VOYAGE EN OISANS DE CHARLES-FRANÇOIS DAUBIGNY 4-4
Souvenirs du Bourg-d’Oisans étape d’un voyage de Charles François Daubigny en Dauphiné
Source : Archives André Glaudas
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Souvenirs du Bourg-d’Oisans étape d’un voyage de Charles François Daubigny en Dauphiné
Par Maurice Hocquette
Édition Atelier du Livre
38520 Le Bourg-d’Oisans 1976
C’est au cours d’une promenade au hameau de La Paute, au moment des pluies abondantes et drues d’automne que DAUBIGNY exécuta le dessin qui allait être gravé à l’eau-forte en 1840 (28,5 x 19,5 cm). Un chasseur de chamois suivi de son chien mouillé, dégoûté du temps, harassé, revient dans la bourrasque. La pluie cingle et les arbres sont courbés par la tempête. Le chemin boueux, la vieille route du Bourg, passe à travers les divagations de La Lignarre, delta torrentiel à la végétation épaisse d’arbres qui n’ont malheureusement pas le facies d’aulnes. — À propos des arbres, pour cette eau-forte comme pour le saint Jérôme, rappelons que DAUBIGNY avait échoué au « concours de l’arbre » — . À l’arrière-plan, dessinés avec un grand souci de topographie, à droite Le fond des Roches dont la stratification en plis ondulés n’est pas visible et l’emplacement du Puy, ensuite vers la gauche la pente escarpée au-dessus du Bourg d’Oisans et le contrefort septentrional de la Tête du Vallon, les rochers de La Garde tout à fait à gauche. Il y a beaucoup de vérité dans cette œuvre, non seulement pour le paysage dont les détails ont été sciemment négligés, mais aussi pour la façon d’être du personnage. Il est allé à la chasse aux postes d’affut sur le Taillefer ou sur la Cime de Cornillon, il rentre chez soi par la vallée de La Lignarre, descendant d’Ornon ou d’Oulles. Il se dirige vers Les Sables et chacun sait que dans ce hameau du Bourg-d’Oisans ont habité depuis longtemps de hardis et malins chasseurs et des braconniers rusés et adroits (Auguste Doulat alias le père Bourre était de ceux-là). Il a le fusil en bandoulière, sur l’épaule droite il porte un gourdin, tenu devant lui à deux mains, auquel, à dos, est suspendu le gibier par l’entrave des pattes arrière. Habituellement, pourtant, le chamois, lourd, est porté en collier sur les épaules, ventre contre cou et il est tenu des deux mains de chaque cote par les pattes ou par les pattes de derrière et les cornes.
DAUBIGNY assista à deux événements tragiques. D’abord, à un feu de forêt. À la fin du mois d’aout « j’en tends tambouriner dans la rue on avertissait tous les habitants du Bourg-d’Oisans de prendre des pioches et des haches pour aller couper le feu qui venait de prendre à 4 lieux de là dans une forêt de sapins… à livet (livet) » au-dessus des Clots de Rioupéroux. « Je voulais voir l’effet le soir… je partis… j’aperçus une grande lueur et ensuite tout le versant d’une montagne on fou c’était admirable et effrayant cela me rappelait les irruptions du Vésuve qu’on nous représente seulement au lieu de lave c’était des troncs de sapins qui tombaient de cette montagne à pic et allaient mettre le feu à d’autres qui se trouvaient en dessous, je regardais sans respirer ce beau spectacle… c’est extraordinaire la vitesse avec laquelle un sapin prend feu tous vieux grognards de sapins portent une barbe résineuse et ayant des 120 pieds de hauteur et bien en une minute, ils étaient grillés on avait à peine le temps de se sauver une flamme vive et pétillante prenait le sapin à la base l’enveloppait et ses feuilles étaient toutes brulées, il ne restait que le tronc noir et déchiqueté qui a lors était
long à bruler c’était très curieux à voir… »
Et puis, à la fin du mois de septembre 1839, il fut témoin d’une des nombreuses ruptures de digues de La Romanche. Elle « a quitté son lit et est entrain de se le faire au milieu du bourg… » On travaille à fermer la brèche, « c’était très curieux de voir tous ces hommes poser les premières cabrettes et abattre de grands arbres qu’ils laissaient tomber dans l’eau pour arrêter la force du courent… ces bougres de paysans préfèrent garantir leurs champs individuellement que de se mettre tous ensemble à un alignement général l’égoïsme de chacun les empêchent de le faire par ce qu’ils croiraient travailler pour leurs voisins… il faut… des gendarmes et des procès-verbaux pour les forcer d’aller travailler à… remettre La Romanche dans son lit ».
On a dit qu’à partir de 1854, après le quatrième voyage en Dauphiné, DAUBIGNY avait abandonné la montagne. En réalité ce fut bien avant. La vraie montagne il ne l’avait connue que dans la traversée des Alpes en 1846 et qu’au Bourg-d’Oisans.
