1725, les Digues de la Romanche

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Atlas de Trudaine, zoom sur les digues de la Romanche et du Vénéon.

1725, LES DIGUES DE LA ROMANCHE 
Description de l’état des digues de la Romanche en 1725
Document transmis par M. Xavier GONORD de Clavans-en-Haut-Oisans.
Transcription et commentaire en fin d’article M. Denis VEYRAT d’Auris.

Sur le même sujet : La grande inondation du 9 août 1852

NOTA : Graphie original et mise en page respectée.
1 toise = 1,949 m

Transcription : 

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À Monseigneur 
Monseigneur de Fontanieu 

Intandant de la province de
Dauphiné

Supplient humblement les habitants
du Bourg d’Oysans

Représantent que la rivière 

de Romanche sépare les communauté 

du Bourg d’Oysans et de la Garde, 

Celle du Bourg estant au couchant et 

celle de la garde au levant.

La communauté du Bourg d’Oysans s’apercevant

que le Canal de cette rivière se
remplissoit de gravier et de sable, apansionna (apensionner : donner en location)

en 1616 à plusieurs particuliers une 

quantité considérable de communaux

sous plusieurs conditions entre autres
de faire et entretenir dans la suitte

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une quantité de soigner les digues 

et réparations contre laditte rivière

de Romanche pour l’empêcher de

sortir de son lit, ces réparations sont

au nombre de quinze cent toises (± 2900 m) qui prennent

depuis la montagne et vont en biaisant
pour recueillir les eaux du torrent de
Vénéon et de la rivière de Romanche.

Du nombre de ces particuliers le

Sieur Jeune est celuy qui en a la plus

grande quantitté et par l’acte qui a
esté passé à ses autheurs le quatre juillet
1616 sous cette condition de faire
et maintenir bien et décemment les
réparations pour que l’eau sortant
de son lit ne puisse endommager les
fonds qui sont au dessous, et qu’a cet effet
il feroit les dittes réparations dans
l’endroit qu’il trouveroit le plus commode

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Les autheurs dudit sieur Jeune suivant
laditte faculté ont fait quelques légères
réparations sur le bord de laditte
rivière de Romanche et sur le terrain
de la communauté du Bourg lesquelles ledit
Sieur Jeune à maintenu, et nonobstant
tout ses soins, il n’a pu empêcher
lors des inondations que l’eau de laditte
rivière n’ay sorty de son canal et se
jette dans ses fonds et dans tous ceux
de la plaine qui ont été endommagés
considérablement et touttes les prises
pandantes perdues. La rompure (rupture) de
1708 arrivée aux réparations dudit Sieur
Jeune est trop de fraîche mémoire
pour la rétablir il luy en coûta plus
de quinze cents livre outre ses prises (action de capturer une rivière ; écluse au moyen de laquelle on retient une partie de l’eau pour la détourner).
perdues et des dommages et intérêts
qu’il fut contraint de payer à ceux
qui avoient souffert

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Depuis cet apantionnement le canal
s’est tellement élevé qu’il est plus
élevé de quatre ou cinq pieds au-dessus
des fonds ce qui a fait que les particuliers
qui sont tenus à la manutention des dittes (conservation, au maintien)
réparations on été obligés de les élever
considérablement, ainsy aux premières
pluyes et fontes des neiges elles sont
toujours exposées d’être emportées et les
fonds inférieur submergés et gâtés
aussi bien que les fruits

En 1713, il en arriva une qui gâta
quantité de fonds qui sont depuis
ce temps là en friche et hors d’état
d’être remis et touttes les prises en deçà
de laditte Romanche gâtées.

L’année dernière 1724, il en est arrivé
de même, tous les fonds en deçà de
laditte rivière ont esté couvert des

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eaux d’icelle pandant un moi de suitte
et gâté généralement tous les chancives (concession d’une terre à un exploitant)
froment foins, jardins, même inondé
jusque au premier étage des maisons
de la rue basse pour raison de quoy
les habitants se sont pourvus à votre grandeur
monseigneur pour qu’il luy plus commettre (désigner)
quelques personnes pour dresser estat
des pertes desdittes prises fonds ruynés
et dépenses faittes pour remettre l’eau
dans son lit ordinaire.

