La guerre de l’eau en Oisans 1-5

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Villard-Reculas par Hippolyte Müller, début du XXe siècle, Archives départementales de l’Isère

LA GUERRE DE L’EAU EN OISANS
Conflits entre Villard-Reculas et Huez 

Source : Archives André Glaudas :
Procès-Verbal mensuel du No 383 au No 385, avril, mai et juin 1968 de la Société Dauphinoise d’ethnologie et d’archéologie (2e trimestre 1968).

Sur le même sujet : 
– Canal Sarrasin, dispute entre Villard-Reculas et Huez
– 1450 Canal Sarrasin de Villard Reculas

NOTA: Retranscriptions issues des fonds d’archives de Villard-Reculas et d’Huez, accessibles aux Archives Départementales de l’Isère. Graphie originale conservée.

LE CANAL DE VILLARD-RECULAS SOURCE DE DISPUTES
par Jean OGIER

Première partie 1/5

Combien de promeneurs du dimanche ont eu leur attention attirée par un long fossé plein d’eau qui sinue à travers les pâturages de l’Alpe d’Huez, suivant approximativement les courbes de niveau du terrain, depuis le col du Poutran (1995 m) jusqu’au clos du Villard (1959 m), point d’arrivée du remonte-pente du Villard.

Si vous consultez la carte au 1/50 000 ou le plan au 1/20 000 du service géographique, vous le verrez désigné sous le nom de canal de Sarrazin.
On retrouve ce nom dans les anciennes monographies de l’Oisans où les auteurs, notamment le Dr Roussillon, associent les Sarrazins au creusement de ce canal et le dénomment Béal Sarrazin (Docteur Roussillon : Guide du voyageur dans l’Oisans, 1854). Cette légende paraît sans fondement. Le séjour des Sarrazins dans nos montagnes est très contesté.

Ce canal couramment appelé le « Bia » (en patois), par les gens du pays, est alimenté par les eaux captées près du déversoir du lac Blanc des Grandes-Rousses. On y est parvenu par creusement du rocher et à l’aide d’une murette de pierre qui les détourne du ravin nord-sud servant de lit au torrent du Rif Bruyant, émissaire du lac Blanc, pour l’amener sur la pente rocheuse faisant face à l’ouest.

De là, l’eau est très judicieusement orientée vers le point de chute choisi, à l’aide de murettes rendues étanches par des mottes de gazon. Dès le départ, elle vagabonde, utilisant les dévers de rochers ; les fonds de petits thalwegs, cascadant ici ou là, se divisant parfois en plusieurs branches au gré du relief et du débit, se réunissant encore pour se rediviser. Finalement, de nouveau réunie en un seul ruisseau, elle tombe en belle cascade au pied du dernier banc rocheux des Grandes-Rousses, d’où elle pique à peu près en ligne droite vers Chavanu, en creusant son lit à travers les pâturages pentus.

À ce lieu dit, afflue une branche d’un autre canal à très faible pente, amenant l’eau d’une grosse source appelée Font Belle, qui se joint à elle. Cependant, il faut ·savoir que cette deuxième adduction d’eau, sensiblement horizontale à travers les prés particuliers, est postérieure à celle qui vient du lac Blanc. Elle a été réalisée avec le consentement de la communauté d’Huez, mais sous réserve que le Villard ne disposerait de cette eau que dans la mesure où elle ne ferait pas défaut à Huez. Il reste bien clair que l’origine principale de l’eau alimentant le canal vient de la dérivation d’une partie du déversoir du lac Blanc.

Sur le versant du Villard-Reculas, cette eau dévale la pente comme un ruisseau ordinaire et s’étale dans « Le Langaret », sorte d’étang destiné à abreuver les vaches paissant dans le voisinage, avant de reprendre sa course vers le village. Là, on l’utilise pour les lessives, l’alimentation du bétail et l’irrigation de quelques prés.
Après cela, désormais inutile, elle poursuit son cours avant de bondir, en cascade, dans la plaine où elle rejoint la Sarennes.

Ce canal a environ 8 km de long. Pour entreprendre un tel travail avec les outils rudimentaires de l’époque (XVe siècle), avec un nombre de travailleurs très limité et ne pouvant travailler que pendant la belle saison, (3 ou 4 mois dans les circonstances les plus favorables), il fallait être poussé par une nécessité impérieuse. Le manque d’eau est, en effet, une très lourde hypothèque. Il est vraisemblable que la population qui est venue s’installer au Villard n’avait pas la possibilité de faire d’autre choix dans ce pays d’Oisans où, cependant, l’eau ruisselle abondamment.

Une source à trop faible débit, qui tarit en période de sécheresse, et l’eau des pluies recueillie dans des citernes, suffisent à peu près à alimenter le village en période normale. Mais un été sec ou un hiver trop long posent un problème difficile. À ce sujet, les doléances des habitants sont insistantes. Ils se plaignent amèrement de manquer d’eau, d’être obligés d’aller la chercher avec des ânes portant des outres en peau de chèvre, à environ une lieue, à Huez. (Révision des feux de 1428.)

