1888 Les malheurs d’un Colporteur au Costa Rica 1–2

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Asphodèle, planche de colporteur, XIXe siècle, collection Musée Dauphinois.

1888, LES MALHEURS D’UN COLPORTEUR AU COSTA RICA 1/2

Source : Les colporteurs de l’Oisans au XIXe siècle.
Témoignages et documents, par M. Élisabeth Besson, Jean-Pierre Laurent
Publié dans : le Monde alpin et rhodanien, édition du premier et deuxième trimestre 1975.

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1888 Les malheurs d’un Colporteur au Costa Rica

Nota des auteurs : la famille Chouvin réside à La Garde.
Le mari, Claude, est colporteur fleuriste ; il a été incité à exercer cette profession par son beau-frère Arnol, du Mont-de-Lans. Quatre campagnes seulement nous sont connues d’après ses lettres : en 1887-1888, il se rend au Costa Rica, en 1894-1895 à San Salvador, en 1895-1896 à Concepcion (Chili), en 1901 à Rio de Janeiro. Sa femme, Célestine, vit à La Garde avec sa belle-mère. Leur fils unique est en pension à Lyon.
Les lettres conservées sont celles écrites par Claude Chouvin à son fils et à sa femme, ainsi que deux lettres de Célestine à son mari.

Il est pratiquement certain que l’auteur de ce document exceptionnel, qui comprend douze pages manuscrites, n’est autre que Claude Chouvin, colporteur fleuriste de La Garde : en effet, d’une part il a été retrouvé parmi la correspondance de celui-ci et, d’autre part, l’écriture, le style, le contenu sont très comparables à ceux de ses lettres.
C’est une campagne malheureuse, désastreuse même, que décrit ce mémoire. Nous sommes en janvier 1888 au Costa Rica. Claude Chouvin, qui vient d’échapper à un naufrage, se trouve immobilisé à Limon, ville portuaire située sur la mer des Antilles. La tempête persistante empêche le débarquement de ses caisses de plants et de bulbes, qui sont encore dans des chalands, et sa marchandise est en partie perdue. De plus, la ligne de chemin de fer qu’il devait emprunter pour se rendre à Saint-Joseph (San José), capitale du Costa Rica, a été gravement endommagée par des pluies torrentielles. À ses déboires matériels s’ajoutent des difficultés de toutes sortes qui l’opposent aux autorités locales. Sa solitude est grande dans cette ville étrangère dépourvue de consulat de France où il se trouve être le seul Français ; son compagnon de voyage, embarqué au Havre avec lui, s’est arrêté à Port-au-Prince
Bloqué pour une période qui s’annonce longue, il se met à écrire. Son récit débute le 7 janvier 1888, et se poursuivra, jour après jour, jusqu’au 25 janvier, date de son départ.
Il donne lui-même les raisons qui le poussent à écrire : « Je me sui mis a écrire pour pouvoir passer mon temps et me distrère un moment par ce que sitôt que je ne fait rien je sui dans un transport a ne savoir ce que je vai faire ». Ce mémoire n’a donc pas été rédigé pour un lecteur quelconque. Il restera inachevé, Claude Chouvin ne jugeant pas nécessaire de le reprendre une fois sorti de cette dure épreuve.

I — Récit de voyage d’un colporteur fleuriste 1/2

Note de retranscription : Une fois n’est pas coutume, j’ai fait le choix de corriger et de ponctuer ce long texte, qui dans sa publication avait conservé la graphie originale des lettres, ceci afin de le rendre la lecture plus fluide. J’ai toutefois essayé de conserver les formulations et tournures de phares propres à Claude Chouvin.

MÉMOIRE DE MON VOYAGE EN COSTA RICA

Je suis parti du Havre le 10 décembre 1887 avec M. Pellorce sur un bateau allemand. M. Pellorce, lui est resté à Port-au-Prince et moi j’ai continué jusqu’à Port-Limon où j’ai mis 4 jours de Port-au-Prince jusqu’à Limon.

Je suis arrivé avec un temps affreux, en un mot nous sommes débarqués avec le mauvais temps en courant le risque de perdre la vie. Heureusement, il ne nous est rien arrivé. Nous étions trois passagers pour Limon, deux Allemands et moi.

Il pleut, il faisait des ouragans à en avoir peur. La mer était agitée énormément, à un point qu’il y a des chalands qui ont sombré chargés de marchandise et moi j’étais dans un transport terrible. Je ne savais pas si mes plantes se trouvaient dans les chalands sombrés, ou dans ce qui restait. Enfin, tous partent. Un jour du 7 janvier, on a déchargé le chaland auquel il y avait trois caisses, ça [me] fera peut-être encore quelque chose. Je commençais à reprendre du courage. Bon, voilà encore une autre nouvelle plus terrible encore, le chemin de fer [est] endommagé par les pluies torrentielles qu’il fait. Alors je monte voir la compagnie du chemin de fer, et je lui demande si la ligne a bien du mal. Il me répond pour un le mieux en disant qu’il y avait trois ponts d’enlevés et, en plusieurs autres endroits, que les rails étaient emportés. Alors, moi, je lui demande : combien pensez-vous qu’on va mettre de temps pour réparer tous ces dégâts. Il me répond avec son air sans souci, en mode espagnol (quiensé) « qui sait ? ». Alors, jugez de mon désespoir. Il me manquait 4 caisses de plantes, et ne [pas] savoir ce que j’allais faire des trois caisses que j’avais trouvées dans les hangars de la douane. Enfin je me suis dit en moi-même, il fait espérer quelque jour et puis tu verras ce que tu feras.

