Crimes et migration un regard sur l’Oisans

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Asphodèle, planche de colporteur, XIXe siècle, collection Musée Dauphinois.

CRIMES ET MIGRATION UN REGARD PORTÉ SUR L’OISANS
par Laurence Fontaine.

Synthèse du document source complet, disponible en cliquant sur le lien suivant  :
Les villageois dans et hors du village. Gestion des conflits et contrôle social des travailleurs migrants originaires des montagnes françaises (fin XVIIe siècle-milieu du XIXe siècle)

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– Petite histoire des colporteurs 1
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Au cœur des montagnes françaises, où, entre la fin du XVIIe et le milieu du XIXe siècle, les dynamiques sociales et criminelles ont profondément marqué la vie des travailleurs migrants originaires de ces contrées. L’enquête de Laurence Fontaine, s’appuyant sur des sources historiques précieuses, révèle un tableau nuancé où les mécanismes de contrôle social et les manifestations de la délinquance se sont déployés de manière singulière au sein de ces communautés montagnardes et au-delà.

Les villages de l’Oisans, une terre d’émigration
Dès la fin du XVIIe siècle, les villages de l’Oisans, à l’instar d’autres régions montagneuses, étaient le point de départ de diverses formes de mobilité. Laurence Fontaine distingue plusieurs types de migrations, dont celles qui ont concerné les habitants de l’Oisans :
— Les migrations individuelles et définitives, touchant les plus fortunés comme les plus démunis. Les notables de l’Oisans pouvaient établir des réseaux de travail exploitant la main-d’œuvre restée au pays.
— Les migrations temporaires, où maçons, colporteurs et autres travailleurs saisonniers quittaient l’Oisans pour chercher fortune, souvent liés par des relations de dépendance aux élites locales. Leurs activités pouvaient parfois flirter avec l’illégalité.
— Les migrations en masse lors des crises, où les plus pauvres de l’Oisans abandonnaient leurs villages, rejoignant les routes aux côtés d’autres montagnards.

Il est essentiel de souligner que l’interprétation des statistiques judiciaires concernant les migrants de l’Oisans requiert une grande prudence. En effet, ces travailleurs étaient souvent tenus pour responsables des troubles et des délits, alimentant une mauvaise réputation entretenue par la société sédentaire.

Un Lien persistant avec les foyers de l’Oisans
Malgré l’éloignement, les migrants originaires de l’Oisans conservaient des liens étroits avec leurs villages. La migration était une affaire familiale, reproduisant les hiérarchies et les dépendances propres à la vie villageoise en Oisans. Des réseaux de travail se formaient au sein même des villages.

« La dette »
Elle constituait un puissant instrument de contrôle social, liant les migrants à leurs créanciers, souvent des figures influentes de leur village d’origine en Oisans. Ces chaînes de crédit s’étendaient du lieu de migration jusqu’aux villages, où les intérêts étaient payés et les dettes remboursées. Des mécanismes de solidarité obligée se mettaient en place, mais la menace de délation planait sur ceux qui cherchaient à échapper à leurs engagements.
Des relais d’information et de pouvoir assuraient la communication entre les lieux de migration et l’Oisans. Les notaires, en particulier, jouaient un rôle d’intermédiaire crucial, défendant les intérêts des émigrés de l’Oisans et surveillant leurs familles restées au pays (Nota : Une lecture incontournable sur ce sujet de la même autrice : Le voyage de la Mémoire, Colporteurs de l’Oisans au XIXe siècle, chapitre III, Bailleurs de fonds et Colportage, le temps de Nicolet).