Au levant de ladite rivière de Romanche,
et le long d’icelle il y a une digue ou
chaussée qui sert de Grand chemin
les particuliers aboutissant sont tenus
de la maintenir à cause de leur fonds.
De tous ces particuliers il n’y a que
les habitants du village des Vernis en
nombre de trois qui se sont pourvus

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à votre grandeur Monsieur, [ce qui
est à observer tous les autres qui sont plus
intéressés que ceux des Vernis ne disent
mot et soustiennent que ce projet leur
sera d’un grand préjudice] et ont exposé
que les réparations du sieur Jeune
sont la cause des fréquantes inondations
et le changement du lit de ladite
rivière sur lequel elle a ordonné
audit sieur Jeune de démolir lesdittes
réparations dans trois jours

Les suppliants ont demandé la surveillance
de l’exécution de laditte ordonnance
jusques à ce qu’ils fussent en estat
de faire leurs très humbles remontrances
Ils espèrent que votre grandeur Monseigneur
d’être favorablement escoutté d’autant
mieux que si cette ordonnance estoit
suivie il y va de la destruction entière

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de leurs biens maison et du chemin
Royal entre les deux grands ponts
qui deviendra impraticable, ce que
l’on a vu touttes les fois qu’il arrive
pareilles ruptures.

1o
Les raisons des suppliants sont qu’ils
n’y a aucun changement du lit
de la Romanche, que c’est l’ancien canal
par où elle a toujours passé, que s’il
y a quelques léger vestiges dans l’endroit
que ceux des Vernis prétandent, se sont
les traces de la rompure de 1708 qui
causa tant de dommage.

2o
Que dans l’endroit où sont les réparations
de question le canal est trois fois
plus large que partout ailleurs et
par conséquent en état de contenir
l’eau

3o
Que là où sort lesdittes réparations

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C’est sur le terrain de la communauté
du Bourg, et que si l’on changeoit
ledit canal l’on osteroit à laditte communauté
du Bourg des communaux qui luy
appartiennent pour les donner à la
communauté de la Garde

4o
Que sy l’on fait abattre des réparations
du sieur Jeune, il est impossible de
maintenir l’eau dans son canal et de
l’empêcher de se jetter dans tous les fonds
des habitants qui sont en deçà de la
Romanche, et dans les maisons ce qui
les réduira tout à coup à l’hospital
parce que le canal est sy élevé dans
cet endroit, et les fonds sy bas et sy
inférieurs qu’il faudroit des remparts
de deux toises (presque 4 m) d’élévation et d’une
largeur proportionné ; encore ne seroit-
ils pas en sureté dans les grandes

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crues des eaux et l’on ne croit pas
le sieur Jeune en estat de faire cette
dépance.

Que les habitants des Vernis peuvent les
réparer de leur côtés sans toucher aux
réparations du sieur Jeune, l’expérience
du passé le fait assez connoistre
les innondations estant moins fréquentes
de leur costé que de celuy du Bourg-d’Oysans
où elles sont annuelles et très souvant
deux ou trois fois dans une années. Cette
dernière innondation n’a duré au Vernis
qu’un Jour et du costé du Bourg elle a
occupé le terrain pandant près d’un mois
et depuis bien longtemps l’on n’a pas
vu leur réparations en meilleur estat
quoy qu’elles le sont à présent. Il y a de
la négligence de leur part, ils ont eu des
fonds du Roy par trois différentes fois
pour leur ayder auxdits travaux.

La vue des lieux du côté du couchant

Page 10
persuadera Votre Grandeur Monseigneur
de ce que dessus et du danger où est exposé
la plaine du Bourg-d’Oisans et les maisons
d’être englouties sous les eaux et réduit
à la dernière misère, ce qui fait qu’ils
recouvrent : 

À ce qu’il soit de bon plaisir de Votre
Grandeur Monseigneur permettre à
la communauté du Bourg et aux particuliers
Qui sont chargés de la manutentions desdites
digues et réparations de continuer à les
réparer sur leur bord et terrain de ladite
communauté comme ils ont fait au passé
avec défense à ceux du vernis et à tous
autres de les troubler à peine de punitions
corporelle sauf à eux de se réparer sur
leur bord ainsi qu’il a faire.
Et les suppliants continueront leur vœux
et prières pour la santé et prospérité de
Votre Grandeur.

Remarques et notes de M. Denis VEYRAT :

Il est nécessaire de faire un peu de cartographie pour comprendre les deux premières pages du document.

