La Voie romaine de l’Oisans 6/8

Cliquez-moi !

Photo Chemin muletier en direction de Saint-Christophe avec vue sur le village de Venosc début XXe © Musée dauphinois, plaque de verre, Joseph Apprin.

LA VOIE ROMAINE DE L’OISANS
Selon Florian Vallentin
Merci à M. André Brun, pour son aide et sa lecture du terrain ainsi qu’à MM. Denis Veyrat et  François Artru, pour leurs explications et commentaires sur ce passage du texte de Vallentin. 

Source : André Glaudas, Bulletin de l’Académie delphinale, édition : 1877

Ce long texte passionnant de Florian Vallentin est une bonne occasion de reprendre toutes les fiches sur le sujet de la Voie Romaine en Oisans publié sur Freneytique, une opportunité pour réviser ce sujet très documenté et pourtant toujours très mystérieux sur certains points. Le  8e article s’attardera sur certains points de cette voix romaine, les découvertes récentes en Oisans et sur Florian Vallentin, homme doué, érudit et très précoce, jusque dans sa fin tragique à l’âge de 31 ans. 

Articles précédents :  1/8 – 2/83/84/85/8
La voie romaine de l’Oisans  6/8

VENOSC
En sortant du mas des Combes, la voie Romaine pénétrait dans celui des Chatelards ; toute trace a disparu, le sentier de Bons aux Chatelards lui a succédé, il laisse à 20 mètres sur la droite le hameau de ce nom, situé dans un défilé étroit et séparé de la Romanche par une éminence assez élevée, appelée le Moutet, et couronnée par des ruines. Ces ruines proviendraient, dit-on, d’un fort, castel (Nota : fortin, château, maison forte…), destiné à surveiller et à protéger le passage de la voie le long des rochers de l’Infernet. Le hameau du Chatelard était alors, d’après la tradition, une mansio (gîte d’étape situé le long d’une voie romaine). Au point où le sentier des Combes rejoint l’ancienne route de Briançon (par Bons et le Mont-de-Lans), un petit chemin s’en détache pour se rendre au hameau du Chatelard et aboutit au sommet de l’éminence. On l’appelle le « chemin ferré [Sic]» parce qu’il est uniformément pavé avec de grandes dalles irrégulières ; ce nom parait indiquer une origine romaine.

La voie Romaine s’engageait ensuite dans le mas des Drayes ou de la Ferrière : à l’entrée de ce mas, au-dessous de l’énorme roche du Ponteil, immédiatement avant le clapier, un rocher taillé au ciseau atteste son passage. Dans le bois de la Ferrière existent encore quelques vestiges de murs de soutènement.

La voie franchissait sur le vieux pont, appelé pont romain (je ne crois pas que ce pont soit d’origine romaine, il dû être restauré ou rétabli depuis lors), le ruisseau de la Rivoire, elle s’engageait, dit la tradition, dans les mas de Rivoire-le-haut (où elle passait devant la chapelle de Saint-Sauveur), de Rocher rond et du Bois du Roi, dans lequel elle faisait quatre lacets pour atteindre le ruisseau des Commères où se trouvent des rochers taillés et des murs de soutènement en ruines, et elle parvenait au mas des Serres-du-Coin, de Combe-du-Tuf ou Comboche (commune de Venosc, ainsi que les suivants, je n’ai pas besoin de rappeler que les mas qui précèdent, depuis celui de Daraire, sont sur la commune du Mont-de-Lans), de Pierre-Frète, des Buissons, des Ougiers, de Combe-Chave et du Ferraret ou Côte-Noire : toute trace de son passage a disparu dans ce parcours ; le petit sentier du Ferraret aux Ougiers, souvent détruit par les éboulis, lui aurait succédé.

J’ai eu la bonne fortune de découvrir au Ferraret, qui est un hameau de Venosc, une forteresse romaine entièrement inconnue jusqu’à ce jour.

