Ode à l’Eau d’Olle

Carte postale de la Fonderie d’Allemont. 

ODE À L’EAU D’OLLE
Paysages et Curiosités

Source : Gallica
Revue : La Pédale touristique
Date d’édition : 8 décembre 1937

Sur le même sujet :
De Grenoble à la Bérarde à vélo

L’Eau d’Olle, trait d’union entre la Romanche et l’Arc

Voulez-vous que, par la pensée, nous fassions une sorte de répétition générale d’une randonnée dans une des plus belles et des plus curieuses vallées de l’Oisans ? D’abord, situons-la exactement dans votre esprit. Vous avez tous suivi la fameuse route delphinale, plus connue sous le nom de route du Lautaret.
Venant de Grenoble et de Vizille, on remonte le cours torrentiel de la Romanche. Après avoir parcouru les gorges de Livet — riche et magnifique chapelet d’installations hydroélectriques —, on arrive au seuil de la plaine de l’Oisans. La vallée parait barrée par la masse énorme du massif des Grandes-Rousses, dont les pentes supérieures sont occupées par de vastes champs de neige et par des glaciers. En fait, vers l’Est, s’ouvre une vallée qui est celle de la Romanche et, entre les Grandes-Rousses et la chaîne de Belledonne, qui projette dans le ciel ses pics et ses lances, s’ouvre une autre vallée en direction du Nord : celle de l’Eau-d’Olle, à laquelle nous allons faire visite.
C’est une des plus curieuses et des plus caractéristiques vallées des Alpes.
Tandis que les vallées qui lui sont comparables en grandiose — vallées du Vénéon, du Valgaudemar, de Vallouise — sont autant de culs-de-sac, celle de l’Eau-d’Olle a l’avantage d’être desservie par une belle route (N. 526) qui, par les cols supérieurs du Glandon et de la Croix-de-Fer, continue son parcours en Maurienne, établissant la liaison entre la vallée dauphinoise de la Romanche et la vallée savoyarde de l’Arc.
Nous quittons donc, au village de Rochetaillée, la route de Grenoble au Lautaret, et, continuant en ligne droite, nous prenons celle qui s’en détache à gauche, dont l’importance touristique est telle qu’elle a été classée récemment dans le réseau national.

Trois kilomètres de palier ; on franchit la Romanche au pont des Sables et au pont de la Pernière, l’Eau-Dolle elle-même. Très beau fond de cirque, dont les bords portent les noms illustres de : Grandes-Rousses, Taillefer et Belledonne.
Une agglomération : la Fonderie, hameau de la commune d’Allemont, qui, par sa superficie, est une des plus grandes de France. Son nom rappelle une grande espérance suivie d’une totale déception. À la fin du XVIIIe siècle, une bergère gardant son troupeau de chèvres sur les alpages de Chalanches, à quelques lieues de là, à quelque 2.000 mètres d’altitude, sur les flancs des Grandes-Rousses, découvrit un gisement de minerai argentifère qui fut exploité secrètement par les gens du pays.
La découverte fut cependant divulguée à la longue, et le gouvernement s’empara de la mine et la fit prospecter. Reconnue très riche, elle fut concédée au comte de Provence, frère de Louis XVI, qui devint roi sous le nom de Louis XVIII. L’exploitation fut d’abord activement menée. Le minerai, descendit jusqu’à la vallée, était traité dans les locaux qui subsistent sous le nom de « Fonderie ».
Avec des fortunes diverses, les filons de Chalanches furent utilisés jusqu’en 1860.
Avec trois ou quatre faillites, ils ont été complètement abandonnés. Les savants prétendent, cependant, qu’ils sont uniques au monde par l’association des minerais si variés d’argent, de métal et de cobalt. Cela confirme le dicton : « L’Oisans est le paradis des minéralogistes et l’enfer des entrepreneurs miniers. »
Le savant Guettard était si enthousiaste qu’il demandait qu’une École des Mines fût ouverte à la Fonderie, et peu s’en fallut qu’elle n’y fût installée. La route, à partir de là, s’élève sur un contrefort des Grandes-Rousses ; elle laisse, à quelques minutes de marche, le joli Village d’Allemont, centre de villégiatures estivales et de sports d’hiver très réputé, en raison de la salubrité du climat et de la variété des promenades et des excursions qu’il offre aux séjournants.
Les alpinistes s’y donnent rendez-vous pour les ascensions projetées, soit dans le massif de Belledonne, soit dans les Grandes-Rousses.

