La Voie romaine de l’Oisans 4/8

Mont-de-Lans, photo Hippolyte Müller, début XXe, Archive, musée Dauphinois.

LA VOIE ROMAINE DE L’OISANS
Selon Florian Vallentin
Merci à MM. Denis Veyrat et  François Artru pour leurs explications sur ce passage du texte de Vallentin. 

Source : André Glaudas, Bulletin de l’Académie delphinale, édition : 1877

Ce long texte passionnant de Florian Vallentin est une bonne occasion de reprendre toutes les fiches sur le sujet de la Voie Romaine en Oisans publié sur Freneytique, une opportunité pour réviser ce sujet très documenté et pourtant toujours très mystérieux sur certains points. Le  8e article s’attardera sur certains points de cette voix romaine, les découvertes récentes en Oisans et sur Florian Vallentin, homme doué, érudit et très précoce, jusque dans sa fin tragique à l’âge de 31 ans. 

Articles précédents :  1/8 – 2/83/8
La voie romaine de l’Oisans  4/8

Par M. Florian VALLENTIN
Juge suppléant au Tribunal.

Séances des 26 janvier et 4 mai 1877.

VERS MIZOËN…

En quittant la mansio de Loches la voie romaine s’engageait dans la forêt communale de Mizoën, j’ai remarqué de loin en loin quelques vestiges dans le bois de mélèze. La petite route de Briançon, dont la chaussée ne tardera pas à disparaître et qui sert de chemin d’exploitation aux habitants de Mizoën, aurait dit la tradition, succédé à la voie romaine.

Celle-ci parvenait ainsi aux mas de Daraire et de Tardivière (sur la commune du Mont-de-Lans), où est un lieu du nom du camp, peut-être en souvenir d’un poste d’observation établi par les Romains. D’après la tradition, la voie s’élevait de Tardivière en faisant un lacet dans les terrains cultivés du mas de Gardette, pour atteindre les mas du Pied-des-Serres, de Traverse et Cotariol (où j’ai découvert un menhir dressé en contre-pyramide et appelé Pierre-Batailière), et des Églières où des rochers ont conservé la marque non équivoque de son passage. Ces rochers, situés à 15 mètres environ au-dessous du sommet du Calvaire (où se trouvait, dit-on, un poste d’observation), éminence à laquelle est adossé au midi le pittoresque village du Mont-de-Lans, ont été taillés au ciseau avec beaucoup de soin. La voie contournait ces rochers et présentait une largeur de 2m80 cent. (La porte de Bons),  à ce passage dangereux qui dominait à une assez grande hauteur la Romanche. Le roc formait le sol du chemin, et j’ai remarqué le long du banc des rochers l’une des rainures qui retenaient les roues des chars et leur permettaient de rouler à l’instar de nos tramways. Les traces se voient sur une longueur de 50 à 60 mètres, elles se perdent au point appelé passage étroit ou passage des Siouresses. On a cru pendant longtemps que les rainures, qui se trouvent sur certains tronçons de voies romaines, manifesta rotœ vestigia (traces de roues), étaient des ornières creusées par le long usage et par le défaut d’entretien des routes. Ce sont an contraire des rigoles ou rainures travaillées et soigneusement nivelées, creusées intentionnellement à des distances calculées sur la largeur ordinaire de la voie des chars, dans le seul but d’assurer la direction des roues et de faciliter la traction du chargement sur un sol rocheux et accidenté (Nota : plusieurs autres interprétations expliquent l’intérêt de ces rainures creusées dans le rocher cf. Lien précédent). Ces rainures sont analogues à nos rails de chemins de fer, et un Anglais, M. Mure, a-t-il eu raison d’appeler ces chemins voies en rails de pierre (William Mure, Journal of tour in Grèce, t. 2., p. 251, « stone railway » ). Les Grecs et les Romains se sont servis de ce procédé(1), qui présentait le même inconvénient que présentent nos voies ferrées la rencontre de deux chars venant en sens opposé. En général les voies grecques et romaines n’avaient qu’une seule voie. Sortir de l’ornière et faire un détour ont bien souvent donné lieu à de graves conflits tels est l’épisode tragique de la mort de Laius par son fils Œdipe. Aussi pour éviter ces conflits on avait eu soin d’établir en certains endroits des lieux d’évitement où s’élevaient quelquefois des mansiones. Il ne faudrait pas juger d’après nos mœurs et nos habitudes de la fréquentation des voies dans l’antiquité, il y avait très peu de chars, on allait à pied, les chevaux étaient des objets de luxe.

Après avoir contourné les rochers des Églières, la voie romaine, d’après la tradition, se dirigeait au midi en traversant le mas des Candamines, où en 1874, M. Auguste Oddoux a découvert des débris de la chaussée et des murs de bordure, en mauvais état de conservation, débris qui se composaient de grandes dalles qui avaient jadis été cimentées avec du mortier et unies les unes aux autres. Ce tronçon a été détruit entièrement et les matériaux sont entassés à l’une des extrémités du champ de M. Oddoux, lequel n’avait fait aucune remarque utile sur ces vestiges.