Cette forteresse était établie sur un rocher de forme bizarre nommé le rocher des Clos ou des Têtes. Ce rocher, entièrement isolé, qui domine le Vénéon aux eaux d’un bleu perle (en langage du pays : Verieù [Nota : Vénéon se dit velreu’n en patois de Venosc. VEN-radical préceltique = la montagne, ONE  = la rivière ; littéralement, la rivière qui vient de la montagne]), se présente du côté du torrent sous l’aspect d’une grande muraille à pic et forme le passage des Étroits. Du côté de la montagne de Pié-Moutet [Sic], il se compose de quatre éminences ou quatre têtes distinctes, séparées les unes des autres, d’où lui est venu son nom un petit vallon cultivé, d’une largeur de 15 mètres et d’une longueur de 400 mètres, sépare le rocher des Clos de la montagne. En examinant attentivement les lieux, j’ai reconnu que ces têtes avaient été taillées et arrondies de main d’homme. Elles ont conservé des vestiges certains et authentiques de la puissance romaine dans l’Oisans deux d’entre elles, la deuxième et la quatrième, renferment en effet sur le flanc oriental 18 citernes de diverses dimensions entièrement et finement taillées dans le roc (il y en a peut-être un plus grand nombre, car la plupart sont comblées). Les deux autres têtes, la première et la troisième n’ont rien à être signalé.

Sur le sommet de la deuxième tête se trouvent les ruines d’un ancien poste la dimension des citernes varie entre 2 m 40 cent. et 0 m 70 cent. de diamètre il est assez difficile d’en sonder la profondeur, car des arbustes y ont poussé.

Entre la troisième et la quatrième tête existe un terrain bombé, aujourd’hui recouvert par un vert gazon, de forme circulaire, et entouré de tous les côtés par des rochers du nord au sud, il y a 14 mètres, de l’est à l’ouest, 20 mètres. Ce lieu est appelé dans le pays le camp ou la citerne. Cette dernière dénomination provient de ce qu’il y avait autrefois entre le camp et la quatrième tête une citerne immense elle avait été creusée en partie dans le rocher, et, du côté du camp, existait un mur que l’on voit encore à fleur de sol. Cette citerne est aujourd’hui comblée, soit par les débris de ce mur, soit des décombres provenant des constructions élevées sur le sommet de la quatrième tête. La hauteur au-dessus des déblais est de 12 mètres ; la largeur du nord au sud, est de 8 m 30 s cent., et, de l’est à l’ouest, de 7 mètres. Les dimensions des autres citernes varient entre un diamètre de 3 m 50 cent. et de 0 m 45 cent.

La quatrième tête, la plus élevée de toutes, présente un sommet aplani qui forme trois terrasses, où j’ai remarqué des pans de murs et une grande quantité de décombres provenant d’un château fort aussi cette éminence est-elle appelée la Tête du Château. De cette plateforme la vue est magnifique et s’étend au loin. On domine de chaque côté le cours du Vénéon qui mugit sur des blocs entassés. Au nord, des éboulis de Pié-Moutet masquent un peu la plaine du Bourg-d’Oisans (avant ces éboulis on voyait cette plaine), au sud, le clapier de Saint-Christophe, et des glaciers qui s’élèvent en glorieuse perspective dans le prolongement de la vallée du sommet des autres têtes, la vue est plus restreinte.

Un chemin appelé le Ferret [Sic] longe le pied de ces éminences du côté du vallon il est encore en parfait état de conservation sur certains points. Il est pavé régulièrement avec des dalles noires d’inégale grandeur ; la chaussée présente une largeur uniforme de 2 m 60 cent. De chaque côté de la chaussée est un mur d’une épaisseur de 0 m 70 cent. et d’une hauteur de 0m75 cent. en moyenne.
Ce chemin disparaît, peu après la tête du Château. On en retrouve quelques vestiges à la Moellette. Je n’ai pas hésité a reconnaître dans le Ferret la continuation de la voie romaine de Brigantio à Cularo on sait que dans beaucoup de lieux elle porte encore ce nom.

On accédait du Ferret à la deuxième et à la quatrième tête et au camp. On reconnaît, en effet, à la deuxième tête, les vestiges d’un escalier taillé dans le roc un embranchement s’élevait en pente douce jusqu’au camp.
Un bel escalier tournant, taillé également dans le roc, ayant des marches d’une longueur de 1 m 30 cent., aujourd’hui encore bien conservé, permettait d’accéder de la voie au château.