En continuant à remonter l’Eau-d’Olle, on aperçoit, sur la droite, une vallée secondaire : c’est celle du Flumet, qui donne accès à Oz-en-Oisans (altitude 800 m.) et à Vaujany (altitude 1.200 m.), deux charmantes stations qu’affectionnent les amateurs de courses en montagne et les villégiateurs qui recherchent les cures de soleil et de grand air, et ceux qui apprécient les agréments de la chasse sportive du coq de bruyère et du chamois.
Vaujany et Oz sont les points de départ usuels pour les courses dans les Grandes-Rousses. Le paysage est si vaste que les agglomérations, vues de loin, paraissent minuscules. Limitant, par en haut, la zone des cultures et frangées par elles, les forêts étendent, sur le flanc de la montagne, une écharpe de sombre verdure ; au-dessus règne l’immensité rousse des alpages où de rares chalets mettent quelques taches claires.
D’énormes bancs de rochers, coupés par des coulées d’éboulis, forment le bandeau de la gigantesque tiare à triple couronne des Balmes-Rousses, des Petites-Rousses et des Grandes-Rousses, tout étincelante de neige et de glaciers, qui donne à ce paysage alpestre un caractère de sublime grandeur.
Il ne faut pas négliger d’aller jusqu’à Oz, qui constitue un bien joli belvédère sur la vallée de l’Eau-d’Olle et sur le massif de Belledonne. Les alpinistes entreront dans l’église du village ; ils y évoqueront le souvenir du curé Bayle, qui fut séduit, disons même en voûté par la montagne, y fit de très nombreuses ascensions, y guida les premières cordées des années 1875-1880 qui donnèrent l’assaut aux hautes cimes du massif. Par son apostolat alpiniste, il a bien mérité de donner son nom à l’un des pics les plus glorieux du massif. Une bonne route conduit, maintenant, jusqu’à Vaujany.
C’est un aimable village, sis à 1.250 mètres d’altitude ; dont l’église porte un Clocher roman qui est dû plus bel effet. Le site, par les rochers du Rissiou qui le surplombent, participe à l’austérité de l’Oisans et, par les prairies, les forêts et alpages qui entourent l’agglomération, annonce la proche Savoie. Le col du Sabot n’est qu’à deux ou trois heures de marche. L’est par ce col qu’avant la construction de la route du Glandon à Allemont, se faisaient les échanges entré l’Oisans et la Maurienne, et aussi les invasions au Dauphiné par les troupes du duc de Savoie. Signalons l’exposition très heureuse de Vaujany, d’où résultent l’excellence de son climat et sa merveilleuse aptitude aux cures d’altitude.

La route Nationale 526 est un extraordinaire balcon sur les Grandes-Rousses. Plaignons les automobilistes pressés qui, abusant des possibilités de leur moteur, passent devant de si nobles spectacles sans prendre le temps d’en enchanter leurs yeux et embellir leur randonnée. Continuant notre montée, nous arrivons au hameau d’Articol. Encore un souvenir métallurgique. Pendant longtemps, le fer d’Articol a été aussi célèbre que le fer de Suède. Mais où sont les forges d’antan ?
La pente devient plus forte. Ralentissons : le paysage forestier en vaut la peine. Nous arrivons au Rivier-d’Allemont, agglomération sise à 1.280 mètres d’altitude. Les maisons présentent de hautes façades en planches. Leurs toits pointus se prolongent jusqu’au sol et abritent sous leurs larges ailes le bâtiment principal, les remises et les écuries. Le Rivier est, comme Allemont, Oz et Vaujany — et pour les mêmes raisons — une station d’altitude très recherchée en raison de la beauté du site, du voisinage des forêts, de la tonicité de l’atmosphère et de la variété des promenades et des excursions. Reprenons notre randonnée. Les chênes et les hêtres font place aux résineux. Le paysage est toujours aimable. Soudain, la vallée se resserrant, il prend un aspect sauvage : c’est le défilé du Maupas. La route se fraye un passage à travers les éboulis. Une cascade, formée par le torrent des Sept-Laux, mène grande rumeur. Le spectacle serait intéressant n’était qu’il faut franchir le cours d’eau à gué, et cela rend parfois maussades les automobilistes, les cyclistes et même les piétons. Puisse l’administration des Ponts et Chaussées améliorer bientôt ce fâcheux passage. Pour les piétons, signalons maintenant que dès qu’on a franchi le torrent, un sentier se détaché à gauche : il conduit au plateau fameux des Sept-Laux et, malgré ses 160 lacets — 160 lacets qu’il faut arroser de la sueur de son visage, car leur pente n’est pas inférieure à 20 % — de nombreuses caravanes le gravissent quotidiennement, pendait l’été, pour aller visiter l’étrange et sauvage région, où de belles nappes d’eau amènent un paysage tout de piètres et reflètent quelques-unes des plus hautes cimes des Alpes !