1. Cartographie
Atlas de Trudaine réalisé entre 1745 et 1780 : Lien pour consulter l’image haute définition.

Carte de Cassini éditée entre 1779-1781 :


Carte IGN masterplan et Cassini  :

 

Carte IGN et carte d’État Major 1820 :

 

J’ai comparé la carte IGN (état actuel) et la carte de l’atlas de Trudaine (état en 1750 environ), c’est celle qui se termine par 8478p036r01-p ; la carte de Bourcet n’est pas très claire ici.
a) Je compare les échelles : pour IGN pas de problème, pour Trudaine échelle de 600 toises. Pour vérifier la cohérence j’évalue la distance à vol d’oiseau entre Le Vernis et les Alberges : avec IGN environ 2,3 km ; avec Trudaine environ 1000 toises, soit 2 km. C’est assez cohérent.
b) Le confluent Romanche-Vénéon : pour IGN il se fait quasiment sur la limite actuelle des communes d’Auris et de BO, à angle droit ; c’est la conséquence de la rectification du lit de la Romanche à la fin du 18e ou au début du XIXe siècle (sur la carte de Cassini couleur c’est déjà le cas), sur la carte de Trudaine le confluent se fait entre le Vernis et La Bayette à environ 300 mètres en aval de La Bayette
c) Les digues : sur IGN la grande digue actuelle qui part de la montagne (après la Croix du Plan) file en ligne droite jusqu’à la Bayette (longueur 2 km). Donc cette digue a modifié le lit du Vénéon, elle est plus à l’est (le lieudit actuel « Les Isles » devait être en 1725 dans les divagations du Vénéon). Sur Trudaine il semble que la digue soit sur le Vénéon (il y a un pointillé sur la rive gauche), puis après le confluent la digue est sur la rive gauche de la Romanche (pointillé jusqu’après le pont méan). Je ne suis pas sûr qu’il y ait un digue en amont du confluent.

2. Les Sieurs JEUNE

Entre 1616 et 1725 il y a au moins trois générations (peut-être quatre)
a) En 1616 et jusqu’au milieu du XVIIe c’est Nicolas Jeune (époux Rose Bois), notaire du Freney ou peut-être son père.
b) Pour la deuxième moitié du XVIIe ce sont les fils de Nicolas :
– Soit Jean Jeune (épouse Louise Françoise Pellorce), le grand marchand, Bourgeois de Lyon, mais aussi éleveur maquignon au Freney, décédé en 1695.
– Soit Hugues Jeune (époux de Anne Eymard), avocat et châtelain d’Oisans entre 1670 et 1690), décédé en 1705.
c) Pour le début du XVIIIe comme Hugues Jeune n’a pas de garçon, il faut se retourner vers les héritiers de Jean Jeune, il a quatre fils vivants :
– Nicolas (1689-1736), Bourgeois de BO, célibataire, mais deux filles naturelles avec deux femmes différentes ; l’agriculture n’est pas son activité principale.
– Crépin (1674-1711), Bourgeois de Lyon, il a succédé à son père dans le négoce de Lyon.
– Laurent (1675-1734), conseiller du Roy au parlement de Grenoble, c’est l’héritier universel (testament) de son père, mais il ne parle jamais dans son livre de raison d’une activité agricole à BO.
– Jacques (1683-1765), célibataire, Bourgeois de BO, il a des propriétés (fermes, habitation) au lieudit Le Paradis proche des zones inondables ; assez investi dans la vie de la communauté de BO, c’est donc vers lui que va ma préférence pour la gestion de ces terrains communaux en « apensionné » (en location).

3. Quel est le différend entre la Garde et le Bourg d’Oisans ?

À cette époque les terrains entre la rive droite de la Romanche et la falaise appartiennent à la communauté de La Garde, ainsi que les hameaux : le Vernis, la Tannerie, les Essouilleux, Bassey, Vieille Morte et peut-être Chatillon. De l’autre côté, les Alberges faisaient peut-être partie de la communauté des Gauchoirs.
La « petite route » qui longe la rive droite de la Romanche jusqu’à environ 500 m en amont de la Bayette s’en écarte ensuite pour se rapprocher de la falaise (le hameau des Alberges se trouve entre la « petite route » et la Romanche) a été l’objet de travaux importants dès 1680 sous Colbert (peut-être une surélévation).
Le différend concerne les habitants du Vernis : ils ne veulent pas être inondés, donc ils préfèrent que la Romanche s’écoule sur les terrains situés en deçà de la « petite route ». Je suis surpris d’ailleurs que l’on ne parle pas des dégâts causés à la route.
Une autre hypothèse possible est la suivante : la digue sur le Vénéon contient l’eau de la Romanche et elle doit s’échapper par La Bayette et inonder Le Vernis.

4. Conclusion
C’est dommage que l’on n’ait pas la réponse de l’intendant Fontanieu.
Administrativement le problème sera résolu après la Révolution lorsque les terrains et hameaux situés rive droite seront rattachés à la commune de BO au grand désespoir de La Garde !

Nota : Les livres de Bernard François, historien de l’Oisans relate l’histoire de la Romanche de ses digues ainsi que les nombreuses inondation dans ces deux ouvrages :
La Romanche, Des Ruines de Séchilienne au Barrage du Chambon
Mémoire du Bourg-d’Oisans », Tome .II
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