Grandes manœuvres en Oisans

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Expérimentations de tir au sommet de Prégentil (Oisans) en présence de Paul Helbronner et Jules-Louis Breton, en 1918.

GRANDES MANŒUVRES EN OISANS

Source : Archives André Glaudas
Journal non identifié, la publication date 15 septembre 1910.

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UNE MANŒUVRE DANS LES ALPES

Au cours d’un séjour en Oisans, je fus réveillé, dès l’aube, par des grondements formidables : on eût dit de violents coups de tonnerre répercutés à l’infini par les échos des grands monts aux cimes striées de neige. Cependant le ciel était pur, ce fracas ne pouvait provenir de la foudre. Le passage d’une troupe d’infanterie me révéla que j’étais en pleine manœuvre.

Inutile de dire que j’étais aussitôt debout et en route pour les hautes zones, où j’allais de nouveau rencontrer mes amis les alpins. Dans le bourg — Bourg-d’Oisans — continuaient à passer les fantassins se portant sur le terrain. Au pont de la Romanche, un bataillon du 75e gardait le passage. Depuis deux heures du matin, les compagnies étaient là pour s’opposer au débouché de l’ennemi. Couchés contre le talus ou au revers des fossés, les hommes jouissaient béatement du soleil si vivifiant après les longues et froides heures d’attente qui précédèrent le crépuscule.
Que se passait-il ? Aucun de ces troupiers ne le savait, aucun d’ailleurs ne s’en préoccupait. On attendait simplement le moment de rentrer au cantonnement et de s’étendre sur la paille ou le foin odorant. Un officier me dit que l’un supposait une attaque des alpins sur la route de Venosc, c’est-à-dire dans la vallée profonde du Vénéon, qui accourt des solitudes sauvages et glacées du Pelvoux.

En route pour le Vénéon ! Une batterie d’artillerie file à grand bruit sur la chaussée en soulevant la poussière. Jusqu’au confluent de la Romanche et du Vénéon, rien n’arrête l’attention. Parfois un poste gardant l’issue d’un chantier. Mais, au pont Guillerme, où la Romanche débouche de sa formidable gorge avant d’aller cueillir le tribut du Vénéon, voici une compagnie du génie et des compagnies du 140e installées dans les prés. Des lignes de sacs gardées par un ou deux hommes révèlent qu’une partie du régiment est partie en hâte pour le point menacé. Près du pont, un escadron de chasseurs, des chevaux sans cavaliers, dont un porte la selle du général de division, nous apprennent que l’état-major s’est rendu à pied au point ou l’on suppose la rencontre.

Des chasseurs à cheval se rendent dans la vallée du Vénéon ; je les suis. Les monts énormes se resserrent, escarpés. Revêtus de verdure à leur base, portant sur les ressauts des prés et d’étroites bandes de cultures, ils ont dans les plis, près des cimes, de grands névés et des glaciers dont les fissures montrent l’azur de leurs parois. Glacier de Villard-Eymond, glacier de la Muzelle, bien peu de choses auprès des mers de glace du Mont-de-Lans et du Pelvoux, invisibles d’ici.
Rien sur la route qui court au flanc des maigres éboulis sous lesquels le Vénéon roule ses eaux dans l’énorme nappe de graviers. Mais une chaîne presque interrompue de cavaliers gardant les détours du chemin. Ils n’ont rien vu ; les coups de canon entendus en Bourg-d’Oisans ne venaient pas de ce côté, mais de la vallée de la Romanche.
Retournons donc à la Romanche. La route quittant le pont Saint-Guillerme pénètre aussitôt dans la gorge par une route hardie, œuvre de Napoléon 1er. Elle s’élève an flanc de la rive gauche, entaillée dans le roc, s’ouvrant même un passage par un tunnel. Cette rampe, dessinée en courbe, porte le nom de rampe des Commères, sans doute parce que les Oisannaises trompent la longueur de l’ascension par de bonnes et copieuses bavettes. Pas de commères aujourd’hui, mais une longue colonne du 140e. Les hommes n’ont pas de sacs, afin de pouvoir aller plus rapidement. Une batterie monte au grand trot ; les fantassins doivent serrer contre le rocher pour livrer passage.

Un raide sentier descend au fond de la gorge pour traverser la Romanche sur un pittoresque pont d’une arche et s’élever par de brusques lacets jusqu’au village d’Auris-en-Oisans, assis à plus de 1.300 mètres, dans une courbe verdoyante. Deux chasseurs alpins dont le béret est couvert du manchon blanc, c’est-à-dire des ennemis, descendent tranquillement ce raidillon, sans se soucier des lazzis qui, de là-haut, pleuvent sur ces évidents déserteurs.
Mais les rieurs ont été vus, sinon entendus ; voici là-haut, très haut au-dessus d’Auris, un nuage de fumée, et bientôt les échos répercutent le bruit de la canonnade. Du côté opposé de la vallée, un autre nuage se montre au flanc d’un roc escarpé, si raide que l’on ne peut comprendre comment du canon a pu être amené contre ces escarpements vertigineux, c’est que la montagne a été entaillée à la mine pour le passage de la route de Mont-de-Lans, et c’est dans l’encorbellement que les artilleurs alpins sont allés placer leurs petites pièces. Eu regardant bien, on distingue, là-haut, les bérets blancs des chasseurs.

D’autres bérets blancs sont au bord du vert plateau de la Rivoire, sous lequel se creuse profondément la fissure où gronde la Romanche. Ceux-là ont des mitrailleuses ; ils ouvrent le leu contre la colonne du 140e, arrivée en vue, et alors c’est un bruit singulier et terrifiant à la fois que ce « taratata » saccadé qui se répercute à l’infini dans les monts.
L’artillerie monte alors à vive allure sur la route, parvenue à un détour que protège un talus naturel ; elle procède à une rapide mise en batterie de deux pièces et ouvre le feu, auquel les canons des alpins ré pondent avec ardeur. Et la gorge s’emplit de grondements majestueux, et les petits nuages de fumée blanche continuent à signaler, à la limite de la végétation, les groupes alpins de la Maurienne et du 28e bataillon, dont la surprise a été éventée.

ARDOUIN-DUMAZET

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