Ce dernier avait trouvé en 1860, dans la partie comprise entre ce tronçon et les Églières, plusieurs tombeaux appartenant vraisemblablement à une nécropole du premier âge de fer ils étaient placés sur les bords du sentier qui descend du Mont-de-Lans au Freney, et je crois, aussi, sur le parcours de la voie romaine (Courrier de l’Isère, 29 avril 1860. Lettre de M. Oddoux. [Nota : je n’ai malheureusement pas retrouvé cette archive]).
À peu de distance du tronçon des Condamines, la voie qui avait longé la combe du Gilibert, franchissait le ruisseau de ce nom au pont actuel (Nota : Sauf erreur de ma part, actuellement orthographier Combe du Gilbert et ruisseau de l’Alpe ou « Petit Gilbert ».), lequel aurait, dit-on, remplacé un pont, appelé pont romain détruit par un éboulement il y a 40 ans environ (ce pont était aussi appelé Pont construit par les Romains.). La voie reprenant sa direction vers l’ouest traversait les mas de Préforent et des Rochas où elle a laissé des traces.
On voit à certains endroits, sur le terrain, des tranchées évidemment faites pour un passage ; la dépression du sol ressort à l’œil à quelque distance (après avoir traversé le pont, il faut, pour suivre la voie, passer sous la Croix des Orars. [en fin de Route des Oras de Bons, en direction des Travers]). La culture et la végétation, depuis l’abandon de la route, ont enfoui chaque année de plus en plus la chaussée sous les céréales ou sous le gazon des prairies. Des fouilles bien conduites permettraient de les retrouver ; je viens de faire connaître le tronçon des Condamines mis au jour en travaillant la terre. Les mêmes travaux ont amené au mas de Préforent, aux lieux dits des Orars et de l’Oulme (carrefour entre de la route en direction de Préforent, route des Oras et la route des Deux Alpes), la découverte, en 1875, de plusieurs tronçons de la voie. Ces tronçons ont été détruits par les propriétaires, MM. Laurent BELLET et et Pierre VEYRAT de Bons on peut voir les matériaux entassés sur les bords de leurs domaines ils servent de murs de clôture. Chaque tronçon présentait trois étages de maçonnerie ; 1o un pavé fait avec de grandes pierres irrégulières unies très régulièrement avec du mortier ; 2o une couche de mortier et de sable ; 3o sur le sol, de petits cailloux ni assemblés ni joints entre eux. Les murs de bordure étaient à la hauteur de la chaussée ; ils étaient formés de pierres brutes solidement cimentées avec du mortier et ayant une épaisseur de 40 cent. Ces murs faisaient corps avec la chaussée, qui mesurait 2m60 cent. Il a fallu employer beaucoup de temps pour détruire cette chaussée qui formait une masse compacte difficile à briser. On s’explique très bien que la plupart des voies romaines soient encore en bon état, quoiqu’on les ait laissées sans entretien pendant plusieurs siècles.

Toutes les voies romaines ne présentaient pas les quatre étages de maçonnerie réglementaires, dont parle Bergier : pavimentum, nucleus, rudus, statumen (Cliquez-ici). J’ai pensé qu’il était important de signaler la mode de construction de la voie de Brigantio à Cularo. Elle a dû être établie dans les mêmes conditions dans tout son parcours.
Au mas des Rochas est un grand bâtiment abandonné, au milieu de beaux arbres et à quelque distance des horreurs de la Romanche, qu’on appelle dans le pays la maison des Rochas, et qui aurait, dit-on, été à l’origine une auberge romaine, c’est-à-dire une mansio.
Cette tradition me paraît justifiée par la dénomination même de maison des Rochas (une très grande maison disparue disparue aujourd’hui située au départ du chemin en direction de la Porte de Bons) ; le mot maison vient du mot mansio, et ce terme se retrouve dans plusieurs noms de lieux que l’on reconnaît avoir été jadis des mansiones. En outre, 18 kilomètres environ avaient été parcourus depuis l’Hospice de Loches et 3 depuis le mas du camp, et il était naturel que les Romains aient songé à élever en cet endroit si agréable un lieu de halte.
Le bâtiment actuel des Rochas a été édifié en 1643, ainsi que le constate une mention placée sur une petite fenêtre du rez-de-chaussée du côté de l’est cette date indiquerait une reconstruction suivant la tradition locale. Après la création de la route, passant par les villages du Mont-de-Lans et de Bons, au XVIIIe siècle, la maison des Rochas, où on logeait à pied et à cheval, ne tarda pas à être délaissée. Je dois ajouter que celle-ci était située sur la rive droite de la voie (les tronçons de la voie ont été découverts à 300 mètres environ en amont de la maison des Rochas.)

(1) Henriot, topographe des dèmes de l’Attique, p. 8. Voir les Travaux de MM. Leake, Ross et Curtius. — E. Caillemer. Notes sur les railways ou chemins à rainures dans l’antiquité grecque, mémoires lus à la Sorbonne en avril 1808, Archéol., 1869, p. 171. Il existe un chemin à rainures à Chantemerle Canton de Grignan (Drôme). Bail. Soc. Arch. de la Drôme 1874, p. 120. Lacroix, L’Arrondissement de Montélimar, t. 1, p. 391.

À suivre : La Porte Romaine de Bons.

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