La Voie romaine de l’Oisans 5/8

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Porte Romaine de Bons, Jules Blache, 1922, Musée Dauphinois

LA VOIE ROMAINE DE L’OISANS
Selon Florian Vallentin
Merci à MM. Denis Veyrat et  François Artru, ainsi qu’à Mme et M.  Joëlle et Philippe Jouffrey pour leurs explications sur ce passage du texte de Vallentin. 

Source : André Glaudas, Bulletin de l’Académie delphinale, édition : 1877

Ce long texte passionnant de Florian Vallentin est une bonne occasion de reprendre toutes les fiches sur le sujet de la Voie Romaine en Oisans publié sur Freneytique, une opportunité pour réviser ce sujet très documenté et pourtant toujours très mystérieux sur certains points. Le  8e article s’attardera sur certains points de cette voix romaine, les découvertes récentes en Oisans et sur Florian Vallentin, homme doué, érudit et très précoce, jusque dans sa fin tragique à l’âge de 31 ans. 

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La voie romaine de l’Oisans  5/8

LA PORTE ROMAINE DE BONS

De la maison des Rochas la voie romaine continuait la même direction à 300 mètres environ de ce lieu, se trouve, à fleur du sol, un rocher, appelé Rochas rena ou renard, taillé au ciseau et portant l’empreinte des rainures de la voie. Ces rainures doubles et parallèles ont une profondeur variant entre 8 et 15 cent. une distance de 1 m 38 cent. les sépare. C’est la première fois que je le constate le long des rochers des Eglières il n’y avait qu’une seule rainure. C’était l’écartement réglementaire de la voie, et je l’ai retrouvé plus loin dans les mêmes conditions.

La voie parvenait au mas de l’Échirolle où ses traces sont encore bien visibles aux lieux dits les Introts, Toulette et le Clos des Noyers. Elle avait ainsi atteint le sommet du plateau de Bons et elle était obligée de descendre sur le versant opposé pour gagner les rochers de l’Infernet. Aussi les Romains avaient dû faire faire à la voie trois lacets successifs, un aux Introts, deux à Toulette, et un au Clos des Noyers. Les tournants ont été établis sur des rochers qui ont été taillés et qui présentent les deux rainures de la voie avec l’écartement de 1 m 38 cent. Avant le premier tournant, la chaussée de la voie est dissimulée sous des prairies la dépression du terrain est très-visible.

La voie entrait ensuite dans les mas des Fermis et des Combes au premier, avant la traversée du ruisseau de Font-Bruyant, se trouve un grand rocher isolé taillé au ciseau sur une longueur de 20 mètres, et sur une hauteur de 6 mètres. Le roc forme le sol de la voie et présente les deux rainures, distantes l’une de l’autre de 1 m 38 cent. Le ruisseau franchi, la voie décrivait une légère courbe vers le nord, pour aborder la gorge étroite et escarpée de l’Infernet où elle reprenait sa direction vers l’ouest au tournant à fleur de sol, un rocher taillé porte l’empreinte des deux rainures.

Parvenue à ce point, la voie se trouvait en présence de rochers escarpés le plus souvent en surplomb sur la Romanche et qui ne pouvaient pas être contournés. Tout passage paraissait être impossible. Il fallait creuser ces rochers pour y pratiquer une sorte de corniche la difficulté était extrême pour un peuple qui n’avait comme moyen d’action que le pic à roc et le ciseau. Les Romains n’ont pas reculé devant cette entreprise, ils ont entaillé le roc pour y établir la voie celle-ci était encaissée de chaque côté et parallèlement à son axe.
Le rocher avait été entièrement aplani. La voie traversait en écharpe les rochers de l’Infernet à une grande hauteur au-dessus de la Romanche, avec une pente évaluée par M. Polonceau à 10 et 18 centimètres par mètre (Notice sur les vestiges d’un ancien chemin de communication entre l’Italie et les Gaules, etc. Paris 1841, 20 p. in 8°, p. M.). C’est tout ce qu’on peut voir de plus hardi dans l’exécution et l’on peut juger combien il a fallu aux Romains de résolution et de persévérance pour accomplir une œuvre aussi immense. La voie survit encore malgré les détériorations et les éboulis des rochers supérieurs ; elle sert aujourd’hui de sentier aux habitants de Bons pour se rendre au hameau du Chalelard et s’appelle chemin ancien des Romains, dit des Portes, au mas des Combes.

En descendant avec ce sentier, je remarquai de distance en distance les rainures tantôt doubles et parallèles, tantôt isolées. J’arrivai bientôt à la Porte des Romains (de la maison des Rochas à la Porte des Romains il y a environ 1 300 mètres.) attribuée également par la tradition, ainsi que la voie, à Annibal (Nota : de toutes les hypothèses du « Passage des Alpes par Hannibal » celle de l’Oisans empruntant les chemins de l’Oisans n’est pas retenue).

