Huit jours dans les glaciers de l’Oisans (3-7)

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Glacier de la Girose, La Grave, ascension d’un sérac.

HUIT JOURS DANS LES GLACIERS DE L’OISANS
Les tribulations de huit intrépides aventurières et aventuriers sur un glacier de l’Oisans quelque part dans le massif des Écrins…

Source Gallica : Revue « Les Alpes Illustrées, publications du 29 juin 1893, No 24 au 10 août 1893, No 30

L’OISANS ET LA BÉRARDE
HUIT JOURS DANS LES GLACIERS – 1/72/7 – 3/7

Le lundi 29 août, à sept heures et demie du matin, nous partions sans guide ni porteur pour gravir la Tête de la Maye qui domine la Bérarde. On parvient au sommet par un sentier de montagne qui n’est plus d’un accès très difficile depuis que la Société des Touristes (les travaux de ce sentier sont dus à la Section de l’Isère du C. A. F. et non à la S. T. D.) y a fait faire des travaux d’amélioration. Pendant cette ascension, Mme Georgé et Étienne nous causèrent quelques frayeurs. Ils avaient voulu prendre les devants, mais ils ne tardèrent pas à se tromper de sentier et aboutirent à une petite corniche où tout vestige de chemin avait disparu et qui surplombait le précipice.
Nous pûmes heureusement les tirer de là, et Mme Georgé en fut quitte pour savourer sa première émotion.

L’ascension de la Tête de la Maye, que toutes les dames peuvent faire, justifierait à elle seule un voyage à la Bérarde. Nous avons vu du reste une élégante qui nous fut signalée comme ayant apporté de Paris, pour ses bijoux et ses brosses, des boites en cristal pesant plusieurs kilos, ainsi que tous les objets de toilette dont une femme à la mode ne croit pas pouvoir se séparer ; vêtue du costume de touriste le plus fantaisiste, elle était venue exprès de Paris pour tenter cette ascension.
Du sommet de la Tête de la Maye, élevé de 2,708 mètres, on jouit du plus admirable panorama. Nous y arrivons à dix heures, et, sous le grand ciel clair, nous voyons s’élever autour de nous la chaîne du Rateau, la Tête de la Medje (Meije), la RocheGaspard, le sommet du Clôt des Cavales (par où nous repartirons), la Grande Ruine, le pic Bourcet, la Tête de Charrières, la Tête de la Somme, le pic de Pié-Bérarde, par-dessus lequel le pic Lory dresse sa tête comme pour mieux nous voir, le pic de la Temple, l’Aile-Froide, les Bœufs-Rouges, la Tête du Chéret. la Grande-Aiouille de la Bérarde, la Tête de l’Ours, la Tête du Pouget et la tête de Marsaré. Toutes ces montagnes forment autour de nous une ronde féerique, dressant leurs têtes blanches, comme pour saluer de vieux amis et faire connaissance avec les nouveaux.
Une heure fut vite passée dans la contemplation de ces cimes splendides, mais il faut toujours que la nature reprenne ses droits, et le cri si connu : « Ah ! que j’ai faim ! » nous rappela qu’il était onze heures. Nous repartîmes aussitôt, et à midi et demi nous étions à la Bérarde.

Nous avions décidé que l’après-midi de cette deuxième journée serait consacré au repos : il ne fut pas de longue durée. Nos dames allèrent courir dans les rochers au pied de la Grande-Aiguille. Au moment de leur départ, je fus obligé de rappeler à l’ordre les « singes verts » — c’était le nom des trois jeunes gens de la bande —, qui trouvaient très drôle de balancer avec vigueur la passerelle du Vénéon, pendant qu’elles la traversaient. Par bonheur, rien n’effrayait nos compagnes. Henri et Étienne n’ayant plus personne à taquiner allèrent cueillir des edelweiss sur les pentes de Pié-Bérarde, pendant que Charpenay et Guguste photographiaient.
Le lendemain 30 août, à sept heures du matin, nous partions pour le glacier de la Pilatte avec le guide Christophe Turc. Ce jour-là fut néfaste pour Charpenay ; il avait apporté à grand peine jusqu’à la Bérarde l’immense appareil avec lequel il prend des panoramas de 80 centimètres de long ; mais, au moment de s’en servir, il constata que les plaques de gélatine, envoyées à la dernière heure par M. Gumière, de Lyon, étant de deux ou trois millimètres trop courtes, se recroquevillaient dans les châssis. Dès lors, l’appareil devenait inutile. Cette déception n’altéra nullement la bonne humeur de ce brave ami et ne retarda pas notre départ que nous effectuâmes en remontant la vallée du Vénéon.
Après trois quarts d’heure de marche, nous passons au pied de la Tête de Chéret, au milieu des ruines de l’ancien hameau du Carrelet où il ne reste plus qu’une cabane de bergers. Nous laissons sur notre droite la vallée du Chardon et nous arrivons bientôt en vue du glacier de la Pilatte. Quoiqu’il soit actuellement en décroissance, ce glacier est le point considérable du massif du Pelvoux.

Je n’essayerai pas de vous expliquer les causes de la marche des glaciers et de décider qui a tort ou raison d’Altemann, de Grimer, de Saussure, de Bordier, de Rendu, d’Élie de Beaumont et de tous ceux qui ont cherché à expliquer ce phénomène de la nature. Aucune de leurs théories ne parait définitive et les faits se sont chargés plus d’une fois de les démentir. Je ne sais si les résultats des expériences et des constatations faites actuellement, soit par le prince Rolland Bonaparte, soit par la Société des Touristes du Dauphiné, donneront la solution de cette intéressante question et mettront d’accord tous les savants. Pour moi, je m’en tiendrai aux faits matériels sans chercher à en approfondir les causes.
Dès maintenant il est un fait reconnu et incontestable : dans les Alpes, les glaciers se meuvent d’après un mouvement qui oscille entre quelques millimètres et 300 mètres par an.
Les mouvements des glaciers sont déterminés par plusieurs raisons connues ; mais il en est encore d’inconnues qui provoquent les phénomènes inexpliqués. Toujours est-il que les glaciers ne glissent pas, comme on pourrait le croire et comme le ferait un corps solide formé d’un seul bloc ; ils coulent, plutôt, à la manière d’un corps liquide. L’ensemble du glacier est formé d’une masse de molécules qui ont tout leur mouvement propre et dont la nature elle-même se modifie, depuis les névés du I sommet des glaciers jusqu’aux glaces transparentes et bleutées du glacier inférieur. Cette masse de molécules coule, se séparant par des crevasses, se ressoudant et s’avançant comme le ferait une masse boueuse sous l’influence de la pente, de l’irrégularité du sol et de la pesanteur de la masse supérieure.
Sans entrer dans plus de détails et laissant aux « spécialistes » le soin d’élucider la question, je vous dirai qu’il résulte dès maintenant des recherches faites par le guide Roderon, sur les indications du prince Bonaparte, que le mouvement de recul des glaciers du Dauphiné a commencé il y a vingt ou vingt-cinq ans et que nous nous trouvons au début d’une nouvelle période d’avancement. Sans nous occuper d’autres glaciers et en soutenant à ceux que nous allons voir, je vous signalerai encore j que le glacier de la Pilatte, depuis 25 ans, i a reculé de 4 à 500 mètres ; le glacier du Chardon recule depuis 10 ans ; le glacier du Clôt des Cavales est resté stationnaire, mais il semble se gonfler depuis quelque temps ; le glacier des Étançons avance très rapidement et celui de la Medje plus rapidement encore.

Saint-Romme.
À suivre…

 

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