La Conspiration Didier, épisode 1

Paul Didier portrait présumé publié dans : Un conspirateur Stendhalien, Paul DIDIER, 1758-1816, par François Vermale et Yves Du Park. Édition Paris, S.G.A.F. 1951

FEUILLETON HISTOIRE
LA CONSPIRATION DE GRENOBLE — 1816

Texte de Auguis. Publié dans le journal Le Temps en 1841.

Chaque matin, entre 9 h et 10 h sur Freneytique, je vous inviterai à découvrir un épisode du feuilleton historique de « La Conspiration Didier » aussi appelée « Conspiration de Grenoble ».
Une histoire rocambolesque, peu connue, dont l’Oisans fut dans une certaine partie, l’un des principaux théâtres pour quelques protagonistes marquants de cette histoire, dont l’avocat Jean-Paul Didier.

Dans le dernier chapitre, je développerai un peu plus les liens et interactions marquantes avec notre territoire, l’Oisans.

Épisode 1
Né en 1758, à Upie, département de la Drôme, Paul Didier était, avant la Révolution, avocat au Parlement de Grenoble ; en 1788, il avait signé a fameuse délibération du conseil général de cette ville pour demander la convocation des États généraux, et l’assemblée de Vizille l’avait compté parmi ses membres les plus ardents ; il passait alors pour appartenir à la faction qui voulait aider le duc d’Orléans à monter sur le trône. La royauté une fois abolie, il émigra, et ne rentra en France que sous le gouvernement consulaire, par qui il fut nommé professeur de droit romain à l’école de Grenoble établie à sa sollicitation. En 1814, il accueillit avec joie la Restauration, et il devint alors membre de la Légion-d’Honneur, maître des requêtes au Conseil d’État. Il vit avec peine le triomphe du 20 mars, bien qu’il se fut déjà prononcé contre un gouvernement qui ne réalisait aucune de ses espérances de conciliation entre le parti de la Révolution et celui de l’Ancien Régime. Le désastre de Waterloo, l’horreur de l’occupation étrangère, les crimes de la réaction, l’anéantissement de la liberté, achevèrent de le rendre ennemi des Bourbons de la branche aînée.

Dans le courant d’octobre 1815, Didier étant à Paris, avait assisté aux réunions d’une association qui prenait le titre de Société de l’Indépendance Nationale ; cette société proposait la libération du territoire à force ouverte et l’expulsion des princes imposés par l’étranger. Didier était entré dans ses vues, et comme personne n’était plus à même que lui de donner des renseignements sur la population lyonnaise et sur celle du Dauphiné, il exposa, en l’appuyant sur ses notions des localités, le plan d’un soulèvement général, dans lequel Lyon et Grenoble auraient l’initiative. La première de ces villes était dans un état de fermentation et de détresse qui permettait de croire qu’il serait facile de l’amener à donner l’impulsion. Ses ouvriers étaient sans travaux, et une foule de militaires retirés dans son sein ne demandaient qu’à combattre de nouveau sous le drapeau tricolore. Grenoble était faiblement gardée ; on pouvait s’en rendre maître par un coup de main, et alors, outre l’effet moral que ne manquerait pas de produire cette capture, il y avait encore l’avantage de trouver dans ses murs quarante mille fusils neufs arrivés de Saint-Étienne, des munitions et une nombreuse artillerie de campagne venue des Hautes-Alpes et du fort Barreau.
Didier, soit à cause de l’influence qu’il exerçait dans les montagnes de son pays, soit parce qu’on le savait d’un caractère entreprenant et audacieux, fut choisi pour préparer le mouvement, et même le faire éclater. Six autres commissaires extraordinaires furent nommés par la Société de l’indépendance nationale. Un rapport de Sainneville adressé an ministre Decazes, dit qu’ils étaient dix-sept; ils devaient parcourir la France dans plusieurs directions, afin de tout disposer pour une explosion. Didier avait sous sa direction immédiate les départements du Rhône, de l’Isère ; de la Drôme et des Hautes-Alpes. Avant de partir de Paris, il eut des conférences avec un haut personnage qui ne laissait échapper aucune occasion de se mettre en relation avec ceux qui travaillaient au renversement de la branche aînée (Nota : Le journal Le Temps indique précédemment que le haut personnage auquel l’auteur veut peut-être faire allusion était absent de Paris à cette époque.). On a prétendu que, dans ces conférences, ces deux hommes convinrent d’agir sur les populations, en se servant du nom de Napoléon II et de celui du Prince Eugène, noms d’un effet magique à cette époque, pour exciter l’enthousiasme ; unis après le succès de l’insurrection, on eût proclamé l’impossibilité de relever le trône impérial, dont les titulaires étaient captifs ; l’on eût mis en avant le haut personnage, et employé, pour le faire agréer, l’argument sans réplique de la nécessité et tous les motifs d’urgence que l’on est dans l’usage de rendre déterminants, en présentant à la cohue des imbéciles et des peureux l’éternel fantôme de l’anarchie. Nous sommes d’autant plus fondés à croire à l’authenticité de ce dénouement projeté que, après 1830, la famille Didier s’est vue entourée d’une éclatante faveur.

Quoiqu’il en soit, Didier, en quittant Paris le 20 octobre, emporta de nombreuses notes sur des agents subalternes dévoués à la même cause que lui ; il parcourut trente-six départements et s’aboucha avec cent dix-neuf de ces agents. Cette tournée finie, il se rendit à Lyon : les indiscrétions, ou plutôt les infidélités de quelques-uns de ses affidés l’empêchèrent d’y mettre à exécution son dessein. Mais il ne se découragea point et n’en déploya au contraire que plus d’activité pour faire des partisans à son entreprise. Il voyagea en Italie, revint par le Simplon à Lausanne, où il eut avec le général Drouet d’Erlon, et d’autres personnes qui se trouvaient au château de Prangin, dans le Valais (ce château semble plutôt situé dans le canton de Vaud), une conférence dans laquelle on détermina le jour précis du mouvement sur Grenoble. Une fois cette ville tombée au pouvoir du parti national, le comte d’Erlon devait y venir prendre le commandement des troupes, réunies, en moins de quarante-huit heures, au nombre de quinze à vingt mille hommes, pour marcher sur Lyon : grossies de toutes les populations qui afflueraient du côté de l’Auvergne, de la Bourgogne, de la Comté, ces troupes se dirigeraient sur Paris et protégeaient l’installation d’un gouvernement provisoire.

À son retour dans le département de l’Isère, Didier s’établit aux portes de Grenoble ; du village d’Échirolles il disposait tout pour une attaque prochaine. Il comptait sur de nombreuses intelligences dans la ville, sur la coopération des douaniers et sur l’ardeur patriotique des habitants des montagnes (Nota : notamment l’Oisans Allemont, Le Bourg-d’Oisans et Vaujany). La légion de l’Isère renfermant un grand nombre de mécontents et de soldats de l’ancienne armée, on espérait qu’elle ne serait pas hostile. Les montagnards étaient chargés de s’emparer de Grenoble à force ouverte, et les conspirateurs de l’intérieur de se rendre maîtres des autorités civiles et militaires, des casernes, des caisses publiques et de la citadelle.

La suite demain…

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, une erreur ou si vous souhaitez ajouter une précision,
veuillez nous en informer en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur les touches [Ctrl] + [Entrée] .

Print Friendly, PDF & Email
Ce contenu a été publié dans ARCHIVES, PRESSE, TÉMOIGNAGE, TEXTE, VILLAGE, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.