Un instituteur du Bourg-d’Oisans guillotiné

UN INSTITUTEUR DU BOURG-D’OISANS GUILLOTINÉ
Une histoire sordide qui se rattache à l’Oisans, par son principal protagoniste, qui fut instituteur à Bourg-d’Oisans en 1860.

François Gabriel Gresse, dit Livache, avait toutes les qualités pour finir sur l’échafaud, menteur, manipulateur, pervers, on dirait aujourd’hui pédophile, maître-chanteur, assassin… Un curriculum vitae qui n’a rien à envier à celui d’un Henri Désiré Landru ou d’un Docteur Marcel Petiot. Il finira d’ailleurs, tout comme eux, dans les bras de la « veuve » et succombera à l’ultime baiser glacé qu’elle déposera sur sa nuque.

De son enfance nous ne savons rien, ou peu de choses. Livache est né bâtard des frasques de son père avec une domestique. Son parcours professionnel est pour le moins surprenant. Tailleur d’habits, puis berger (1), puis, sur le tard il se découvre une « vocation » pour l’enseignement — ou pour les enfants ? —. Il devient aide-instituteur en 1857, un virage professionnel qui le propulse dans l’école de Tourtres, hameau de Saint-Martin-du-Vercors. Il a alors 27 ans.

Quatre mois après sa nomination, il commet un attentat à la pudeur, sur une jeune fille de 8 ans. Il passe entre les mailles du filet de la police et se réfugie en Savoie (qui n’est pas Française), puis, à l’aide d’anciens certificats falsifiés, il obtient le poste de directeur d’école à Saint-Pierre-d’Entremont. Il échappe ainsi à la peine de 20 ans de travaux forcés, prononcée le 28 juillet 1858, lors de son procès jugé par contumace.
En 1860, toujours en Savoie, Livache ne perd pas son temps, il jette son dévolu sur la fille fortunée de l’un de ses collègues instituteurs.
Ses plans échouent, il décide de retourner en France. Discret, il se noie dans la masse des anonymes et devient domestique dans une maison grenobloise.

On ne sait trop comment, malgré la lourde condamnation qui l’attend s’il se fait prendre, il parvient à réintégrer le corps enseignant en postulant à l’académie de Grenoble. Il deviendra instituteur-adjoint à Bourg-d’Oisans, puis sera promu instituteur-adjoint à la Motte-d’Aveillans.
Durant cette période, il semble rentrer dans le rang, car aucun crime ou délit ne lui sera attribué.

Dans sa classe, Livache a la petite Marie Berthier. Très rapidement, il sympathise avec ses parents, un petit couple de bourgeois.
Beau parleur et avenant, avec méthode, il entre dans la vie du couple. Au quotidien, ils partagent les repas, les loisirs, et après seulement trois semaines, M. Armand Antoine Berthier propose une chambre dans la grande maison familiale au jeune instituteur, qu’il sait logé au-dessus de la salle de classe, dans des conditions précaires, au hameau de la Buttarias. Berthier ne se doute de rien, ses jours sont maintenant comptés, car il vient de faire rentrer le diable dans sa maison.

Livache ne s’encombre pas de principe. Bien que petit, blond, de physionomie vulgaire, il séduit sans peine Mme Eugénie Berthier, et l’engrosse. Antoine Berthier devient l’homme de trop.
Livache explique alors à Eugénie qu’elle doit se débarrasser de son mari. Il lui promet le mariage, lui explique que pour l’enfant qu’elle porte, il n’y a pas d’autre solution, et, à force d’arguments, de mensonges, de manipulations et de harcèlements, Eugénie cèdera à sa terrible demande. Grâce aux conseils avisés de son amant diabolique, elle donne à son mari son premier bouillon empoisonné à l’acide arsénieux.
Le goutte-à-goutte mortel entraine Berthier dans la maladie. Chaque jour devient de plus en plus insupportable, il souffre le martyre. Les médecins diagnostiquent une intoxication alimentaire, puis une gastroentérite, puis suspectent une tumeur cancéreuse. Les traitements n’arrangent rien, au contraire… Rien d’étonnant à cela, ils sont administrés par la douce Eugénie, et ce bon Livache, toujours au chevet de ce brave M. Antoine. La posologie médicamenteuse est copieusement agrémentée d’arsenic, d’infusions aux allumettes chimiques et de lavements à base d’huile de vitriol. Berthier, souffre chaque jour un peu plus, mais le corps résiste.

Le temps passe, Eugénie ne cache plus sa grossesse adultérine, la situation fait les gorges chaudes des Mottois et Mottoises.
Livache, quant à lui, présage à qui veut bien l’écouter, qu’une fin tragique attend le pauvre M. Berthier. Mais les choses trainent, Berthier agonise, mais lentement, trop lentement pour Livache qui commence à trouver le temps long. Après une courte absence de 15 jours, car il doit passer pour la troisième fois l’examen de titulaire au poste d’instituteur, Livache retrouve un Berthier en bien meilleure forme qu’à son départ. Il est furieux. Il prend les choses en mains, et comme il l’avait prédit dans le village, 20 jours plus tard, le 21 septembre 1861, Berthier trépasse dans une ultime agonie.