La région de Crémieu et de Morestel ne montre qu’un faible relief. Elle ne peut être jugée montagneuse que par les Parisiens pour qui la Savoie s’étend entre le Rhône et la frontière franco-italienne du lac Léman aux Alpes-Maritimes. DAUBIGNY avait apprécié déjà en 1847 les paysages calmes, les nappes d’eau stagnante, les frondaisons qui s’estompent dans la buée des marécages de l’ile de Crémieu. Là, François-Auguste RAVIER eut une grande influence sur lui. Comme le peintre de Crémieu, il comprit qu’il ne pouvait être en pleine possession de ses moyens que dans ses lieux de prédilection, les sites où il suffit de changer un peu de place pour que le motif se transforme et soit traduit en des versions différentes. Si RAVIER fut le peintre des marais brumeux, « de l’agonie radieuse du crépuscule, lorsque le soleil dévore la substance de la terre, et que la couleur devient, selon le mot de Goethe, la souffrance de la lumière » (Jean GUITTON), des couchers de soleil — je n’en ai jamais vu d’aussi beaux et d’aussi authentiques, même à Grenoble, qu’au mois de décembre 1975 à la Galerie Jonas, 12, rue de Seine à Paris — DAUBIGNY fut celui de la prairie, des pacages humides, de la végétation légère en dépit par fois de quelques empâtements, des clairières, des clairs de lune sur les vergers et les labours, du matin à la lumière argentée.
L’accord de la Nature et de son tempérament, il le trouva non seulement à Crémieu et aux environs, mais sur tout en Normandie en 1854 et en 1855 et encore en Bretagne, sur les bords de la Seine, de l’Yonne, de l’Oise (près d’Auvers), et en Flandre anglaise élue début du XIXe siècle pendant ses voyages à Londres en 1865.
Il fut vraisemblablement influencé par les œuvres des paysagistes et en 1866. Cette année-là, il exposa, à Londres, l’effet de lune, levée de soleil avant la pluie sur le chemin de halage, La Tamise à Woolwich. Il éclaircira sa palette, il ne fut plus esclave des règles de composition enseignées à l’École des Beaux-Arts en gardant toutefois une certaine traditionaliste académique. Il apparaît surtout sensible aux aspects de la Nature et fut un des maîtres du néo-paysagisme. Il n’avait pas le métier romantique. Aux sous-bois denses, aux compositions qui suggéraient le bruit des cascades et des torrents, la profondeur sombre des affreux précipices, la hauteur vertigineuse des cimes, il préférait les pentes douces du terrain, l’eau tranquille.
En rejetant l’âpreté, la raideur des contours montagnards, en donnant l’impression d’espace, en agençant les éléments du tableau dans une synchronie générale, dans un fondu de tons légers, de transparence limpide et dans une subtile polychromie des Ciels, DAUBIGNY contribua à « l’émancipation du paysage moderne » et annonça les impressionnistes.
Les paysages d’Espagne (voyage de 1869) apparurent à DAUBIGNY crus et heurtés, ceux de Cauterets (cure en 1872), les hauts reliefs, les cimes et les rochers pyrénéens lui semblèrent rébarbatifs et troublants.
La montagne n’avait inspiré DAUBIGNY que pendant sa jeunesse et n’avait inspiré DAUBIGNY que pendant sa jeunesse et peu de temps qu’en Oisans.
Le Mas de l’Isle.
20 mars 1976
Extrait d’un courrier sans destinataire rédigé par Charles-François Daubigny
14 octobre 1839, au Bourg d’Oisans.
…travailler un peu le soir. Maintenant, je suis tellement
connu au Bourg que tout ce que vous m’écrirez me
parviendra toujours. Voilà comment il faut mettre
sur la caisse : Mr … chez Madame Brun,
aubergiste, au Bourg-d’Oysans, dép. de l’Isère
par Grenoble. De cette manière, ça me viendra
sûr. Seulement, écrivez-moi le jour ou vous mettrez
le paquet à la voiture, afin que je prévienne le
conducteur d’ici, pour qu’il m’informe au bureau.
Marquez-moi aussi le nom des messageries que
vous prendrez. Du reste, ça vient toujours. Il est
fort utile de mettre « près Briançon », car ça
en est trop loin.
Voilà maintenant ce que j’aurais besoin,
d’abord, 4 brosses de martre plates et un peu
longues… et des rondes,
Tâchez que les brosses plates fassent la pointe.
Prenez, dans les 4 une un peu plus petite. Ensuite
Comme couleurs, j’aurais besoin d’Outremer ; un
Demi-once ; ensuite si vous pouvez mettre de
la bonne huile grasse ; je n’en ai plus et, à Grenoble,
Elle ne vaut rien pour les couleurs, tournez la
page s.v.p.