Histoire du Lac Saint Laurent 2/5

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Lac Saint-Laurent par Jean de Beins, dessinée en 1619.

HISTOIRE DU LAC SAINT-LAURENT 2/5

Archives André Glaudas.

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Histoire du Lac Saint-Laurent – 1 – 

Archéologie alpine
Le lac Saint-Laurent
Son histoire
Les Erreurs commises sur sa durée
No 165
Henri FERRAND

Extrait de la revue alpine de Juillet 1909
Tiré par Lyon à 200 exemplaires
Imprimerie et Lithographie à Geneste
71, rue Molière, 71

— 1909 —

Écoulement progressif du Lac

Cependant, quelques observations se firent jour qui vinrent peu à peu ébranler la partie qui paraissait la plus certaine de cette histoire, et il fallut d’abord reconnaître que la débâcle de 1219, pour considérable qu’elle aurait été, n’avait pas vidé le lac et asséché la plaine de l’Oisans.

Près de cent ans après l’accident, une charte datée du lundi après la fête de la Nativité de Notre Seigneur, en 1312, relate l’albergement par le Dauphin Jean II aux religieuses de Prémol, de la pêche « des eaux du lac dans la plaine de Saint-Laurent » (J.-J.-A. Pilot, La chartreuse de Prémol près d’Uriage, Grenoble, Drevet, 1878, p.11). Il y avait donc encore à cette époque un lac de Saint-Laurent restreint sans doute en profondeur, et peut-être en superficie, depuis la débâcle, mais néanmoins encore assez important pour que la pêche en constituât un sérieux revenu (Bourchenu de Valbonnais, dans son histoire du Dauphiné, Genève, Fabri et Barillot, 1722), remarque à la page 270, du tome Ier : « (Jean II) abandonna aux religieuses de Prémol de l’ordre des Chartreux la propriété du lac de Saint-Laurent dans la châtellenie d’Oisans. » — De même, tome II, p. 6.

Puis à défaut d’autres titres, le XVIIe siècle avait vu apparaître des documents jusqu’alors inconnus, les cartes topographiques, aux indications desquelles nous pouvons nous reprocher de n’avoir pas suffisamment ajouté foi.
Une carte de Dauphiné, publié par Tassin, dans son recueil intitulé Les cartes générales de toutes les provinces de France, Paris, 1634, figure un grand lac s’étendant depuis la jonction de la Romanche et du Vénéon jusqu’en aval d’Allemont. Cette carte fut reproduite par les Grands Atlas de Janson, éditions 1659 et Suivant. — La Grande carte du Gouvernement général de Dauphiné, par Tillemon (Nicolas du Tralage), édité par Nolin en 1690, — la grande carte des Estats de Savoye et de Piémont par Nolin, en 1691, — la carte du Dauphiné du Père Placide (manuscrite, à la Bibliothèque Nationale), 1692, — le Gouvernement général de Dauphiné par Sanson, chez Jaillot, en 1692, etc., nous donne la même notation. Bien qu’à cette époque la cartographie ne se dressât guère par expérience directe, mais plutôt par renseignement, il est incontestable que si ce lac n’avait existé que pendant la courte période de 1191 à 1219, pendant vingt-huit ans, à une époque si antérieure, il n’aurait pas laissé dans la mémoire des hommes une impression aussi vivace. Il n’y a évidemment pas à tirer argument de ce que d’autres cartes dressées à la même époque, telles que celle de Jean de Beins en 1622 et de Sanson d’Abbeville en 1652, n’en font pas mention. Nous pouvons en induire seulement que le lac ne leur avait pas été signalé, et nous voyons d’ailleurs ce même Sanson, dans sa carte de 1692, mettre à profit le renseignement.
Il faut accorder à ces documents plus de confiance que nous ne le faisons, car en les examinant avec attention et sans parti-pris, en les rapprochant d’autres cartes postérieures, nous allons en voir jaillir, probablement avec certains retards, mais avec ses diverses circonstances, toute l’histoire postérieure de notre lac.