Un bourg important existait, dit-on, à l’époque romaine, à peu près sur l’emplacement aujourd’hui occupé par le village de Venosc et c’était une station de la voie. Il y avait nécessité pour les chars ou pour les voyageurs de s’arrêter, car depuis la station des Vernois (La Grave), ils avaient parcouru environ 30 kilomètres.
Je pense que les Romains avaient établi une forteresse au rocher des Têtes ; c’était un poste inexpugnable qui maintenait en respect les montagnards toujours hostiles et qui assurait la sécurité du passage. La tradition locale attribue l’établissement de ce fort à Annibal les Romains, les Sarrazins, les Fées, les anciens habitants du pays, jouent un grand rôle dans les légendes relatives à ce fort (il est curieux d’entendre des montagnards qui ne connaissent pas un mot de latin, raconter le fait suivant Annibal eu se rendant aux Alpes, suivit la vallée de la Romanche en créant le chemin qui devint la voie romaine. Parvenu à Venosc, il fut attaqué par les montagnards et il fut obligé de se retirer et de quitter le fort des Têtes, en s’écriant Vœ nobis [Maleur à nous !]. Les vainqueurs fondèrent Venosc pour perpétuer le souvenir de la défaite du général carthaginois et de sa dernière parole : Venosc venant de Vœ nobis !!).

La voie romaine franchissait la Romanche à peu de distance du fort des Têtes et sous sa protection elle remontait jusqu’au Bourg-d’Arud, où se trouvait, dit-on, le pont. Elle prenait immédiatement la direction du nord à travers les mas de la Forêt, de l’Aiguille de l’Embarnard, de La Rochette, des Ruines et des Comps, de l’Argentière de la Blàche, de la Danchère, des Escalons et des Gauchoirs (commune de Venosc. On entre dans celle de Bourg-d’Oisans), elle suivait le pied de la montagne du Villard-Eymond (Nota : Actuellement Villard-Notre-Dame) et du Bourg-d’Oisans. En ce lieu existait une mansio, qui est devenue plus tard l’Hospice de Saint-Laurent, ainsi que je l’ai dit plus haut le Bourg n’existait pas encore cette mansio était à 10 kilomètres environ du fort des Têtes.

NOTA : Dans cette partie du récit, Florian Vallentin découvre et attribue à cette zone, un très grand nombre de vestiges supposés romains.

Je connais assez bien ce secteur et selon moi de nombreuses interrogations subsistent.

Commençons par l’itinéraire décrit qui soulève bien des interrogations.
Vallentin semble suivre un chemin très compliqué, passant par le hameau du Chatelard, remontant par Le Moutet où il localise les ruines d’un castel et le départ du « Chemin ferré ». Il donne l’impression de zigzaguer sur ce pans de montagne, remontant sous le Ponteil, redescendant vers la Rivoire où il passe un pont « romain », pour passer ensuite le ruisseau des Commères et se retrouver à Combe Chave, puis finalement au Ferraret.
À titre personnel, je m’y perds, impossible de me retrouver dans ce mélimélo.

Partons du principe que Vallentin a suivi un itinéraire plus ou moins proche de l’actuel chemin du Sappey, il passe par le Pénail, Combe Chave, la Combe, il redescend vers le Ferraret, puis jusqu’a Bourg-d’Arud. Là, il passe le Vénéon sans doute vers le hameau de l’Alleau, et revient en quelque sorte sur ces pas en suivant le torrent en rive gauche vers la Danchère, les Gauchoirs et finalement poursuivre en direction du Bourg-d’Oisans.
Je ne comprends pas ce passage. Pourquoi choisir cet itinéraire particulièrement alambiqué et long, plutôt que la Voie antique, comme communément admise, empruntant par la gorge de l’Infernet et ainsi éviter cette boucle de plus de 8 km passant par la vallée du Vénéon ?

Poursuivons sur la portion de voie qu’il désigne comme « chemin Ferret » située entre le Ferraret et le Courtil, arrivant à la deuxième, puis quatrième Tête du camp, dans la continuité de la Voie romaine. Un chemin qu’il décrit comme important et constitué de portions toujours très visibles selon sa description. À ma connaissance, il n’y a pas/plus (aucune) trace d’un chemin tel que décrit dans ce secteur, ce qui est curieux. Plus encore, le toponyme a complètement disparu, ce qui est bien étrange. Nulle carte consultée, ancienne ou contemporaine au passage de Vallentin, n’en fait mention, et encore plus troublant à mes yeux, il est effacé de la mémoire locale pourtant très encline à conserver par tradition orale le nom des lieux à travers le temps. Ce chemin reste un mystère.