Ce monument si connu est une arcade découpée dans un rocher de granit feuilleté à couches verticales faisant une saillie de 5 mètres. La longueur entre les deux têtes de voute est de 3 m 80 cent. ; la largeur entre les pieds-droits est de 3 m 50 cent. ; la hauteur de ceux-ci est de 2 m 80 cent, jusqu’à la naissance de la voûte qui est un peu surbaissée et qui a 1 m 25 cent. de flèche au milieu. Une moitié de l’arcade est encore debout, celle qui tient à la masse de la montagne la deuxième moitié, du côté de la Romanche, s’est écroulée une partie de ses débris est tombée dans le précipice, l’autre, mêlée aux éboulis des rochers supérieurs, couvre la base des pieds-droits. Ceux-ci ont été taillés rectangulairement au ciseau avec un grand soin, et l’on avait réservé au pied de chacun d’eux une banquette également taillée au ciseau dans la masse du rocher, probablement pour la commodité des voyageurs (Hauteur au-dessus de la chaussée, 0 m 47 cent. ; largeur, 0 m 30 cent.) On a ménagé aux naissances de la voûte des cordons saillants et arrondis par-dessous en console. Le roc qui forme le sol du chemin entre les deux banquettes, a deux rainures creusées de 0 à 15 cent. de profondeur sur 8 de largeur et distante entre elles de 1 m 38  cent. (la largeur de la chaussée entre les deux banquettes est de 2 m 45 cent.), mais, par une bizarrerie inexplicable, ces rainures, au lieu d’être taillées régulièrement et parallèlement à l’axe de la voie, forment une courbe assez prononcée et irrégulière qui les éloigne de l’un des pieds-droits et les rapproche beaucoup du pied-droit opposé qui borde le précipice dont on devait chercher à écarter les chars : ceux-ci étaient, à la vérité, protégés contre les dangers du mouvement latéral par un banc de rochers qui servait de bordure.
Les Romains ont aplani et dressé parallèlement les deux faces des têtes de la voûte et les retours d’équerre et des pieds-droits jusqu’au sommet de la lame de rochers, à 5 mètres de hauteur au-dessus de la voûte et pour mieux détacher la porte entière de la masse de la montagne (à laquelle appartient l’arête saillante dans laquelle elle a été percée), ils ont également taillé et aplani parallèlement à l’axe de la porte toute la surface du rocher qui l’avoisine jusqu’à 15 mètres de haut au-dessus du sol de la route. J’ai remarqué sur toutes ces faces le travail du ciseau indiqué par des rangs très réguliers de petites entailles parallèles. J’ai constaté à l’entrée de l’arcade, du côté de l’ouest et à l’aplomb de la tête de voûte, un encastrement creusé en contrebas de la voie, lequel existe sur toute sa largeur et paraît avoir été destiné à recevoir le pied d’une herse (?).
Il y a cent ans environ, d’après la tradition locale, une moitié de l’arcade est tombée un énorme bloc s’est détaché vers 1856. (L’arche de la porte est représentée encore complète sur une gravure datant de 1660. Sa dégradation serait plus ancienne d’un siècle que l’on pourrait situer vers le milieu du 18e siècle.) Avant cet événement, la partie supérieure du rocher était horizontale on y avait probablement taillé une plate-forme pour permettre de surveiller et d’assurer le passage de la voie et de manœuvrer la herse. En effet, la porte placée entre la pente rapide que présente la montagne au-dessous d’elle et un précipice d’une profondeur incroyable formait un point de défense sur ce chemin et servait à ouvrir et à fermer à volonté le passage.

La Porte des Romains a un cachet de grandeur incontestable, on ne peut s’empêcher d’éprouver de l’étonnement en observant le degré de perfection et le luxe apporté dans la forme extérieure de cette arcade élevée dans ces lieux escarpés et solitaires au bord d’un précipice où on aurait pu se contenter d’une ouverture brute. Les Romains, privés des puissants moyens d’action qu’a donnés l’invention de la poudre, ont dû employer beaucoup de temps pour élever cette arcade, dont le percement n’a pu être exécuté qu’au ciseau. Il fallait d’ailleurs soutenir cette montagne que l’on avait ouverte, et cette arcade monumentale taillée dans la masse du rocher servait à la fois de porte et de contrefort (J’ai recherché avec soin dans les déblais qui couvrent les pieds-droits s’il y avait des fragments d’inscription mes recherches ont été vaines. D’ailleurs les auteurs n’ont rien signalé à cet égard.)