En effet, la brèche produite en 1219 dans le barrage — qui était sans doute, comme nous le verrons ci-dessous, un barrage morainique — était allée en s’élargissant et en s’approfondissant sous l’action des eaux et le lac diminuait peu à peu. Dans les cartes que nous venons de citer, le lac occupe tout l’espace compris entre la base des montagnes, et nous pouvons y remarquer une sorte de chaussée ou route qui traverse toute la partie supérieur de son emplacement allant du Bourg-d’Oisans sur la rive gauche, au pied de la montée de la Garde sur la rive droite : nous aurons à revenir ultérieurement sur ce point.
En 1693, un autre cartographe, Nicolas de Fer, produit une nouvelle carte : Le Dauphiné distingué en ces principales parties et régions selon les mémoires les plus récents, et nous voyons, en effet, le résultat de nouveaux renseignements. Le lac d’Oisans y est encore figuré dans tout l’intervalle des montagnes avec les mêmes dimensions que précédemment ; mais il n’est plus figuré en eau, il est représenté à l’état de marais, et on le voit nettement traversé en ligne sinueuse par le cours de la Romanche. Il en est de même dans le Gouvernement Général du Dauphiné par Sanson, publié en 1694, à Amsterdam, chez Covens et Mortier. L’assèchement progressif, qui s’est continué depuis 1219, est donc manifestement écrit, et nous allons le voir se préciser et s’étendre dans les cartes ultérieures.

La grande carte des Estats de Savoye et de Piémont de Hubert Jaillot, en six feuilles, édition de 1706, nous donne un Cours de la Romanche, fort élargie, divaguant dans la plaine de l’Oisans et émaillée d’îles. Puis, ces îles s’affermissent et s’étendent, et la carte de Guillaume de l’Isle, en 1720 celle de Gérard Walk, à peu près à la même époque, ne nous indique plus que deux ou trois bras de la Romanche. La carte de Cassini, levée vers la fin du XVIIIe siècle, montée encore, surtout dans la partie basse, ces divers bras de la Romanche décrivant leur cours tortueux au travers de la plaine que les eaux se décident à abandonner.

Le figuré du terrain n’est pas seul à nous guider : tout concorde, dès 1693, nous avons vu, auprès du Bourg-d’Oisans, mentionner le Pont, pont sur la Lignare, avec quelques habitations alentour, qui devient par altération dans les cartes suivantes, la Paute. La carte de de Fer, de Jaillot, etc., marquent la route du Bourg-d’Oisans à Grenoble sur la rive droite de la vallée, entre la Garde et Livet, écharpant jusqu’à l’Eau-d’Olle la base des contreforts des Rousses. La carte du Diocèse de Dauphiné, par Beaurain, en 1741, porte la Route dans la plaine, sur la rive gauche, et semble bien résulter de cette différence qu’il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour que l’écoulement assez complet permît au travers de la plaine consolidée, la rectification de la route. Encore la plaine garde-t-elle le nom significatif de la plaine des Sables.
Telle est, inscrite sur ces documents, l’agonie du lac Saint-Laurent après le cataclysme de 1219. On voit que même en faisant la part du retard apporté aux renseignements transmis aux cartographes, elle a été assez prolongée.

On pouvait, du reste, en trouver l’indication précise dans l’ouvrage du docteur Nicolas, en 1786, ci-dessus cité. Nous y lisons, en effet, à la page 100, cette phrase succincte, mais fort claire : « À cette époque, la plaine de l’Oisans se dessécha, et successivement la partie supérieure et méridionale fut cultivée, couverte de riches moissons, puisque les habitants du Bourg-d’Oisans ont eu la permission du gouvernement de se la partager. »

D’après son voyage de 1775, le minéralogiste Guettard signalait (tome I, p. 14), les marais qui entourent le bourg.
Pendant la plus grande partie du XIXe siècle, les travaux de drainage furent poursuivis pour assécher et assainir cette plaine de l’Oisans. Vers 1885 et 1886, on attaquait encore à coup de mine, sous la direction de M. Brisac, alors ingénieur des ponts et Chaussées, le seuil de La Vena pour faire baisser le niveau de la nappe, et après tous ces travaux il subsiste dans l’ancienne cuvette des parties marécageuses.

Il est donc amplement démontré que le lac Saint-Laurent n’a pas été vidé par la débâcle de 1219, et qu’il a subsisté en s’anémiant progressivement pendant plusieurs siècles.

À suivre…

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