Gaspard, moitié Burgond, moitié Sarrasin…

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Pierre Gaspard, Gaspard de la Meije, de Saint-Christophe en Oisans – 1834 – 1915

GASPARD MOITIÉ BURGOND, MOITIÉ SARRASIN 

Source : Le Pays Briançonnais, note sur le canton de l’argentière, par Aristide ALBERT, édition 1887

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… C’est l’histoire de la France en 1872, après cet inoubliable désastre d’une guerre ineptement provoquée.

Ceux qui avaient fait leur devoir dans la défense du territoire, les hommes jeunes, instruits et patriotes, silencieux en face des appréciations injurieuses ou simplement injustes venues de l’étranger, se mirent à l’oeuvre et tentèrent tout ce qui pouvait reconstituer cette patrie française mutilée et amoindrie, et refaire la nation forte et respectée des anciens jours. Dans le travail, dans les mâles exercices du corps, dans de sérieuses et fortes études, il fallait pour cette tâche, acquérir des énergies d’une trempe supérieure.

Une partie de la nation le comprit et pendant que les pouvoirs publics organisaient à nouveau et sur plus larges bases cette force qui se nomme l’instruction publique, l’initiative individuelle créait des sociétés de tir, les sociétés de gymnastique, les sociétés de géographie, celles d’escrime, etc., l’alpinisme enfin.

Attaquer la montagne, cette chose brutale, monstrueuse ; venir à bout de tout ce qu’elle renferme de terribles périls, n’était-ce point se forger une intrépidité à toute épreuve?

Il y avait pourtant cause à hésitation pour qui connaît la grande Alpe avec ses escarpements vertigineux, sa température polaire, ses glaciers et la trahison de leurs crevasses, les éboulements pierreux, les ouragans d’inénarrable violence, la foudre et l’avalanche, linceul de plus d’un brave !

Qui si convien lasciare ogni sospetto ; Ogni viltà convien che sia morta !

Ce fut le langage de leur âme; d’un courage soutenu, ils engagèrent la lutte avec la tofwe du Commandeur et ils eurent raison du monstre de pierre. Il y eut les vainqueurs de la Meije, les vainqueurs de la Barre-des-Écrins, les vainqueurs du Viso (versant français) et autres hauts lieux.

C’est vraiment une époque hautement héroïque que l’histoire de ces ascensions. Rien n’égale l’indomptable fermeté de ces audacieux grimpeurs, si ce n’est leur modestie comme narrateurs des choses accomplies. Plus modestes que le héros troyen, le quorum pars magna fui (la part presque toujours réservée à la vanité) est à peu près bannie de leurs récits.

C’est l’impression qui m’est restée de ma lecture des monographies de Paul Guillemin, de Félix Perrin, d’Henry Duhamel.

Le Camoëns et don Alonzo de Ercilia ont eu recours à la langue rythmée et ont invoqué la muse pour dire les hauts faits dont ils avaient été acteurs aussi bien que les témoins.

Les ascensionnistes ont, avec la plume retrouvée de Victor Jacquemond, raconté simplement. sans emphase, d’un langage français spirituel et clair, les incidents, les péripéties d’une lutte aussi formidable que celles des fictions homériques, aussi difficile et réelle que les plus hardies entreprises des conquistadores.

Qui eut vu le guide Pierre Gaspard. Boileau, de Castelnau, Guillemin, Henry Duhamel, escaladant le gradin terminal de la cime de la Meije, eut pu s’écrier comme les guerriers astéques à la vue du saut d’Alvarado : ceux-là sont vraiment les fils du soleil.

Parmi ces vaillants on peut citer, outre ceux que nous venons de nommer, l’américain Coolidge, les Français Félix Perrrin, Salvador de Quatrefages, Joseph Jullien, Pierre Puiseux, Henri Vincent, Emile Viallet, Lucien Bourron, etc. J’en passe et de très courageux.

Mais sur ce riche fonds de vaillance maintes fois déployée, se détache en singulière vigueur la grande figure du guide Pierre Gaspard, de Saint-Christophe-en-Oisans. Gaspard en qui deux races semblent avoir marqué l’empreinte de leurs traits distinctifs, le Sarrazin, le teint basané, la noire chevelure, le regard profond et calme, le Burgonde, la charpente solide et développée, Pierre Gaspard demeurera comme un type de courage sur humain, de force, d’exquise bonté, de dévouement absolu.

L’alpinisme sera un jour ou l’autre pour un poète de haut vol, né ou à naître, une intarissable source de divine inspiration. Ce sera le romancero de l’Europe occidentale au XIXe siècle; car l’Anglais précurseur, l’Italien, le Suisse, le Belge et l’Autrichien, ont aussi de glorieuses pages à revendiquer dans l’histoire des ascensions.

Puisse ce noble emploi des forces physiques et de la fermeté du coeur s’incruster dans nos moeurs ; demeurer dans la nation comme élément de force et de grandeur ! puisse cette rude école de courage opiniâtre, de patience, d’ascendant souverain de l’âme sur le corps n’être pas de longtemps désertée ! Que les jeunes Français recueillent comme avertissement salutaire cet éloquent appel de M. Barretti aux jeunes Italiens:
« Aux Alpes, mes jeunes amis ! fondez la race des alpinistes d’où naîtra avec le temps le mâle type du fort Italien qui fera respecter le pays qui fut son berceau. »

Aristide ALBERT

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