LÉON BALME JOURNALISTE – 1877-1907
Source : Les Alpes pittoresques, 31 août 1907
Articles connexes :
– Le Général Bataille
– Le monument Scott au Lautaret
Nota : Léon BALME (1877, décédé subitement le 20 août 1907) était un journaliste et un homme de lettres très éclectique et talentueux. Il a collaboré avec Les Alpes Pittoresques, il était rédacteur sportif pour Le Petit Dauphinois et correspondant pour L’Auto, il concevait également des jeux d’énigmes pour ces mêmes journaux. Fondateur du « Stade Grenoblois », il a contribué à son heure de gloire. Employé comme Clerc chez M. Guignier, avoué, il a créé l’Association amicale de la Basoche, une société corporative et philanthropique florissante. Léon Balme était également auteur à ses heures, il a écrit des satires pour divers théâtres.
Un monument, inauguré un an après sa mort, a été érigé à sa mémoire, au cimetière de Bourg-d’Oisans .
NÉCROLOGIE DANS LA PRESSE RÉGIONALE
La mort foudroyante de Léon Balme, — que nous avions vu partir, tout heureux, il y a quelques jours, en vacances, au Bourg-d’Oisans, et dont, comme toute le monde, nous avons appris simultanément le décès subit et la si courte maladie, — n’a pas causé moins de stupéfaction, ni de chagrin, dans les bureaux de rédaction des Alpes Pittoresques —, ou l’élégance de son style lui avait ouvert toutes les portes, et la douceur de son caractère, conquis aussi les cœurs.
À l’heure où nous enregistrons, de notre côté, cette funèbre information — après tout ce qui en a déjà été écrit par tous les journaux de la région, nous ne pouvons encore nous faire a l’idée d’un aussi brutal, atroce et incroyable dénouement.
Et la raison, justement, se révolte devant un tel contre sens : d’un jeune homme doué de si rares qualités d’intelligence, d’observation et de finesse, si lamentablement emporté, au moment même où tant d’espérances qu’avait fait concevoir son sincère talent allaient enfin pouvoir pleinement se réaliser, car l’écho de ses premiers triomphes avait depuis longtemps franchi l’enceinte des petits cénacles où s’exerçait sa verve et le succès le guettait sur de plus vastes champs d’expérience. Se recommandant lui-même par l’abondance et la fraîcheur de son esprit satirique — bien plus qu’il n’était depuis longtemps désigné par son prédécesseur en la matière pour continuer la tradition — et cédant à de pressantes instances —, sa trop scrupuleuse et modeste probité littéraire s’était enfin décidée à composer, pour cet hiver, la Revue annuelle du Casino de Grenoble. Et l’on en augurait une œuvrette des plus joyeuses.
En vérité, quelque inéluctable qu’elle soit — et si sagement qu’il faille s’y résigner —, la mort est souvent illogique, et elle est doublement aveugle et cruelle quand elle frappe avec autant d’aveuglement et de cruauté.
Amoureux de toutes les belles choses, épris de littérature et d’art, et passionné de sports. Léon Balme avait, forcément, une prédilection marquée pour cette revue des « Alpes Pittoresques » — qu’il avait vu naître, dont il avait encouragé les débuts — et qui, sinon avec le luxe et l’exubérance nécessaires, du moins —, avec ardeur et conviction, servait son idéal. Et cette tendresse de bon ami se manifestait en toutes les circonstances — trop rares, à notre gré —, par la plus précieuse des collaborations.
Son goût délicat, sa distinction native, l’excellence de son éducation, mise au service de ses relations mondaines, se complaisait, de préférence, dans la « Chronique des Salons » et ce lui était une joie, égale à la notre, de pouvoir nous communiquer la nouvelle inédite, par exemple, de quelque sensationnel mariage. Nous perdons en Léon Balme, — mieux qu’un ami, dont le juvénile enthousiasme savait parfois stimuler nos lassitudes —, le plus actif elle le plus subtil des reporters désintéressés et volontaires.
