La Meije sous les projecteurs

LA MEIJE SOUS LES PROJECTEURS ET LES LAMPIONS !
Reprise des articles historiques sur l’Oisans et son patrimoine.
Merci à David pour sa correction sur l’emplacement des projecteurs.
Mise en ligne le 24 janvier 2016, mise à jour le 17 novembre 2024.

Placer la plus belle des conquêtes de l’Oisans sous le feu des projecteurs, Jean-Paul DURAND, maire de la Grave et le Conseil municipal, en sont certain : « c’est une bonne idée ».

L’histoire se déroule entre 1999 et 2000, mais ne s’achèvera qu’en 2002.
Si vous lisez la presse locale, cette aventure ne vous a sans doute pas échappé ; l’écho qui brise le silence de nos montagnes profite d’une formidable caisse de résonance propice à exacerber les points de vue les plus tranchés, il porte haut les arguments des porte-paroles autoproclamés, et cela, quelque soit la direction du message à faire passer.

Tout d’abord, n’y voyez aucune métaphore, quand j’écris « placer la plus belle conquête de l’Oisans sous le feu des projecteurs », il est bien question d’éclairer de façon artificielle, « comme un édifice » la face nord de la Meije (3 993 m) quelques nuits par an. Cela afin de la sublimer aux yeux des voyageurs et touristes nocturnes et noctambules de passage ou en vacances dans une géographie proche et permettant d’apprécier, à sa juste mesure, la majestueuse Meije exposée sous les feux de la rampe. —Remarquez, l’idée n’était pas nouvelle. Durant l’été 1977 (dans le cadre des commémorations du centième anniversaire de l’ascension de la Meije, le 16 août 1877 par Emmanuel Boileau de Castelnau avec Pierre Gaspard et fils), faute de disposer de projecteur suffisamment puissant le Conseil municipal de La Grave avait opté pour un feu d’artifice tiré le 14 août.

Très rapidement, l’idée lancée durant l’été 1999 se concrétise, sans réelle concertation préalable, semble-t-il.
La Commune de la Grave se porte alors acquéreur, pour la somme de 40 000 fr, de 4 gros projecteurs de marque Philips de 1 800 watts. Elle procède ensuite à la mise en place du matériel au Col des Ruillans à Peyrou d’Amont, à proximité de la gare intermédiaire du Téléphérique de la Meije. Téléphériques des Glaciers de la Meije (TGM) quant à elle doit s’acquitter de la facture d’électricité.

Les premières illuminations se font les 25 et 31 décembre 1999.
À ce moment là de l’histoire, personne n’attache vraiment d’importance au cadre législatif particulier de la Meije située dans le Parc National des Écrins. L’entité administrative de ce dernier indiquera avoir reçu un courrier à l’automne 1999, l’informant d’un projet d’illumination, mais pas de demande officielle. Interrogé à ce sujet, le maire de la Grave déclarera dans le Dauphiné Libéré du 17 mars 2000 : « C’est vrai, que nous n’avons pas demandé l’autorisation du Parc pour cette initiative. Nous aurions dû le faire. Mais j’ai eu l’occasion d’en parler longuement au téléphone avec les représentants du Parc. Je ne crains pas une interdiction. Quant aux réactions des écologistes… je suis serein, je ne m’affole pas. »
Dès le départ, le Parc des Écrins choisit donc l’option de ne pas se prononcer, ni partisan, ni contre cette illumination qui, pourtant, s’installe rapidement dans quelque chose qui ressemble fort à un début de crise. L’absence d’arbitrage lui est d’ailleurs reprochée. Il justifie alors ce non-choix assumé par le flou juridique institutionnel à la constitution propre des Parcs Nationaux. Rien dans les textes ne vient interdire ou autoriser une telle utilisation de l’espace, des montagnes et de la lumière, que ce soit en son cœur et ses abords. Finalement, la direction du Parc se déclare incapable de trancher sur cette illumination.

Seule l’interdiction de publicité dans le Parc semble propice à contester l’utilisation de cet éclairage, qui selon un certain point de vue, tout aussi contestable ou pour le moins discutable, pourrait être assimilé « à un procédé publicitaire « incompatible d’un point de vue éthique avec l’image de la Reine Meije »…)
C’est un des arguments que défendra Mountain Wilderness, affirmant aussi que : « cet éclairage peut mettre en danger des alpinistes qui s’engagent dans des ascensions difficiles en hiver dans la face nord de la Meije… »
La brèche étant ouverte, les détracteurs au projet s’engouffrent et tirent à boulets rouges sur l’initiative de la mairie de la Grave. Mountain Wilderness se fait emboiter le pas par le maire de la Commune de Saint Christophe, M. Xavier Charpe, qui comme bien souvent s’enflamme dans un communiqué de presse faisant part de son indignation et de sa surprise. Il déclarera lors du conseil d’administration du Parc des Écrins, le 10 mars 2000 : « Comment faire saisir à qui n’a pas d’expérience de la montagne et du coup n’en perçoit pas la sensibilité ? Éclairer en ville des monuments publics, éclairer la Bastille à Grenoble, très bien. À la rigueur on pourrait réagir moins vivement dans certaines stations de ski qui sont des lieux urbanisés, des sortes de villes à la montagne, des cirques à loisirs… Mais éclairer des montagnes dans ce que Samivel appelait « le grand Oisans sauvage ! »… »

On sanctuarise la montagne puis on la sacrilège… là est le paradoxe, un point de vue qu’il ne sera pas le seul à défendre.
Les tensions montent d’un cran, le problème vire alors à la « guéguerre » entre communes voisines partageant le même sommet, mais pas le même idéal… Mise en valeur pour les uns, souillure pour les autres… Le torchon brule !
La tentative de conciliation organisées par le Parc des Écrins ne donne rien au mois de mars, l’aspect juridique étant remis au centre des débats. Force est de constater que le maire de La Grave, essaye d’arrondir les angles en indiquant qu’il se conformera à la demande du Parc des Écrins, ce dernier ne se prononçant toujours pas.

