min    Présentation.
0,13 min    0,17 min    Date de naissance de Fernande.
0,17 min    0,27 min    Certificat d’étude.
0,27 min    0,30 min    Travail à la ferme.
0,30 min    0,41 min    Une vie très occupée.
0,41 min    0,50 min    Au Freney jusqu’en 1944.
0,50 min    1,02 min    Le papa de Fernande réquisitionné avec son mulet par les Allemands.
1,02 min    1,06 min    Retour du papa en décembre, les pieds gelés.
1,06 min    1,15 min    Fernande quitte le Freney pour travailler à Grenoble pendant 2 ans.
1,15 min    1,28 min    Retour au Freney, travail à l’hôtel du Barrage du Chambon.
1,28 min    1,43 min    Nouveau départ pour Grenoble.
1,43 min    1,49 min    Nouveau retour au Freney en 1950
1,49 min    1,58 min    Travail Chez la Marquise.
1,58 min    2,17 min    Travail de Fernande chez la Marquise.
2,17 min    2,22 min    En quelle année ?
2,22 min    2,36 min    Une colonie pour enfants malades.
2,36 min    2,40 min    Fernande avait un enfant à charge.
2,40 min    3,05 min    Travail plus détaillé Chez la Marquise.
3,05 min    3,12 min    Nombre d’enfants dans l’établissement.
3,12 min    3,25 min    Comment arrivaient les enfants ?
3,25 min    3,38 min    Des périodes de cure de 3 à 6 mois.
3,38 min    3,52 min    L’encadrement dans l’établissement.
3,52 min    4,03 min    Mariage d’un gars du pays avec une institutrice.
4,03 min    4,22 min    Le directeur Martin, sa femme et ses enfants.
4,22 min    4,37 min    Fernande remplace le cuisinier.
4,37 min    4,44 min    Départ du directeur.
4,44 min    5,03 min    Les enfants scolarisés pendant la cure.
5,03 min    5,23 min    Pas de mélange avec les autres enfants du village du Freney.
5,23 min    6,04 min    Les enfants restaient longtemps pour se refaire une santé.
6,04 min    6,54 min    Agencement des salles dans la Maison.
6,54 min    7,22 min    La vie des enfants pendant la cure.
7,22 min    7,38 min    Les week-end.
7,38 min    7,56 min    Visites des parents.
7,56 min    8,33 min    L’âge des enfants en cure.
8,33 min    9,17 min    Quelles catégories de personnes ?
9,17 min    9,37 min    Les cours et l’enseignement.
9,37 min    9,53 min    Une infirmière pour tous les enfants.
9,53 min    10,06 min    Fonctionnement toute l’année.
10,06 min    10,33 min    Fermeture définitive de l’établissement.
10,33 min    11,05 min    Nombre d’années passées Chez la Marquise.
11,05 min    11,40 min    Madame la Directrice.
11,40 min    12,32 min    La Mission de l’établissement.
12,32 min    13,00 min    Comment arrivaient les enfants.
13,00 min    13,39 min    Sélection des enfants pour ce type d’établissement.
13,39 min    13,50 min    Pas de communication avec les autres enfants du village.
13,50 min    14,47 min    Tout le personnel en interne pour fonctionner en vase clos.
14,47 min    15,01 min    Une institutrice mariée avec un gars du pays.
15,01 min    15,31 min    Retour des enfants chez eux après le séjour chez la Marquise.
15,31 min    15,47 min    Des enfants revenus au Freney après une cure ?
15,47 min    16,12 min    Mariage de Fernande avec un homme du barrage du Chambon.
16,12 min    16,37 min    Pas de contacts avec les enfants.
16,37 min    17,17 min    Souvenir de cette période ?
17,17 min    17,39 min   Quelle ambiance dans la Marquise
17,39 min    18,5 min    Travail au début de son séjour.
18,5 min    18,25 min    Comment avez-vous trouvé ce travail Chez la Marquise ?
18,25 min    18,51 min    Souvenirs des derniers jours ?

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