Mais cette activité débordant de basochien évadé de l’aridité des grimoires ne pouvait trouver un aliment suffisant à de si maigres reportages. Et le clerc d’avoué, qui rimaillait déjà sur son papier timbré les « Chansons rosses, » qu’il devait nous chanter plus tard, adorait courir l’école buissonnière à travers tous les genres, hormis le genre ennuyeux et banal. Et c’est, sans doute, au cours d’une de ces escapades, que Besson, qui s’y connaît en rédacteurs, n’avait pas hésité à se rattacher au « Petit Dauphinois » en qualité de chroniqueur sportif. Et nul, mieux que lui ne savait, avec science et faconde, narrer les prouesses de nos sportsmen, retracer les détails de nos grandes épreuves dauphinoises.
Au surplus, pour connaître en quelle estime et en quelle affection le tenaient tous ses camarades, — soit de son journal, soit de toutes les autres sociétés auxquelles il appartenait —, il n’y a qu’à lire les nécrologies qui lui ont été consacrées, et le récit des magnifiques funérailles qui lui ont été faites, et les les oraisons funèbres prononcées sur sa tombe.
C’est M. Besson, directeur du « Petit Dauphinois », le plus autorisé, certes, pour en parler, et qui avec une profonde émotion prend le premier la parole :
J’ai le douloureux devoir, dit-il, d’apporter à notre pauvre et cher ami Léon Balme, au nom du « Petit Dauphinois, » qu’il a honoré de son talent, le dernier et suprême salut.
Il y a douze ans, celui que nous pleurons à cette heure venait frapper à notre porte pour nous apporter sa première chanson. Et depuis, il n’a pas cessé d’être pour nous le collaborateur le plus dévoué en même temps que l’ami le plus sûr.
Puisque cette tombe nous réunit tous dans une douleur commune, je demande à la tolérance des croyants sincères de bien vouloir me permettre de mêler et de confondre aux prières de la mère de notre ami, à cette mère éplorée et si atrocement frappée, de mêler et de confondre aux prières de ses deux pauvres sœurs, nos regrets et nos larmes.
C’est, ensuite, M. le Docteur Girard, maire du Bourg-d’Oisans :
… Je ne pouvais pas se laisser fermer cette tombe sans dire à celui que nous venons accompagner ici quelle part la population du Bourg-d’Oisans prend au deuil de ses proches.
La famille Balme est une des plus vieilles et des plus honorables de cette région. Mon jeune ami était lui aussi la bonté et le dévouement mêmes, bien que son aspect parût tout d’abord grave et froid.
Puis. M. Henri Second, doyen de la presse Grenobloise :
… Ce qu’il y a de plus triste quand on vieillit, c’est de voir mourir les autres. Et quels autres! Je n’irai pas jusqu’à dire, comme le populaire, que les bons s’en vont, quand les méchants restent ; mais, assurément, ce sont trop souvent les meilleurs, les plus jeunes, les plus vivants, ceux sur qui l’on pouvait fonder les plus légitimes, les plus longues espérances, qui disparaissent brusquement, en plein épanouissement, en pleine force, nous laissant ainsi dans la tristesse et dans la nuit, alors qu’ils nous promettaient tant de joie et de lumière !…
D’autres hommages, aussi éloquents, aussi fraternels, sont apportés à Léon Balme, par M. Pascal, président du Comité régional des Sociétés Sportives des Alpes, et par M. Chion, président de la « Basoche. »
Après tous ces témoignages, après avoir, à notre tour, présenté à son inconsolable famille nos sentiments sincères de respectueuses condoléances, et à notre tour, pieusement salué la mémoire du jeune confrère, — dont nous garderons également, vivaces, l’impérissable souvenir —, que nous resterait-il à écrire, si ce n’est, encore une fois, de déplorer amèrement de voir à jamais brisée cette plume, à jamais muette cette bouche, à jamais éteinte celle féconde inspiration, si bien faites, en leur causticité mélancolique et exquise, pour amuser, pour plaire et pour charmer.
GRATIANOPOLIS