Les poudres du Chambon

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Vue du verrou du Chambon. Tracé par Henri Fredet, trait rouge indique la hauteur et la forme du barrage encastré dans le verrou.

LES POUDRES DU CHAMBON
Archive Freneytique : réponse de l’ingénieur P. Simon au à la lettre du conseil municipal de la commune du Bourg-d’Oisans contre l’établissement du projet de barrage du Chambon.

Disponible : Chambon, dans l’ombre d’un géant, histoire du barrage

Contexte : imaginé en 1918 par Henri Fredet, le barrage du Chambon devient au cours des années 1920 une réalité pour les habitants de l’Oisans. Les premiers plans et études profilent un barrage voûte, « nouvelle » technique de construction plus économe en matériaux et en coût.
Le 1er décembre 1923, la catastrophe du Barrage du Gleno en Italie du Nord, remet en question le projet de construction de la retenue. Une commission d’experts est diligentée en urgence pour connaître les causes de la tragédie.
En septembre 1924, le Conseil municipal du Bourg-d’Oisans émet un avis défavorable à la construction de la retenue, car il vient d’apprendre qu’une immersion d’une importante quantité de poudre explosive est prévue sous les eaux du lac du Chambon… En effet, H. Fredet, créateur du Barrage, alors en quête de financement, venait de solliciter la Défense Nationale, qu’il connaissait bien, car il avait travaillé en 1914 au Service des Poudres…
Quant aux « tremblements de terre […] cataclysmes qui sont inconnus dans notre région », soulignons que la faille de Vizille (ou de Belledonne) est une réalité qui se manifeste avec une fréquence significative dans notre vallée. Tremblement souvent ressenti comme une « détonation », mais sans gravité, s’expliquant justement par la faible profondeur des zones de ruptures et aussi justement par la fréquence de ses « décharges », presque ponctuelles et qui n’ont donc que peu d’énergie emmagasinée (comme cela peut se passer lors de grands tremblements de terre à magnitude élevée).
Il est donc faux de dire que notre région ne connait pas ces phénomènes, mais il est vrai, en l’état actuel de nos connaissances, de dire qu’ils sont sans risque pour l’intégrité physique du barrage. 

Entête : Ponts et Chaussées
Service des forces hydrauliques
Dans la région du Sud-Est
– x-
P. Simon
Ingénieur en Chef

En marge (mention manuscrite): Pour Monsieur le Sénateur Perrier Président du Conseil Général de l’Isère