Bon me voilà un [peu] plus calme pour quelques instants. Me voilà à penser ce que j’allais devenir ce que j’allais faire.
À Port-Limon, je ne pouvais pas vendre, il n’y pas un seul jardin, pas un seul amateur, il n’y avait rien a faire que de prendre le temps en patience. Avec ça, il faisait une chaleur où les gens du pays se prenaient les fièvres, mais, je me dis en moi-même, il ne faut pas trop faire du mauvais sang pour que tu ne [de] viennes pas au moins malade ça serait encore pire de tout. Mais cette consolation durait un quart d’heure, ou une demie-heure au plus, et de nouveau, je me mettais a penser et à calculer [ce] que j’allais faire, ce que j’allais devenir. Je ne pouvais pas aller rejoindre M. Pellorce. Je ne pouvais pas partir. Il n’y avait des bateaux que le 22 janvier pour Colon, ça ne faisait pas mon affaire.
Enfin, je me mettais à réfléchir de nouveau, je ne savais pas où m’adresser, il n’y a aucun Français. On rencontre que des Allemands ou des Anglais. On entend parler que l’anglais ou l’allemand dans les rues ou dans les magasins du reste, il n’y a que des gens de cette langue, on ne voit aucun blanc. C’est peuplé de nègres de la Jamaïque qui sont venus pour travailler au port ou au chemin de fer.
Il n’y a pas beaucoup de magasins. Il peut y en avoir comme 8, le plus en tout et 2 hôtel qui font encre tenu un par un Anglais et l’autre par un Italien qui est marié avec une noire. C’est dans celui-là que je suis descendu. Je paye 1 piastre et demie par jour, ce qui fait en monnaie française 7 francs 50 cents. par jour. C’est horriblement cher toute espèce de chose.

Aujourd’hui dimanche, le 8 janvier je suis allé voir le consul anglais pour lui demande quelque renseignements sur mes caisses qui ne me sont pas rendues encore et il m’a donné la démarche que je dois faire pour me les faire payer par l’assurance française que j’ai assurée avant de partir de France. Et il m’a dit qu’à défaut d’un consul français à Limon, que lui, fera tout ce qu’il dépendra de lui pour m’être utile. Avec ça, j’ai été obligé d’employer cet italien pour me servir d’interprète auprès du consul anglais.
Je ne sais pas comment tout va s’arranger. J’attends maintenant qu’on décharge les chalands qui reste pour voir comment sont les caisses qui [y] sont, s’il y en a encore. C’est que nous allons voir sitôt que le temps se remettra au beau, mais des gens habitués au pays me dise que ça peut durer jusqu’au 15 janvier, c’est ce qui m’ennuie encore davantage.

Enfin, me voilà arrivé au 9 janvier.
Lundi, je me suis levé de très bonne heure et je suis allé voir au port si le mauvais temps a continué. J’ai vu la mer, toujours là même, furieuse, à vous faire peur. Alors je reste un moment à regarder l’eau. Il me semblait que je ne pensais pas à tous mes malheurs. De là, je m’en viens à l’agence lui demander si on n’allait pas bientôt décharger les chalands qui étaient encore chargés. Il me dit que ce n’était pas possible avec ce temps que peut-être dans quatre ou cinq jours, nous aurions du beau temps et que l’on pourrait faire approcher les chalands du port et que l’on déchargerait. De ce pas, je vais voir à la gare pour demander au chef de gare s’il avait reçu des nouvelles de la ligne ce qui se passait. Il me dit que l’inspecteur était parti hier soir pour voir les dégâts qu’il y avait et qu’il n’était pas encore de retour peut-être qu’il viendrait ce soir et de revenir. Qu’il me donnerait tout les renseignements qu’il lui serait possible.