Livache va alors endosser le costume de manipulateur et maitre chanteur. Il menace ouvertement les Reynier, la famille d’Eugènie. Il exige une promesse de mariage, auprès d’Édouard, frère de sa maîtresse. C’est le prix de son silence, sans quoi, il dénoncera la jeune femme qui a empoisonné son mari. Il avertit la petite Marie, elle subira une fin aussi funeste que celle de son père, si elle ne se fait pas plus discrète et silencieuse. Il se gosse dans le village d’être le père de l’enfant porté par Eugénie. Il présage pour l’enfant à naître une courte vie, pour la jeune Marie aussi il déclare devant témoins « elle mourra sans doute du même mal que son père ».

Livache est chassé de la Maison Berthier, il part en proférant des menaces.

Depuis la mort de son mari, Eugénie n’est plus la même, malgré l’arrivée de son enfant. Ses joues se creusent, elle a maigri, elle est minée, terrassée par le remords qui la ronge de l’intérieur tout comme le vitriol rongeait son mari.

Le 13 novembre 1861 au matin, consciente de sa folie meurtrière, délaissée par son amant, à bout de force, elle met fin à son tourment en avalant un verre d’acide sulfurique. Elle meurt dans une agonie terrifiante, une fin qu’elle a choisie comme une expiation de ses péchés dans la douleur, une souffrance qu’elle espère sans doute à la juste mesure de la faute commise.

Livache est tourmenté, la disparition prématurée de sa maîtresse anéantit ses plans. Dans son insipide petit logis de fonctionnaire au-dessus de son école, il a des regrets. Échouer si près du but, quelle déception !

Dehors, dans les rues du village de la Motte d’Aveillans, la rumeur glisse de maison en maison. Elle se dilate, elle ondule, elle mute, elle donne la parole à un mort par la bouche des vivants. D’outre-tombe, on demande justice.
La justice justement, elle est saisie, on procède à l’exhumation des deux cercueils, Eugénie, mise en terre il y a à peine trois jours, et son mari il y a plus de trois mois.
L’autopsie de ce dernier apporte la preuve d’un empoisonnement au vitriol et à l’acide sulfurique. Pas besoin d’aller chercher plus loin le coupable, il est sur toutes les lèvres, la rumeur le désigne depuis des mois.

Livache est arrêté à l’aube, il est interrogé sans ménagement. Malgré les accusations du frère d’Eugénie qui fut son dernier confident peu de temps avant son suicide, malgré les lourdes présomptions et témoins à charge, comme la femme de ménage de Mme Berthier qui a beaucoup de choses à dire, malgré les preuves, comme le sachet d’arsenic découvert, cousu dans la doublure de son pantalon… Livache nie tout en bloc.
Pendant son procès, l’assassin est défendu par Me Farge, ténor du barreau, LE spécialiste des causes perdues. Un bon choix, car effectivement la cause est perdue. Le meurtrier adoptera un comportement qui ne laisse aucune place à la compassion pour les jurés. Aucun regret, aucun remords, il réfute toutes les preuves et se cloitre dans le déni.
Le 23 février 1862, François Gabriel Gresse, dit Livache, est condamné à mort, il sera guillotiné dans 40 jours, son pourvoi étant rejeté, sur la place du Champ de Mars, à l’angle du cours Berriat et du chemin des Boiteuses.

Quand on le réveille dans sa cellule, ce matin du 1er avril 1862, Livache n’a pas de réaction. Il ne flanche pas, il ne se débat pas, il ne crie pas. Il regarde le bourreau et son aide, se laisse faire pour sa dernière toilette. Bois son verre de rhum d’un trait, se laisse ficelé sans broncher. Il se confesse auprès de l’abbé Gérin qui l’a préparé à ce funeste moment durant les 40 derniers jours. L’aumônier de la prison l’abbé Bergeret est là lui aussi.

Livache monte dans la voiture à cheval pour un bref parcours qui le mènera au pied des bois de justice.
Entravé, il tressaute plus qu’il ne marche, il lève la tête, regarde le couteau un bref instant avant de basculer en avant, puis un bruit sourd …

Trois secondes… une, la tête tombe dans le panier ; deux, le corps bascule sur le côté et glisse dans le cercueil, « excessivement bien joint », soulevant un nuage de poudre de bois et de sciure ; trois, une vague marmonne au-dessus de la foule des 6000 badauds venus assister au spectacle.
Dans la caisse de bois, le corps a quelques soubresauts… puis le silence et la foule se disperse.

Livache est mort. Son corps est transporté dans un tombereau ordinaire, par le chemin de ronde qui conduit au cimetière Saint-Roch.

(1) Selon les documents d’époque, certaines biographies modernes indiquent qu’il était berger puis tailleur.

Sources :
Impartial Dauphinois
Impartial Dauphinois P. 3 du 23-02-1862
Impartial Dauphinois P. 3 du 26-02-1862
Impartial Dauphinois P. 3 du 02-04-1862

Archives André Glaudas :
1849-A.Glaudas-§ 9 – Bulletin de AVG No 47- Juin 2001 – Edmon Coffin
1860-A.Glaudas-§ 17 – Dauphiné Libéré – 9 janvier 2005 – Gilbert Gacon
1862-A.Glaudas-§ 6 – Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné – 2 juillet 1999 –

Livres :
Les Grandes Affaires criminelles de l’Isère – Édition De Borée – Jean-Philippe Buord – ISBN 978-2-84494-954-7
Anatole Deibler, Profession Bourreau 1863-1939 – Édition France Loisirs – François Foucart – ISBN 2-7242-7280-3

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