1878 : Étude sur la voie romaine de l’Oisans (IX)

1878 : ÉTUDE SUR LA VOIE ROMAINE DE L’OISANS (Partie IX)
Remerciement à M. Alain Pellorce qui nous a confié ce document.

Neuvième partie du document découvert dans une maison de Clavans

Où il est question du camp pénitentiaire de Brandes, de ruines sur le bord du chemin des Rousses, d’une confusion de M. HERICART de THURY, d’un tombeau de prince atteint d’un mal mystérieux, d’une excursion en 1876 et d’un monument volumineux.

Un établissement tel que celui de Brandes, à la fois pénitentiaire, industriel et commercial, exigeait un mouvement considérable et une surveillance particulière sur les condamnés envoyés aux mines. Cette surveillance était d’abord exercée par le castellum de la voie secondaire, qui avait pour charge spéciale la conduite de ces criminels depuis les Châtains jusqu’à Brandes. Elle se faisait de plus par le moyen de barrières placées sur les principales issues de communication autour de la montagne de Brande. C’est ainsi qu’à Cluys, dont le nom semble venir du mot latin OCCLUSIS une barrière de ce genre paraît avoir existée pour empêcher l’évasion. Dans son trajet sur le plateau de Brandes, la voie secondaire en passant à 100 mètres au-dessus de l’établissement métallurgique, communiquait avec lui au moyen d’un embranchement de 8 à 10 mètres de largeur qui se voit encore.
En deçà de ce point , un chemin latéral, assez large pour un char et marqué aujourd’hui par un  sentier se détachait d’elle pour monter au Nord Est, du côté de l’Herpie, et par des contours répétés, arriver sur le 1er degré des Rousses, où se trouve le lac Blanc. Après avoir passé sur la rive droite du lac, il montait encore un peu et suivait de là toute la pente occidentale des Grandes Rousses jusqu’au col de la Cochette. Toute cette pente était, depuis l’Herpie jusqu’à la Cochette, sur une longueur de 7 ou 8 Km, le théâtre principal des immenses travaux dont il a été question. On peut encore y suivre le chemin qui venait de Brandes, et voir en passant des orifices de mines sans nombre, des excavations profondes des débris de toute espèce, lorsque toutefois les uns et les autres ne sont pas recouverts par les moraines ou par les glaces, car le changement de température d’est fait aussi vivement sentir, depuis l’époque romaine, sur ces régions, alors garnies de forêts, et aujourd’hui froides et glacées, et dont l’altitude moyenne est de 2500 mètres ? De loin en loin on peut reconnaître, depuis le lac Blanc, des ruines de constructions sur les bords de ce chemin; ces ruines, presque inaperçues, sont trop vieilles pour ne dater que des exploitations delphinales auxquelles elles avaient dû servir après les Romains.
Cependant les vestiges romains ne sont pas les seuls dignes d’intérêt sur les Rousses. A côté d’eux, et sur les bords du Lac Blanc se trouve  si nous ne nous faisons illusion, un monument plus vieux encore, d’apparence celtique, et qui paraît solliciter aussi vivement l’attention. Avant de le décrire, une rectification qui le concerne nous semble nécessaire.  Un minéralogiste célèbre, M. HERICART de THURY, ingénieur de la fonderie d’Allemont et archéologue, après une ascension sur les Rousses au commencement du siècle actuel, signala parmi les curiosités de cette excursion, un dolmen celtique sur les bords du lac Blanc, et à ce dolmen il donna le nom du TOMBEAU DU PRINCE. En le désignant ainsi, le récit de M. H. de Thury et le tableau qu’il fait des lieux et place, le tombeau présentent une confusion singulière, dans laquelle l’auteur parait avoir été le jouet d’une mémoire infidèle. En effet ce tableau plane entre le pied des glaciers et les rives du lac Blanc, les ruines de Brandes, lesquelles se trouvent loin des glaciers, sur le plateau des prairies qui leur est inférieur, et à 900 mètres au-dessous du lac, et il commet une pareille erreur relativement à des mines situées, selon M. H. de Thury, au dessous de ces ruines. De la confusion topographique des lieux a du provenir la confusion historique qui, pour M. H. de Thury, à fait une seule date et un seul monument de 2 époques et de 2 monuments différents, si l’un et l’autre ont existé.
Le souvenir d’un tombeau du prince, est effectivement vivant parmi les habitants d’Huez, de qui dépend la montagne des Brandes. Les anciens en ont entendu parler par leurs pères, mais nul ne saurait dire où il est. Vainement on le rappelle à leur pensée sous la forme, indiquée par M. H de Thury, de 3 blocs de granit, dont 2 dressés et inclinés l’un vers d’autre, sont recouverts d’un autre bloc posé horizontalement.  Nul n’a vu de monument de ce genre sur toute la montagne.

