Description d’une veillée en Oisans vers 1820

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Globe de verre diffusant la lumière. Taille environ 20 cm de diamètre.

DESCRIPTION D’UNE VEILLÉE  EN OISANS VERS 1820

Par Louis Cortès
Texte publié dans le Bulletin de la société Dauphinoise d’ethnologie et d’anthropologie 1929

Dans une écurie plus vaste que les autres, on a aménagé spécialement ce qu’on appelle la veillerie ; c’est un espace compris derrière les bestiaux sur lequel on a étendu une couche épaisse de fumier que l’on a ensuite bien piétiné de façon à la rendre dure et résistante et que l’on recouvre de paille fraîche ou de feuilles sèches. Cette paille sera d’ailleurs changée fréquemment ; celle qui a servi est employée à la litière des animaux. La veillerie est généralement séparée du reste de l’étable par une petite barrière en paille tressée. Tout autour de l’espace ainsi limité, des piquets soutenant des planches disposées en carré servent de banc aux hommes et aux enfants ; des chaises ou des tabourets dans la partie centrale sont réservés aux femmes et aux jeunes filles.
Au milieu une petite table, appelée, suivant les régions, piquet, picot ou poncier, tout simplement formée d’un morceau de bois enfoncé dans le fumier et sur lequel on a cloué une planche ronde. Une primitive lampe à pétrole était posée au milieu, et tout autour, sur les bords du « poncier », de petits globes de verre (parfois de simples bouteilles de forme arrondie, contenant de l’eau étaient disposées dans des trous ménagés à cet effet). Ces globes ont pour but de faire loupe et de concentrer sur les personnes assises en face les rayons pâlots et diffus de la lampe.
C’est dans ce cadre que, chaque soir, d’une période allant du 8 septembre au 25 mars, vers 18 heures, arrivaient, munie de lanternes, à peu près toute la population valide du hameau. On résolvait ainsi le problème du chauffage, puisque celui-ci était fourni par les animaux même, qui habitués à ces réunions, ruminaient paisiblement à côté.

« Petite main » de l’Oisans réalisant un surjet sur une pièce en cuir maintenue sur une petite mécanique de gantier. Dessin L. Albertino

Il en était de même de l’éclairage, une seule lampe pour le quartier, la dépense de l’éclairage étant supportée par toutes les « sociétaires », femmes seulement, chaque ouvrière apportant à tour de rôle sa bouteille de pétrole. Et on avait ainsi le plaisir de n’être plus seule, de vivre avec les vivants, de se faire des confidences, de se retrouver enfin dans la vie de société.
Les hommes s’occupaient aux travaux domestiques variant avec les besoins du lieu. Les uns teillaient (bluer) et peignaient le chanvre que l’on cultivait abondamment en Oisans. D’autres faisaient des balais de bouleau pour les usages domestiques, d’autres encore tressaient des paniers ou rempaillaient des chaises. Certains même confectionnaient des cordes de chanvre et d’autres enfin faisaient des bâts ou raccommodaient du linge ; ces deux dernières occupations étaient dans la plupart des villages, réservées aux vieillards et aux jeunes gens ; on faisait aussi des filets en corde pour les trousses a foin ou pour les muselières, mangeoires des mulets ; ceux de l’Oisans étaient les plus remarquables. Les vieilles femmes faisaient tourner le rouet pour filer le chanvre que les hommes avaient préparé, et lorsque tous ces rouets étaient en marche et que chacun était à son travail, on se serait cru dans un véritable atelier.
Tout autour du « poncier », devant chaque globe, s’asseyaient les femmes plus jeunes et les jeunes filles qui travaillaient de façon à gagner quelque argent. Leur occupation habituelle était la confection de gants à la main avec la « petite mécanique », seule industrie du temps permettant quelque gain. Le salaire cependant n’était pas très élevé…
Pendant ce temps que faisaient les enfants ? Ils avaient parfois quelques leçons à apprendre et quelques devoirs à faire pour l’école lorsqu’ils la fréquentaient si les communications le permettaient ; il y avait surtout le catéchisme. L’étude ainsi occupait une partie de leur temps. Cette étude se faisait sous la direction d’un enfant plus âgé ou même d’une grande personne. Puis lorsque ces petites têtes étaient fatiguées, on s’amusait aux petits jeux enfantins : se rouler dans la paille, colin-maillard, main-chaude, etc. Mais bien souvent avant la fin de la veillée le sommeil gagnait tous ces bambins et s’étendant sur la paille, ils s’endormaient profondément au son monotone du rouet.
Cependant l’ardeur au travail va en se ralentissant ; la conversation suspendue tout à l’heure reprend de plus belle et roule maintenant sur le cours des denrées, sur le bétail, la culture, tout ce qui peut intéresser la vie du pays. On s’occupe même un peu de politique, et nos montagnards qui ne lisaient pas (les journaux étaient trop chers) aimaient à se renseigner auprès des gens du chef-lieu les jours de marché et à se transmettre ensuite ce qu’ils avaient appris.
Enfin pour chasser le sommeil qui gagnait même les grandes personnes, on chantait ! Les chanteurs ne se faisaient pas prier. Hélas ! tous ces chants ont disparu : c’était l’histoire des bergers et des bergères, d’amants volages ou de complaintes tristes qui d’ailleurs n’avaient pas toujours un caractère régional. On les a oubliés, on ne les chante plus c’est vraiment regrettable.
Ainsi en travaillant, en devisant et chantant, l’heure s’avançait. Dix heures avaient sonné depuis longtemps déjà, il était temps d’aller au lit. Alors une des personnes présente généralement la plus âgée, mais toujours la même, disait la prière ; chacun répondait, très recueilli. Puis on reprenait les lanternes et on se séparait après de joyeux bonsoirs, chacun allant retrouver son lit rustique où l’on dormait d’un bon somme jusqu’au lendemain.
A la veillée du dimanche, personne ne travaille et on passait le temps aux jeux soit à des danses. C’était d’abord le tour des enfants à qui les vieux racontaient des histoires du temps passé, ou des légendes… Ensuite le « poncier » était enlevé et on dansait à cœur joie.

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