Les truites sacrifiées du Chambon

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Mise en eau du chambon, 1935, archives Freneytique

LES TRUITES SACRIFIÉES DU CHAMBON

Archives André Glaudas : Article du Dauphiné du 9 mars 1972

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Le Lac du Chambon va être asséché sans que l’on puisse sauver ses truites.
L’aveu est indispensable : la nouvelle de la très prochaine vidange du barrage du Chambon, sur la route de Bourg-d’Oisans au col du Lautaret, a surtout ému les pêcheurs de truites du département de l’Isère. Car le reste des populations n’a trouvé que peu d’intérêt à cette Information. Peu lui chaut, en effet, que le Groupe régional de production hydro-électrique-Alpes d’Électricité, de France procède à une opération dictée par des règles de sécurité, mais qui n’aura aucune conséquence palpable dans les foyers et les usines.

Cependant, le fait de mettre à sec le grand lac artificiel sans que les services chargés de la protection de la faune et de la faune aquatique en particulier aient eu le temps de faire leur devoir est assez irritant. Nous ne croyons pas deviner dans l’annonce tardive de l’« Opération Chambon » qui s’étendra du lundi 13 au jeudi 16 mars inclusivement, un témoignage de mauvaise volonté.

Il apparaitrait plutôt que les techniciens, essentiellement préoccupés par les questions spécifiques de la production d’énergie et qu’ils résolvent à la satisfaction générale d’ailleurs ne sont pas encore suffisamment sensibilisés à celles qui ont entrainé la création d’un ministère de l’environnement et de la protection de la nature.

Déjà en 1961
Quoi qu’il en soit, Électricité de France est contrainte d’assécher la retenue, en raison selon toute vraisemblance d’une vérification de la vidange de fond que les troncs d’arbres, les rochers et les boues charriées par ce torrent furieux qu’est la Romanche, risquent d’obstruer. La remise en eau qui doit commencer le 15 avril laisse donc un seul mois de battement pour les travaux éventuels, ce qui laisserait supposer qu’on ne prévoit pas de dégâts importants. Quant à la date choisie pour l’entreprise, elle ne peut que se situer au plein cœur de l’hiver, coïncider avec l’étiage de la rivière qui, dès le printemps, se reprend à courir dans sa gorge sauvage, transportant une quantité de boue évaluée à 100 000 mètres cubes par an.

À la place du grand et beau lac qui naquit, en 1935, en même temps que son barrage qu’on dirait indestructible, tant les mesures ont montré que sa santé est à toute épreuve, le promeneur va donc dominer une étendue noirâtre, crevassée et peu engageante.

Ce ne sera pas la première fois.
En effet, déjà entre décembre 1960 et avril 1961, les ingénieurs avaient commandé semblable opération. Personne avant eux n’avait eu, dans le monde, à procéder à pareil travail. Ils avaient dû imaginer une batterie flottante de quatre pompes refoulant chacune 3 000 litres d’eau à la seconde, utiliser un procédé suisse de dragage de la boue, un système de pompage après émulsion… et bien d’autres choses encore. Leur plan les avait occupés ; pendant plusieurs années, depuis ce jour de 1956 où après ouverture des vannes le la vidange de fond, seul un mince filet d’eau s’était écoulé révélant une obstruction quasi totale de la conduite.

135 truites et la pollution
On comprend bien que ces travaux soient indispensables. Il fallait seulement qu’ils soient annoncés en temps utile pour le sauvetage des poissons, aussi bien ceux du lac que ceux de la Romanche en aval du barrage la Fédération des associations de pêche la Direction départementale de l’Agriculture de l’Isère, la région piscicole de Lyon qui appartient au conseil supérieur de la pêche étaient prêtes à mettre en œuvre de gros moyens, rien n’ont pas eu le loisir.

Résultat décevant d’une pêche électrique
Ainsi, on aurait pu envisager la mise en place, immédiatement sous le barrage, d’un piège emprisonnant les truites rejetées par la vidange, on dit une « grille de pêcherie » — car il était impensable de procéder à une pêche au filet sur le plan d’eau lui-même. Ceci
veut dire que la presque totalité de la faune de la retenue est condamnée.

En aval sur le territoire de la commune du Freney-d’Oisans, la région piscicole a organisé des pêches électriques. La première a eu lieu lundi, avec la participation effective de six gardes et en présence en particulier, de MM. Batias et Reynier, ingénieurs en chef de la région piscicole.
Les résultats ont été très décevants et instructifs. Sur 800 mètres ils ont été décevants, car 135 truites seulement ont été capturées, trois mesuraient 50 centimètres, les autres entre 18 et 30 centimètres. C’est bien peu ! Mais il faut ajouter (c’est la partie instructive) que sur un parcours supérieur à 100 mètres, aucun poisson n’a été « piégé ». En effet, deux égouts du Freney se jettent ici et on peut les rendre responsables du phénomène.
La pollution n’est pas un mythe.

D’autres pêches électriques auront lieu encore sur le même parcours pendant la vidange. Elles sauveront certainement encore d’autres poissons, mais la Romanche sera rapidement asséchée.
C’est la raison pour laquelle la région piscicole a demandé le détournement du ruisseau « le Ferrand » qui se jette dans le lac un peu au-dessus du barrage sur la rive droite. La rivière ne serait plus ainsi complètement à sec.

Rien n’est donc tout à fait perdu… sinon les 30 000 truitelles déversées en 1970 dans le Chambon.

Avouez que c’est dommage !

Maurice TINGAUD

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