L’éboulement de Lanchâtra

Illustration, « Avalanche », gravure du XIXe.

L’ÉBOULEMENT DE L’ENCHATRAS*
L’actualité dauphinoise avril 1891

Un terrible éboulement vient de détruire le hameau de l’Enchatras en Oisans. Dès que la nouvelle en est parvenue à Grenoble, notre dévoué préfet est parti immédiatement pour se rendre sur les lieux de la catastrophe. Voici ce qui s’est passé, raconté par M. Sarret, l’un des témoins de l’événement.

« À six heures, étant dans un champ, j’entendis un grondement épouvantable ; le brouillard était si épais que je n’aperçus rien ; néanmoins, prenant peur en entendant ce bruit terrible qui allait croissant, je m’empressais d’aller me cacher dans une anfractuosité de rochers formant voûte. À peine y étais-je installé qu’une masse énorme passa sur ma tête. Je n’eus aucun mal ; seules quelques pierres s’arrêtèrent et obstruèrent l’entrée de la cavité où je me trouvais. Tout bruit ayant cessé, et par suite tout danger ayant disparu, je déblayai les pierres qui me barraient le passage et je descendis au village qui, étant donné la direction de l’avalanche, avait dû être atteint… »
M. Sarret ne se trompait pas. En effet, à son arrivée il constata l’étendue du désastre : cinq bâtiments étaient détruits ; cinq autres, pour la plupart destinés à l’habitation, avaient été atteints.

Quand la population affolée eut retrouvé un peu de sang-froid, elle se porta à la maison Paquet qui, construite, sur le chemin suivi par l’avalanche, avait dû être une des plus éprouvées.

Effectivement toute la partie du bâtiment formant cuisine était détruite ; seule la chambre à coucher du fils Paquet était intacte. Ce dernier qui avait été éveillé par l’éboulement était déjà devant sa maison, à peine vêtu, dégageant sa mère qui avait été prise sous la porte principale de la maison, enfoncée par un bloc de rocher. Cette dernière, nous l’avons dit, n’est que blessée. Il s’occupa ensuite de son père et de sa tante qui se trouvaient dans la cuisine quand arriva l’avalanche. Près du bloc, pesant approximativement plus de 400 quintaux, et qui avait enfoncé la maison, il retira, avec l’aide de MM. Paquet, un de ses parents, puissant, propriétaire, son père dont le crâne avait été complètement fracassé. Le malheureux, qui était mort sur le coup, fut porté sur son lit, et l’on commença de nouvelles recherches pour découvrir la soeur de Jean Paquet.

À deux heures seulement, on aperçut une main dépassant le rocher de quelques centimètres. La pauvre femme était littéralement écrasée sous le bloc de plus de 400 quintaux, et il fallut l’aide de tous les hommes du village pour faire mouvoir ce rocher et dégager le cadavre de Catherine Paquet. Ce travail ne fut achevé qu’à cinq heures du soir.

La levée de corps a été faite en présence de M. le Préfet, qui a prononcé une émouvante allocution.
La blessée, Mme Paquet mère, a une fracture du crâne et de légères lésions internes.
Les dégâts matériels s’élèvent à 40 000 francs environ.

Le hameau de l’Enchatras, hameau qui comprend 11 maisons est habité par une population laborieuse de 60 habitants, il est situé dans un site pittoresque sur les bords désolé de la vallée du Vénéon. Au-dessus, à 300 mètres environ, se trouve un banc de rochers qui, depuis longtemps, est un sujet de continuelles inquiétudes pour le pays.

Deux jeunes filles qui se dirigeaient tranquillement dans les champs eurent à peine le temps de se blottir sous un rocher ; aussitôt des pierres énormes roulaient près d’elles et allaient se précipiter  à quelques mètres au-dessous dans les maisons.

Pour arriver à l’Enchâtras, il faut passer dans un chemin étroit, difficile et escarpé, où l’on est continuellement exposé à recevoir des pierres qui se détachent du flanc de la montagne.

La municipalité de Saint-Christophe est venue remercier M. le Préfet à son arrivée.
M. Puissant, maire, retenu chez lui par une cruelle maladie, a fait exprimer par l’adjoint, M. Gaspard, tous les regrets qu’il éprouvait de ne pouvoir se rendre auprès de lui
En explorant les environs, on a constaté un nouveau danger pour le village. Un bloc énorme de rocher menace de tomber et de causer de nouveaux malheurs.
M. Revol, ingénieur en chef, a conseillé de le faire sauter à la dynamite, après avoir fait évacuer le village.
Le bétail n’a pas souffert de cet accident à l’exception de deux chèvres qui ont été tuées.
Le frère de Jean Paquet avait été tué dans de circonstances semblables. Il ramassait du foin avec son père lorsqu’un rocher se détacha de la montagne et l’écrasa.

Commentaire de M. Gaël BELLINTANI
Il y a eu trois décès lors de l’éboulement du « Crochou dou Biru ». Une maison a été entièrement détruite (famille Paquet), les pierres de cette ruine ont servi à la construction de la chapelle de l’Enchâtras juste après ce drame.
Une pierre sur la façade de cette chapelle porte l’inscription 1777, c’est la date de construction de la maison qui a été détruite par l’éboulement.
La chapelle a été rénovée récemment par Didier Paquet-Bellintani, un descendant direct de Jean Paquet.
À l’époque, les habitants du village avaient refusé que soit dynamitée la falaise d’où étaient partis les rochers. Depuis, il n’y a pas eu de nouvel éboulement significatif.
Mais les anciens nous ont toujours dit qu’un jour l’Enchâtras serait enseveli…

* Graphie de l’époque respectée. 

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, une erreur ou si vous souhaitez ajouter une précision,
veuillez nous en informer en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur les touches [Ctrl] + [Entrée] .

Print Friendly, PDF & Email
Ce contenu a été publié dans ARCHIVES, HISTOIRE, PRESSE, TÉMOIGNAGE, VILLAGE. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.