J’ai questionné M. André Brun, Venosquin, enfant du pays qui connaît le secteur comme sa poche, il n’identifie pas de lieu ou de chemin « Ferret » ou « Ferré » dans ce secteur où il identifie : le ravin de Bourmay, l’Olivière, le Lavau juste avant le ruisseau du Merdaret arrivant des Deux Alpes par la Combe Noire, et de l’autre côté (la route de) « Grange ».

Autre curiosité du texte, la présence de deux escaliers visibles, l’un droit, l’autre tournant, tous deux taillés à même le rocher dans un passage en encorbellement. Le premier escalier partant du chemin Ferret, le second en direction du camp et permettant de passer de la voie au Château. Là encore, à ma connaissance aucune trace de ce type répertoriée ou connue dans ce secteur.
André m’indique que la mémoire des anciens parle de ces marches comme une croyance plébéienne colportée, mais jamais vue.

La même interrogation concerne les fameuses « 18 citernes », creusées par la main de l’homme. Ces dernières existent et sont bien présentes dans la mémoire locale, André m’explique que son grand-père lui en parlait. Le nombre de 18 citernes avancé par Vallentin est, à cette heure, invérifiable à moins d’une prospection poussée du secteur, car depuis son passage la végétation a complètement masqué et altéré la lecture du lieu tel qu’il a pu le découvrir en 1877. Toutefois, une deuxième analyse laisse supposer que Vallentin s’est trompé et que ces nombreuses formes concaves seraient plutôt la conséquence du travail d’une forme d’érosion particulière produite par le glacier des Alpes (Pléistocène), et du torrent du Vénéon qui coulait à cet endroit avant de glisser vers l’aval et prendre sa place dans la gorge qu’on lui connaît aujourd’hui.
André me le confirme. Il m’indique qu’aux alentours du Ferraret et de ce rocher appelé la Tête du Château on trouve de nombreux « polis glaciaires » sur le sentier et aussi tout près de la ruine du Ferraret. Une autre forme d’érosion indiscutable, et preuve s’il en est, allant dans le sens d’une formation naturelle et non humaine pour ces fameuses citernes (auxquelles il faudrait trouver une utilité humaine pratique en cohérence avec le lieu).

Effectivement, comme l’a décrit Florian Vallentin, dans ce même secteur juste au-dessous du Ferraret, il y a un rocher dominant, situé au-dessus du passage du rocher des Étroits, une plateforme minérale appelée Tête du Château. Ce plateau rocheux offre effectivement un point de vue stratégique (dégagé de toute forme de végétation en son temps), sur la vallée du Vénéon, côté aval en direction des Ougiers et du Bourg-d’Oisans, et côté amont en direction du Bourg-d’Arud et de Saint-Christophe. Rien n’infirme, ou n’affirme d’ailleurs, la présence d’une tour de garde à cet endroit précis, bien avant que la route soit taillée en encorbellement au passage des Étroits ou que le Vénéon soit canalisé par EDF.
Le lieu s’y prête incontestablement et le microtoponyme semble aller dans ce sens (si tant est qu’une altération ne donne aujourd’hui au mot « Château » une tout autre origine d’une tout autre nature, origine oubliée avec le temps).

Passage de la « voie Romaine » par Venosc 
Il est cependant fort possible et je dirais même évident, que durant toute l’occupation romaine, à des périodes précises, ou de façon épisodique, les Romains aient pour des raisons pratiques emprunté cette route afin de remonter de la vallée de la Romanche, par le Vénéon plutôt que par la gorge de l’Infernet, en traversant le plateau de l’Alpe de Venosc et de Mont-de-Lans pour redescendre ensuite vers la vallée du Dauphin et finalement remonter en direction de la Grave (et inversement).
Une voie secondaire tout à fait envisageable, qui a peut-être bénéficié de quelques aménagements particuliers en son temps, mais dont les traces sont pour l’instant absentes, en tout cas telles que sous les formes décrites par Florian Vallentin dans ce texte.

A suivre  : conclusion…

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, une erreur ou si vous souhaitez ajouter une précision,
veuillez nous en informer en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur les touches [Ctrl] + [Entrée] .

Print Friendly, PDF & Email
Ce contenu a été publié dans ARCHITECTURE, ARCHIVES, HISTOIRE, ROUTE, TÉMOIGNAGE, TEXTE, VILLAGE, VOIE ROMAINE, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.