Le Contrôle social dans les Villages
Au sein des villages de l’Oisans, la délinquance et son contrôle se manifestaient de manière particulière en raison du faible recours à la justice royale. Les archives judiciaires locales, comme celles du juge d’Oisans, conservent peu de traces des conflits ordinaires.
Les différends, qu’il s’agisse de querelles, de vols mineurs ou d’injures, étaient souvent réglés à l’amiable, sans laisser de traces écrites. Les affaires plus importantes pouvaient donner lieu à des actes notariés rédigés par des notaires locaux, tels que ceux du Villar d’Arène (Nota : Laurence Fontaine fait référence à Maître Simon Sartre dans ce texte, l’ouvrage de Madeleine Martin Burle fait apparaitre, dans son livre : Maître Albert et les Faranchins, les très nombreuses interactions de son ancêtre notaire à Villar d’Arène, avec la vallée de la Romanche au-delà des frontières du canton de La Grave). L’arbitrage était une pratique courante pour résoudre les litiges, impliquant parfois des notables étrangers aux villages concernés. La justice royale était souvent brandie comme une menace dans ces négociations, illustrant un va-et-vient constant entre arrangements privés et recours potentiels à l’autorité officielle.

Les affaires de vol dans l’Oisans présentaient des particularités. Jusqu’au XIXe siècle, la justice n’était pas principalement utilisée pour identifier les coupables, car les victimes retrouvaient souvent elles-mêmes les objets volés et ne poursuivaient pas l’affaire. Une distinction était faite entre les délinquants locaux et ceux venant d’ailleurs, les habitants de l’Oisans étant rarement mis en cause dans les vols dénoncés à la justice.

Le récit du procès de Jean Arnaud de Besse en 1792, un domestique accusé de vols dans plusieurs communes, dont la sienne, met en lumière les mécanismes de contrôle social au sein des villages en Oisans. Face à la rumeur publique, des perquisitions étaient menées dans les maisons suspectes, souvent de façon non officielle et sans mandat. Des pressions étaient exercées sur les familles des suspects, comme l’arrestation abusive du frère de Jean Arnaud, Jacques, pour obtenir des aveux et la restitution des biens volés. L’affaire se réglait finalement à l’intérieur de la communauté, avec la restitution des biens volés et l’établissement d’un procès-verbal par la municipalité, sans intervention de la justice royale. La réputation jouait un rôle central, constituant une forme de surveillance et de mémoire collective au sein des villages. Le maire de Mont-de-Lans pouvait ainsi délivrer des certificats de bonne conduite pour des habitants accusés de crimes voire de meurtre tel que ce fut le cas ici : « que le nommé Arnol Pierre est d’une très honnête famille […] et que ledit Arnol, selon notre connaissance, a suivi les traces de ses parents ». Une vingtaine d’habitants du village ajoutent leur caution à ce certificat : « Nous habitants et propriétaires de la commune […] certifions que le nommé Arnol […] s’est toujours comporté en honnête homme, jouissant d’une bonne réputation et appartenant à une famille exempte de tout reproche et que jamais il n’y a rien eu à dire sur son compte ». Alors que plusieurs personnes viennent témoigner des sévices dont ils ont jadis été victimes de la part du prévenu… Cette prise de position soulignant le poids des appartenances familiales et des réseaux locaux.
À La Paute, il était noté que les maisons n’étaient souvent pas fermées, témoignant d’un certain niveau de confiance au sein de la communauté.
À Clavans, mais aussi Mizoën, le Freney… les biens précieux étaient conservés dans des constructions séparées appelées « chambres », suggérant une plus grande crainte de l’incendie que du vol.

Le Retour en Oisans
L’analyse de la délinquance révèle que la violence était plus caractéristique des communautés migrantes dans les villes qu’au sein des villages de l’Oisans. Au retour, les migrants retrouvaient les dynamiques sociales propres à leur village d’origine.
Le retour au pays marquait une transition où le contrôle du groupe migrant s’estompait, laissant place aux enjeux familiaux et aux luttes internes à la communauté. Des tensions pouvaient apparaître entre ceux qui étaient partis et ceux qui étaient restés.

Pour conclure, Laurence Fontaine explore la criminalité et le contrôle social au sein des communautés des montagnes des Alpes, de l’Oisans et de leurs migrants. Elle met en évidence la complexité des interactions entre les espaces de départ et d’arrivée. Les villages de l’Oisans, avec leurs propres mécanismes de régulation sociale, ont façonné l’expérience migratoire de leurs habitants et ont été en retour influencés par ces mouvements, illustrant l’importance des contextes locaux dans la compréhension des phénomènes sociaux et criminels.

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