Après ce nouvel échec, le Président de Mountain Wilderness porte plainte contre X en dénonçant un procédé publicitaire en contradiction avec le règlement du Parc des Écrins. Outre la publicité sur un site qui ne l’autorise pas, outre les désagréments pour les alpinistes, un discours plus écologiste vient se greffer au dossier : « l’éclairage nuirait à la faune aussi bien qu’à la flore du massif ». La réponse du Maire de La Grave ne se fait pas attendre, lui estime que l’association « ferait mieux de s’occuper des poids lourds qui traversent la région, que d’un éclairage qui, lui, ne pollue pas. »
La pression monte, les associations France Environnement, puis Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA), puis France Nature Environnement (FNE) et encore plus tardivement le Club Alpin Français (CAF) s’invitent au dossier à charge contre le projet. Ce qui n’aidera en rien à calmer les tensions, bien au contraire.
À la fin de l’été 2000, Le Parc des Écrins essaie une sortie de crise honorable. Nouvelle impasse.
Mountain Wilderness diffuse alors une pétition qui remporte un gros succès.
Très rapidement, la mairie de la Grave se retrouve sous « une montagne » de protestations. Le projet contesté fait les gorges chaudes de la presse locale, puis nationale. Chacun y va de sa prose et de son édito cinglant ou assassin avec une mention spéciale pour certains journaux associatifs très engagés et rageurs dans leurs propos militants. Roger CANAC accordera également quelques lignes dans son billet « Humeur de montagnes » à ce qu’il considère comme un non-évènement, replaçant l’homme dans toute son humilité au centre d’un paysage qu’il lui faut savoir apprécier pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il voudrait qu’il soit. La sagesse des montagnes habite Roger.

Finalement c’est dans le courant de l’année 2002, après bien des vagues, un compromis est trouvé, il autorise l’illumination de la Meije, une dizaine de jours par an.
Les dates ne sont pas imposées et restent libres pour la mairie de La Grave qui privilégie les commémorations et évènementielles, 25 décembre, 1er janvier, 14 juillet, 15 août, Derby de la Meije… sont incontournables dans ce calendrier.

Cette mésaventure apportera une réécriture et la prise en compte dans la nouvelle réglementation du Parc des Écrins révisée en 2004. Cette dernière intègre maintenant l’éclairage de nuit, son usage et ses limites.
L’initiative lancée par La Grave inspirera d’autres communes, y compris une de celle qui y fut le plus farouchement opposée (à moins que cela soit une nouvelle provocation ?!). On peut alors se poser la question sur ses soudaines envies fleurissantes d’illuminer les montagnes voisines, ne satisferaient-elles pas avant tout des désirs mégalomanes, plutôt que tout autres projets altruistes visant à valoriser des déesses minérales qui n’en ont nul besoin ?
Pour chacune de ses initiatives, de nombreuses manifestations hostiles s’élèveront et feront bloc, face à ces projets.

Lors des recherches nécessaires à la rédaction de cet article, j’ai découvert que bien avant 1977, une première tentative d’illumination avait été réalisée le 14 août 1961, par le Syndicat (des Guides) de La Grave. Équipés de fusées pyrotechniques particulières d’une autonomie de plusieurs minutes, 12 membres montèrent entre le refuge de l’Aigle et celui du Promontoire afin de dessiner, par cet éclairage éphémère, la ligne de crêtes située entre l’arête du Grand Pic et le Doigt de Dieu.
La mise à feu devait se faire vers 21 h, malheureusement tous les efforts déployés pour cet évènement furent anéantis par l’arrivée impromptue d’un brouillard de fond de vallée. Les nombreux curieux venus assister à cet évènement attendirent avec espoir une éclaircie qui ne vint pas et le spectacle ne profita finalement qu’aux courageux guides qui venaient de terminer la mise en place.

C’est sans doute la leçon à retenir de ces histoires d’hier et d’aujourd’hui.
N’appartient-il pas à mère Nature d’illuminer ses plus belles filles, quand elle le souhaite ?
La banalisation, ou la volonté de contrôle de ces sanctuaires, n’est-elle pas le premier pas vers la vulgarisation du sublime et du merveilleux ? J’aime attendre avec patience les moments rares, tout simplement parce qu’ils sont rares.

Sources :
Remerciements à David et André.
Presse papier et Web.

Dauphiné Libéré :  17 mars 2000, 7 août 2000, 10 septembre 2000,
Parisien : 8 août 2000.
Le Postillon No 33 : (actuellement en vente à la Maison de la Presse Balme à Bourg-d’Oisan, article sur le Phare urbain de Pont-de-Claix, autre article sur la crise du Chambon illustrée par votre serviteur) 3 euros.
Montain Wilderness : 14 avril 2015

A lire (mise à jour 2024) :
Quel est l’impact écologique de la pollution lumineuse
Adapter l’éclairage aux enjeux de biodiversité du territoire. 

Livres :
La Meije, un haut lieu alpin, par Lionel Laslaz, édition GAP.
Mémoire d’en haut, par Paul Louis Rousset, édition à compte d’auteur.

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