La tradition unanime du pays a conservé la mémoire d’un prince Dauphin qui, au moyen âge, s’occupait pour sa maison des Brandes et que tout l’Oisans connaissait sous le nom de prince de roi ladre. Était il ladre au physique ou au moral ? C’est ce qu’il n’est pas possible de juger d’après l’histoire, qui se fait même sur son nom propre. Toutefois ce prince ayant passé pour avoir résidé quelque temps dans le pays, l’été au château que les dauphins possédaient à Brandes (à la même place que la tour du commandant romain) et l’hiver dans une tour châtelaine située dans la plaine près des ESSOULIEUX , il est permis de croire, que atteint peut-être d’un mal contagieux et redouté , il vivait dans l’isolement, séquestré de la cour delphinale. Décédé dans cet isolement il aurait été inhumé sur point de la montagne de Brandes et sur sa tombe on aurait élevé le simple monument que rappelle M. H. de Thury. Ce monument peut avoir existé en 1804. Depuis lors, il a pu perdre la forme de table qui le représentait, en s’affaissant sur lui – même, en s’enfonçant dans le sol et devenir méconnaissable. Quoiqu’il en soit, l’Oisans, d’après son histoire n‘ayant jamais vu sur ses montagnes d‘autres princes que ceux de la race des Dauphins le tombeau dans la montagne de Brandes garde le souvenir ne pourrait être que celui d’un membre de leur famille. Mais entre un tombeau de ce genre et un dolmen celtique, la dissemblance est trop grande pour qu’il y ait besoin d’insister.
Une excursion que nous avons faite au lac Blanc le 25 septembre 1876 nous a mis, croyons nous, en présence d‘un véritable monument de ce genre et telle est l’observation que nous en avons rapportée.
«  Sur un tertre pierreux qui s’avance vers le milieu du lac Blanc entre le grand lac et un petit lac situé au bas de la montagne, on voit comme un groupe de blocs granitiques de diverses grandeurs. Presque juxtaposés ils sont dressés les uns à côté des autres, dans une position verticale, avec une base plus large pour trois d’entre eux. Divisés dans le sens de la hauteur en fragments plus ou moins volumineux, et fendillés ils semblent avoir fait corps dans le principe et avoir été brisés par une action violente. Dans leur ensemble ces blocs réunis présentent la forme d’un quadrilatère irrégulier, assis sur une base plus large que la face supérieure, se terminant elle-même en pyramide irrégulière  tronquée. De ces blocs, le plus grand à 4 mètres de longueur, 3,5 m de haut et 2 m d’épaisseur avec deux faces latérales. Le second à 3,30 m de Ht et le 3e deux mètres avec une face chacun. Leurs formes frustes excluent toute idée du travail de l’homme. Pourtant, sur les 4 faces extérieures de ces blocs on aperçoit des excavations creusées dans la pierre, au nombre de 3 sur chacune des faces des 3 blocs et de 4 excavations sur la 4e face. La largeur des excavations varie de 15 à 30 centimètres et leur profondeur est de quelques centimètres seulement. Leur forme est irrégulièrement arrondie. Sur 3 des faces indiquées, ces excavations sont disposées en triangle irrégulier ; sur la 4e face, le triangle s’allonge au moyen de 3 excavations sur une même ligne, surmontées d’une 4e excavation, correspondant à celle du milieu des trois autres. Le fond de ces trous est recouvert de poussière adhérente au roc. L’ensemble de ces blocs et leurs excavations portent avec eux un caractère singulier, mais dont la signification semble plausible, si on la cherche dans les fastes du druidisme des Gaules. On sait que les Celtes, adorateurs de Gal ou Teutatès, symbolisaient leur divinité sous la forme d’un bloc colossal de pierre. Sur cette pierre, ils lui érigeaient des autels formés de tables quelquefois énormes, pour l’accomplissement des sacrifices druidiques. Ces tables étaient disposées au-dessus du bloc, au moyen d’appuis, contre la pierre, et l’autel ainsi dressé reposait sur lui comme sur un piédestal. Tout, dans celui-ci, considéré comme bloc unique, parait avoir parfaitement répondu à un emploi et cérémonial de ce genre.

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