La Porte des Romains se dégrade chaque jour, des blocs de rochers sont prêts à se détacher de la voûte.
Cette arcade, dont l’importance est considérable pour l’histoire locale, aurait dû être classée depuis longtemps comme monument historique. Un vœu a été émis dans ce sens par la Commission des monuments historiques de l’Isère, dans la séance du 23 juillet 1875. Mais jusqu’à ce jour la proposition est restée sans résultat il faut se hâter si on veut empêcher la disparition très prochaine de la Porte des Romains (une voie avait été établie dans les mêmes conditions avec une porte, à Besançon) Magas. piltor. 1831, p. 260], et à Donnas, dans la vallée d’Aoste.
(Nota : Mieux vaut tard que jamais, grâce aux efforts de Mme Elisabeth BESNIER et la très grande implication également de M. Philippe JOUFFREY, le 18 avril 2014, La Porte romaine de Bons est inscrite aux monuments historiques [inscription conservatoire] en totalité, la Porte elle-même, mais aussi la portion de rocher dans laquelle elle est taillée, sur une hauteur totale de 10 mètres, et les vestiges de la voie romaine situés sur l’ancien chemin des Romains à Bons).

Après avoir passé sous la Porte des Romains, la voie continuait sa direction du côté de l’ouest le long des rochers de l’Infernet et ses traces existent sans interruption jusqu’au ruisseau de Pontet (les vestiges de la voie le long des rochers de l’Infernet existent sans interruption pendant environ 400 mètres), et l’on rencontre également dans ce parcours les rainures tantôt doubles et parallèles tantôt isolées.

A cinquante mètres en aval de la porte une lame de roche saillante en forme d’éperon, taillée et coupée pour livrer passage à la voie, a attiré tout particulièrement mon attention. Ce rocher en surplomb fait une saillie de 5 mètres, et il a le même aspect que celui dans lequel est découpée la Porte des Romains. La voie y accédait de chaque côté en décrivant une légère courbe la partie du rocher qui tient à la masse de la montagne a été entièrement aplanie parallèlement à l’axe de la voie (entre la voie et le précipice, le rocher se termine par une sorte d’éperon et cette partie est plus élevée de 20 cent. environ que la chaussée.) Le roc, qui forme le sol, présente les deux rainures parallèles toujours distantes entre elles de 1 m 38 cent. En examinant la forme et la position singulière de ce rocher, j’ai pensé que j’étais en présence d’une seconde arcade dont les vestiges avaient entièrement disparu. En effet, M. Héricart de Thury, qui a laissé dans l’Isère des souvenirs respectés, dans une visite qu’il fit à la Porte des Romains au commencement de ce siècle, avait remarqué cette deuxième porte et il l’avait dessinée à la suite de sa relation (voir : Monuments celtiques » de Cambry). Autant qu’on peut en juger par ce dessin, cette deuxième arcade n’avait pas les dimensions grandioses de la première, et elle était, en 1802, en mauvais état de conservation il n’est pas surprenant que depuis lors elle ait été entièrement détruite, et qu’il n’en reste aucun vestige. Les éboulis des rochers supérieurs sont la principale cause de cette disparition.

On n’a aucun souvenir de cette deuxième porte dans le pays cependant, quand on parle, en patois, de la porte des Romains, on emploie toujours la forme du pluriel on dit Porta Vélia « Portes Vieilles », par opposition aux portes neuves, situées à 80 mètres au-dessus des deux arcades, sur la route, par Bons et le Mont-de-Lans, parce que le passage avait été ouvert à travers un banc de rochers (Sur un des rochers est la date 1723, indiquant, dit-on, l’ouverture de ce passage). Ainsi les montagnards disent d’une entreprise dangereuse, autant faire ouvrir Portes Vieilles.

NOTA : Dans l’acte du colloque sur la voie romaine de l’Oisans il est indiqué page 64 : L’ingénieur des mines Héricart de Thury, qui avait accompagné le préfet Fourier lors de sa visite de septembre 1803, crut reconnaître à Bons les restes d’une seconde « porte », et l’avait même dessinée (gravure publiée en 1805 dans l’ouvrage « Monuments celtiques » de Cambry). Cette information fut régulièrement reprise par la suite. Nous nous devons toutefois de la remettre en cause ; il n’y aurait, selon nous, qu’une seule « porte », et nous appuyons cette affirmation sur deux actes notariés du début et de la fin du XVIIIe siècle. En effet, ces écrits concernant la location ou la vente de terrains dans ce secteur du Mont-de-Lans, les localisaient précisément au lieu-dit « à la porte » (nous soulignons l’utilisation du singulier).
À Mont-de-Lans, le lieudit « Les portes » désigne le verrou que forme la route qui mène au hameau du Ponteil, au niveau du virage (juste après l’ancien télésiège), où se trouve l’oratoire « des Portes » construit par Pierre Richard en 1749, notons qu’en 1757, il est mentionné au lieudit « À la porte ».
Concernant le patois, je n’ai pas trouvé précisément sur le hameau de bons, mais sur ce versant de montagne, le pluriel se dirait plutôt Portas veillas, le singulier féminin porta veilla.

À suivre : Venosc

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