À la sortie du défilé de Maupas, on entre dans un décor de féérie. Rien n’y manque : ni un petit lac, ni le tapis d’une vaste prairie, ni le pittoresque d’un chalet, ni l’impressionnant horizon de cimes escarpées, ni les clochettes et les sonnailles. De nombreux troupeaux de bovins pacagent le gazon ras qui étend un somptueux tapis très haut, sur les pentes. Devant nous, le col ouvre sur l’azur du ciel une radieuse fenêtre…
Les cyclotouristes sensibles au charme des scènes champêtres ne quittent qu’à regret la vallée supérieure de l’Eau-d’Olle où s’harmonisent la majesté des pics, la joie d’une riante prairie, l’alacrité d’une atmosphère saturée d’effluves sylvestres et le tintement des clochettes des troupeaux.
Les nuages qui s’accrochent aux sommets comme des étendards animent romantiquement le paysage. Tout y est émouvant, tout y invite à la méditation, si bien que c’est là qu’aurait été trouvé le nom poétique donné au massif de Belledonne. On raconte que les ouvriers piémontais oui passaient le col du Glandon, besace au dos, pour venir chercher du travail en bannirent frappés par l’aspect singulier du Grand Pic, tel qu’ils l’apercevaient à un coude de la route, près du Rivier. Leur imagination découvrit, dans la forme étrange, l’image d’une vierge noire, telle qu’en taillaient les primitifs dans les blocs de chêne dur, d’une Madone portant sur son soin l’Enfant Jésus, et ils appelèrent la montagne élevée : « Bella Donna ».
Pour atteindre le chalet-hôtel du Glandon (1.912 m. d’altitude) — chalet du G.A.F., très confortablement aménagé — on franchit le Riou Claret, mince cours d’eau qui forma, jadis à la frontière de la France et qui, maintenant, est la limite entre les départements de la Savoie et de l’Isère.
Ce chalet est placé au carrefour de deux routes : celle de gauche, par la vallée des Villars rejoints à la Chambre, la route du Mont Cenis ; l’autre suit la crête jusqu’au col de la Groix-de-Fer (2.062 m.) et, par la vallée de l’Arvan, débouche à St-Jean-de-Maurienne sur la grand-route d’Italie. Il ne faut pas négliger de monter, par la première, jusqu’au col du Glandon (altitude 1.951 m), du haut duquel on a, sur le col de la Madeleine et sur le mont Blanc, une vue admirable. Il faudrait même prendre le temps de faire l’ascension de la pointe de l’Ouillon (2.436 m.). Il n’en est guère de plus facile ; on marche sur le tapis élastique des prairies, ni de plus intéressantes, car le panorama dont on jouit comprend : les Aiguilles d’Arves célèbres dans les fastes de l’alpinisme, tout le versant septentrional des Grandes-Rousses — nombreux lacs, glaciers de St-Sorlin, glacier de la Cochette, pic de l’Étendard — et aussi le mont Blanc et la Vanoise.

À quelle époque faut-il visiter la vallée de l’Eau-d’Olle ?
Les skieurs y trouveront, de Noël à Pâques, de la neige excellente. Le Rivier, Oz et Vaujany offrent, à ceux d’entre eux qui pratiquent le ski-promenade, de très recommandables bases d’excursions. Juin et juillet jettent à profusion les fleurs les plus éclatantes sur les prêts et les alpages. Les amateurs de fleurs de montagne y pourront faire d’amples moissons, et les botanistes enrichir leurs herbiers d’échantillons rares et curieux.
Dans cette admirable vallée, les grâces et la fraîcheur printanière se prolongent pendant les mois d’été : heureux effet de l’altitude, du voisinage des forêts, de l’abondance des eaux opérantes, de la proximité des névés et dos glaciers des Rousses et de la Cochette.

Août et septembre y sont deux mois délicieux : il y a tant de fraises, de framboises et de myrtilles dans les bois, et aussi tant de champignons… Les chasseurs poursuivent les perdrix planches, les coqs de bruyère, et même les chamois. Les pécheurs prennent, dans les eaux vivent des torrents, des truites dont la chair est particulièrement délicate. Avec la crème que fournissent les vaches qui pacagent, les savoureux alpages, les cordons bleus du pays préparent des menus exquis. Les vallées de haute montagne sont généralement sévères et un peu sauvages. Certains coins de la vallée de l’Eau-d’Olle — Maupas, par exemple — répondent à cette définition ; mais, dans l’ensemble, le paysage est aimable et l’ambiance heureuse. La vallée de l’Eau-d’Olle est un charmant trait d’union entre le Dauphiné et la Savoie. La visite en est assez facile, elle est de celles qu’il faut avoir faites.

Gustave Chabrol,
Directeur du Syndicat d’initiative de Grenoble.

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, une erreur ou si vous souhaitez ajouter une précision,
veuillez nous en informer en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur les touches [Ctrl] + [Entrée] .

Print Friendly, PDF & Email
Ce contenu a été publié dans CHRONIQUE, HISTOIRE, TÉMOIGNAGE, TEXTE, VILLAGE, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.