Même doléance en 1447 et ils ajoutent qu’on doit transporter les grains à Huez ou à La Garde pour les faire moudre, faute d’un ruisseau capable d’actionner un moulin dans la paroisse.

En raison du mauvais état du pas de la Confession, les habitants de Villard-Reculas doivent parfois s’aider de deux mains pour se cramponner au rocher et retenir le sac avec les dents (Révision des feux 1447.) (Archives départementales de l’Isère)

Finalement, justice leur est rendue, satisfaction leur est donnée. Les procès-verbaux de révision des feux de 1450 relatent que « les habitants du Villard-Reculas ont un béai leur amenant l’eau que le Seigneur Dauphin les a autorisés à prendre sur le territoire de la paroisse d’Huez.

Mais ils ont dû creuser eux-mêmes le canal d’amenée, à travers la montagne, sur une longueur d’environ deux lieues. Ce travail a coûté 20 florins et quatre-vingts sestiers de blé qui les ont accablés. »

Malgré cet énorme travail de terrassement, les habitants de Villard-Reculas ne sont pas à l’abri de la disette. Par été trop sec, le canal n’apporte plus assez d’eau, le moindre accident sur le parcours l’assèche ou en réduit le débit à peu de chose. Nous retrouvons alors des doléances dans la révision des feux de 1458.

Les remontrances de la révision des feux de 1700 rappellent qu’« il n’y a, dans toute l’étendue dudit lieue, ny ruisseau, ny fontaines et pour leur usage, ils (les habitants du Villard) sont obligés d’y conduire pendant l’esté les eaux d’une fontaine qu’ils vont prendre à grands frais, à plus de deux lieues, loin et en hiver, il faut qu’ils fassent fondre la neige, qu’ils aillent quérir de l’eau dans les localités voisines. Ils n’ont aucun moulin, ce qui est une grande incommodité, et, outre la dépense à quoi elle les engage, ils ne peuvent aller moudre dans les moulins du voisinage sans être exposés au danger de se précipiter avec leurs bestiaux ».

En l’an X (1802), les habitants font observer au Préfet « qu’ils ne peuvent se procurer de l’eau que dans la belle saison, atendu qu’en hyvert et pendant plus de sept ou huit mois, les aux du lac Blanc se glacent et ne peuvent plus faire leur cours par le fossé de manière qu’ils se trouvent privés d’eau pendant ce temps…

« Pour obvier à une partie de cet inconvénient, les exposants ont formé au-dessus des habitations de la commune une petite citerne qui peut à peine fournir les eaux pendant l’hyvert. »
« L’espace d’un mois, lorsqu’il fait un hyvert froid, ils sont obligés de faire fondre la neige pour abreuver leurs bestiaux et lorsqu’il n’y a pas une certaine quantité de neige et que l’hyvert se trouve sec et froid, ils se trouvent exposés d’aller chercher de l’eau dans la plaine du Bourg-d’Oisans et éloignée d’une lieue et demy de la commune exposante et sur le dos, atendu qu’en hyvert, les bestiaux ne peuvent pas descendre au Bourg. »
« Il arrive que, depuis quelque temps, des habitants d’Huez causent journellement des dégradations à ce fossé (le canal d’amenée des eaux du lac Blanc)… Il se trouve une fontaine appelée Font Belle qui vient joindre ce fossé et augmente ses eaux… Outre qu’ils détournent les eaux du fossé, ils (les habitants d’Huez) ont encore malicieusement détourné l’eau de cette fontaine… Lorsque quelqu’un des exposants va pour raccommoder les brèches qu’ils font, ils menacent même de le maltraiter.
Pareille voie de fait est très répréhensible… »

Les exposants demandent au Préfet « de faire inhibitions et défenses à tous les habitants dudit Huez de faire, à l’avenir, aucune brèche au fossé et de détourner les eaux de la fontaine de Font Belle, à peine d’être poursuivis et punis suivant la rigueur des lois. »

Cette pétition signée par le maire du Villard-Reculas J. -B. Chalvin, l’adjoint Jacques Richard et par Jacques Arnol, Michel Bory, L. Chalvin, Jean Chollier, François Juillard, Nicolas Richard, Pierre Richard et d’un nom illisible est communiquée par le préfet Fourier au maire d’Huez, pour avis, le 27 messidor An X (16 juillet 1802).

Celui-ci répond au Préfet qu’après enquête il n’a découvert personne qui ait ouvert des brèches dans le canal du Villard-Reculas. Mais il croit pouvoir expliquer l’insuffisance de débit par le fait que dans ce « pays rampant, l’eau entraîne du gravier, de sorte que ledit fossé ne pouvait contenir toute ladite eau. Il peut, par conséquent, se former des brèches sans la participation d’aucune personne, ce qui occasionne des dégradations très considérables dans les prairies de la montagne d’Huez. »

À suivre…

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