Grenoble, le 28 novembre 1924

La Romanche
Barrage du Chambon

DÉLIBÉRATION de la COMMUNE de BOURG d’OISANS

RAPPORT DE L’INGÉNIEUR EN CHEF

Le Conseil Municipal la Commune de Bourg d’Oisans a pris une délibération pour protester contre l’établissement du barrage du Chambon qui serait établi sur la Haute-Romanche en amont du confluent du Ferrand.
Le Conseil Municipal signale que la plaine du Bourg d’Oisans est menacée, par suite du relèvement continu du lit de la romanche, de graves inondations en temps de crues – que les intéressés se trouvent par leurs seuls moyens dans l’impossibilité de parer à ce danger. – Le Conseil Municipal semble craindre que la construction du barrage aggrave cet état de choses.
Cette Assemblée soulève encore la question du danger que ferait courir sur toute la vallée la menace de rupture du réservoir qui contiendrait 65 millions de mètres cubes. – Elle admet que le danger serait aggravé par l’immersion, dans la retenue, des poudres destinée à la Défense nationale.
Le Conseil Municipal semble demander qu’une minime partie des sommes destinées à l’établissement du barrage du Chambon soit affectée à la défense de la plaine du Bourg d’Oisans contre les inondations.
Il ne nous semble pas que le Conseil Municipal de Bourg d’Oisans ait eu une vue exacte des choses en prenant la délibération qui nous est soumise.
Nous comprenons très bien que les populations qui habitent les vallées dans lesquelles on établit de grandes retenues puissent avoir quelques inquiétudes en se demandant si leur sécurité ne court pas des risques sérieux par le fait de l’emmagasinement des grandes masses d’eau derrière des digues artificielles.
Mais on doit pouvoir calmer leur appréhension et d’ailleurs beaucoup de projets indispensables seraient souvent arrêtés et, en particulier, l’utilisation des forces hydrauliques serait compromise s’il n’y avait pas moyen de concilier la création de réservoirs régulateurs de débits et le légitime souci de la sécurité à l’aval.
L’exemple de réservoirs établis depuis des sièc[l]es sans aucun incident est une preuve que de tels ouvrages peuvent ne faire courir un danger. – Il est vrai que quelques cataclysmes causés d’ailleurs par un nombre infime de ruptures de digues impressionnent parfois les populations, mais il a toujours été établi que les ruptures étaient dues à des fautes grossières de construction ou d’entretien qu’il est facile d’éviter ; en fait, en France, le nombre de catastrophes causées par la rupture de barrage est infime.
Il est exact qu’on doit immerger dans la retenue du Chambon des poudres de la Défense nationale : les Services du Ministère de la Guerre sont formels et déclarent qu’il n’y a pas le moindre danger de ce fait, – qu’il ne s’agit pas d’explosifs analogues à ceux qui ont fait sauter les cuirassés Iéna et Liberté.
Bien entendu, nous ne répondons pas qu’en cas de très violent tremblement de terre, le barrage du Chambon, pas plus que les autres barrages établis en France, ne risquerait pas d’être démoli, mais il s’agit de cataclysmes qui sont inconnus dans notre région et vraiment si on mettait en ligne une considération de cet ordre, il n’y aurait vraisemblablement pas que le barrage du Chambon que l’on refuserait de construire.
L’on développe dans tous les pays et en France même à l’heure actuelle – (et malheureusement nous sommes bien en retard malgré tout à ce point de vue) – la construction de grands réservoirs indispensables au bon aménagement des forces hydrauliques, source incomparable de richesses sur notre territoire.
La question de sécurité, malgré les poudres, ne se pose pas différemment dans le cas du barrage du Chambon que dans le cas de tous les autres barrages construits en Europe et même en Amérique. – Jamais cependant on n’invoquera de telles raisons pour renoncer à l’établissement d’ouvrages régulateurs du débit des rivières. – Même en Italie où une catastrophe récente vient pourtant de frapper particulièrement les esprits (barrage du Gléno) on n’a pas pensé un seul instant à arrêter les très nombreux barrages en cours de construction. – La seule chose sur laquelle il faut insister c’est que dans l’établissement des ouvrages, rien ne doit être sacrifié de ce qui touche la sécurité et le Conseil Général des Ponts et Chaussées qui est appelé à donner son avis sur la construction de tous ces ouvrages, a de ce côté toujours prêté une attention assez vigilante à cette question pour qu’en fin de compte, on n’ait presque jamais eu à déplorer dans notre pays des ruptures de barrages.
Tout autre est la question de l’exhaussement du lit de la Romanche dans la plaine du Bourg d’Oisans et du danger que cet exhaussement fait courir aux propriétés riveraines. On peut dire que la construction du barrage du Chambon n’aggravera en rien et pourra même améliorer la situation à ce point de vue.
La délibération indique bien qu’il sera construit un tunnel de 6 km de longueur dont les déblais seront jetés dans le lit de la Romanche. – La construction de ce tunnel n’est pas liée à l’établissement du barrage, car l’on vise sans doute les travaux de la chute de St-Guillerme qui est projetée depuis longtemps, qui l’a été bien avant même que l’on ait pensé à établir la retenue du Chambon.
Le barrage du Chambon ne pourra qu’arrêter une partie des matières solides entraînées par les eaux.
Il est possible qu’une partie de ces matières solides soient un jour draguées et rejetées à l’aval dans la Romanche, mais dans ce cas la situation serait celle qui existe aujourd’hui sans aggravation.
Il est d’ailleurs vraisemblable que pendant de très longues années on gardera au fond de la retenue les débits solides de la rivière et que le cube des matériaux correspondant n’ira pas dans la plaine de l’Oisans contribuer à l’exhaussement du lit de la rivière.
Bien entendu, nous ne voyons aucun inconvénient à ce que les pouvoirs publics aident les collectivités intéressées de la plaine de l’Oisans dans la défense de leur territoire contre les crues de la Romanche, mais même à ce point de vue pour atténuer le débit de ces crues, il n’est pas inutile que l’on construise la retenue du Chambon.

L’ingénieur en chef
Du service des forces hydrauliques
Signature : P. Simon.

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