Voilà 11 heures du matin qui arrive. Je viens à l’hôtel pour déjeuner, mais c’est une cuisine de noir. La nourriture est très mauvaise. Je n’ai rien pu manger qu’un peu de riz bouilli et du pain et une tasse de café. Alors je monte dans ma chambre, un moment après il se met de nouveau à pleuvoir, comme si on le versait avec un sceau. Les rues dans un quart d’heure, elles sont impraticables. Enfin, je me suis mis à écrire pour pouvoir passer mon temps et me distraire un moment, parce que sitôt que je ne fais rien, je suis dans un transport à ne savoir ce que je vais faire. J’ai seulement peur que je devienne fou, ou malade dans ce climat si malsain. C’est le même climat de Colon, rempli de fièvres et pas seulement pouvoir ce faire soigner, il y a un médecin, c’est lui qui fait tout, médecin et pharmacien. C’est un pays de sauvage. Il n’y a ni église ni curé. Ils vivent comme des sauvages ensemble, les blancs comme les nègres, c’est tout mélangé. Mais plus de nègres que de blanc. Il y a sur 1500 habitants, 1200 nègres et les autres 300 blancs sont de tout le monde entier. Vous en trouvez de tous les pays, excepté des Français, il n’y en a pas un seul.
J’ai demandé partout si on connaissait quelques Français ici, tous me disent qu’ils n’en connaissent aucun. Donc je suis seul pour me consoler de mes malheurs et que faire, que dire, je ne sais pas.
Voilà bien deux heures et je ne puis pas sortir, dehors il pleut comme l’on n’a jamais vue en Europe on ne pourrait pas faire 20 pas dans la rue que l’on serait mouillé de la tête au pied malgré un parapluie.
Les gens du pays, ils ont un manteau en caoutchouc et des bottes du même qu’il vienne jusqu’aux cuisses sans ça, il ne pourrait pas voyager dans les rues. Du reste, ce ne sont pas des rues, ce sont des marais ou les cochons et les canards font leur résidence jour et nuit. Vous ne voyez que ça, je me sens un peu fatiguer. Je vais me mettre au lit ce n’est pas un lit, c’est des planches et on couche comme ça, avec un drap dessous et une couverture en laine pour ce couvrir qui est très légère.

À 4 heures du soir, je suis allé voir de nouveau à la station du chemin de fer pour savoir ce qu’il en résulte. L’inspecteur n’est pas de retour, on n’en sait rien encore alors, je rentre à l’hôtel, déconcerté, quasi mort d’ennuis.

Voilà la nuit, je monte dans ma chambre un instant et de là, je redescends et je vois une table garnie de monde et je vois qu’ils jouaient aux cartes, mais un jeu américain que je ne comprenais pas. Je les ai regardé jouer et ils m’ont fait place pour que puisse mieux voir et en même temps, ils m’ont dit qu’il fallait que je reste. Qu’il jouait de la bière et que j’en prendrais un verre avec eux.
J’ai attendu jusqu’à 11 heures du soir et j’étais très contant de pouvoir rester aussi longtemps que ça, car, je ne dors pas deux heures de la nuit. Un peu les moustiques, un peu l’ennuie que j’ai tout cela m’empêche de dormir. Alors je monte, je me couche jusqu’à 6 heures, je redescends de nouveau, je prends une tasse de thé et de là je reste encore un moment à l’hôtel et de nouveau, je repars voir au port si on décharge mes caisses. Qu’est-ce que je vois, les employés de la douane, qui se promène et un d’eux qui me connaît déjà depuis tant de voyages, que j’ai faits dans leur bureau pour leur demander des renseignements. Donc, il s’approche de moi et il me dit que, de bonne heure ce matin, ils avaient déchargé le reste des marchandises du bateau allemand et que j’aille voir le chef de la douane, s’il avait connaissance de la marque de mes caisses. À l’instant même, je pars et je vais au bureau. Il me dit qu’il fallait revenir dans un quart d’heure, qu’il n’avait pas encore toutes les notes qu’il va envoyer un homme les chercher, alors je reviens faire un tour. De là, je retourne au chef de la douane, il regarde toutes les notes et en effet, nous trouvons toutes mes caisses. Il n’y qu’une chose à faire, me dit-il, c’est d’aller voir votre agent et qu’il vous fasse un bon pour pouvoir les sortir de là douane et aussitôt que vous aurez ce bon, de note, vous viendrez me trouve et vous les ferez délivrer de suite. Mais je n’étais pas de cette idée, moi, j’avais 4 ou 5 caisses qui avaient mouillé et je voulais les laisser au compte de la compagnie d’assurance ou à la compagnie de débarquement. Comment faire, je ne savais pas à qui m’adresser. Je me dis en moi-même, nous avons tout le temps, le chemin de fer n’est pas près d’être arrangé, que ferais-je de ces caisses qui avait été mouillée. Il faut que je tarde encore quelques jours et je les sortirai de la douane, et ce qui sera endommagé, je le laisserais au compte de la compagnie, et je pense que je ne serai pas obligé de payé le droit de douane et de débarquement qui est assez cher, on paye 2 sous et demi, par kilogramme, droit d’entrée et 3 francs les 50 kilos droits de débarquement ainsi juger combien c’est cher.
Enfin je m’en vais attendre que le chemin de fer soit arrangé et puis je vais voir de la manière que tout marchera. Je tâcherais de me renseigner du mieux que je pourrais.

À suivre…

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