Une charte des montagnes pour l’Oisans

UNE CHARTE DES MONTAGNES POUR L’OISANS
Quelques avantages que pour aider les conditions difficiles de la vie en altitude ?

Bourles aux Fréaux, hameau de La Grave, carte postale, collection Musée Dauphinois

Source : Archives GLAUDAS
Petit Dauphinois. 
Édition du 22 octobre 1941

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Une charte des montagnes pour l’Oisans
Les montagnards seront-ils dotés d’une charte particulière ?
Elle leur apportait certains avantages que semblent justifier les conditions difficiles de la vie en altitude.
(De notre envoyé spécial Jean Perquelin)

La Grave, 21 octobre. — La neige est déjà apparue sur le Lautaret. Ce n’est qu’une invitée en passant. Mais avant qu’il ait coulé beaucoup d’eau dans la Romanche, elle reviendra. Elle a laissé une éclatante carte de visite sur les hauteurs voisines. Les mélèzes se drapent d’or léger, des buissons rougeoient sur les pâturages que le gel a déjà roussis.
Or, un peu au-dessous, dans les plus hauts villages de l’Oisans, de Besse à La Grave et à Villar d’Arène — soit au-dessus de 1500 mètres d’altitude — les montagnards sont encore attelés à la moisson, à l’arrachage des pommes de terre et même, tenez-vous bien, à la fenaison !

Octobre 1941 – On fane encore — dans l’Oisans.

La Fenaison, dont les rites pénibles et charmants (vous vous souvenez de Mme de Sévigné ?) se déroulent dès la fin du mois de juin, ou au plus tard sous la rude canicule d’août, s’accomplissent souvent ici par grand givre ou sous l’haleine glacée des crépuscules quand, dans le vent aigre qui tombe des cimes les feuilles déjà mortes tourbillonnent.
Cette année, en altitude, la récolte des céréales est moyenne. Les gelées de juillet et d’août l’ont un peu appauvrie. Il y a même encore sur pied des avoines vertes, comme des laitues ou peu s’en faut, et qui gagneront les greniers sans que les dorent un soleil trop blanc.
Les pommes de terre ont également quelque peu souffert de l’été dernier, si souvent en désaccord avec le calendrier. Quant à la récolte du foin, elle est assez bonne. Mais quelles longues besognes elle nécessite !
La fauchaison sur les pentes inclinées à 45 degrés demande des jarrets d’acier, un pied sûr et une souplesse de reins acrobatique. Une glissade vers l’aval, quand on a en main le long rasoir de la faux, ça peut vous mener loin et bas jusqu’au petit enclos où blanchissent les croix. Et celui qui n’a pas vu par les sentiers les chamois qui descendent des cimes en échelles de Jacob, les paysannes cassées en deux sous leur faix de foin odorant, ne peut se rendre compte de la peine des montagnards surtout quand ils vivent dans ces très hauts villages où pèsent, exactement comme en Norvège septentrionale, les lois inexorables des saisons de fer.

Huit mois d’hiver quatre d’enfer

Huit mois d’hiver, quatre d’enfer, on connait la formule. Elle est pourtant exacte. Huit mois de « stabulation », consacrés à des besognes ménagères qui peuvent paraître improductives et qui pratiquement le sont huit mois à nourrir les bestiaux d’une main parcimonieuse, à ouvrir les pistes dans la neige, qu’il arrive que l’ouragan comble avant qu’elles soient terminées, à réparer les outils, les harnais, à rêvasser au coin du feu en attendant qu’au bout des « tourmentes » et du froid se lèvent enfin l’étendard vert du printemps.
Quatre mois d’enfer ! Le beau temps éclate comme une fanfare. Il faut se mettre au pas de la ronde des saisons et suivre, dût-on être essoufflé. Les cultivateurs du plat pays, pour cependant ce n’est pas tous les jours fête, ne peuvent peut-être se faire une idée précise de la chaîne de travaux que doit traîner le montagnard de l’Oisans par exemple.

L’hiver roi n’a pas poussé ses rudes chevauchées sans qu’il en résulte un peu partout des avaries et des dégâts. On ne pense pas qu’aux bâtiments et au réseau des chemins pourtant à l’ordinaire joliment éprouvés. Mais à « la sortie (entendez de l’hiver) », il y a des alpages et des bois qui ressemblent à des champs de bataille. Il faut enlever les chablis, épierrer les près et les jachères, remonter à l’ordinaire sur le dos de la bonne terre que les glissements de neige ou la malice des eaux printanière ont entraînée vers l’aval, reconstruire les murettes des terrasses minuscules où, s’il plaît à Dieu, muriront une trentaine de pieds de pommes de terre, à moins que ce ne soit une douzaine bien comptée de gerbes de seigle ou d’avoine… Tout cela est bien autre chose en plus des travaux classiques des champs.

Beaucoup de peines, peu de gain

Et le gain ? Le gain est à l’ordinaire si mince que l’habitant des hautes vallées, fût-il de l’Oisans de la Tarentaise, de la Mauriennne ou du Queyras, n’a d’autre ressource supplémentaire, si le tourisme et les sport s d’hiver ne s’en mêlent, que celles qui peuvent résulter d’une émigration temporaire, celle-ci servant d’ailleurs trop souvent de préambule à un départ définitif.

On connaît le chapitre copieux et assez fâcheusement intitulé « la désertion des campagnes ». Il s’applique, aggravé, au cas de certains cantons montagneux d’où les habitants ont « coulé » vers le bas, les bons pays, du même mouvement qui entraîne la terre et les eaux. Quand on connaît la condition de leur vie, on ne peut ni s’indigner ni même s’étonner de cet exode… Il y aurait intérêt général, cela va de soi, à ce qu’il soit enrayé. Divers remèdes ont été proposés qui semblent ou même qui se sont prouvé inefficace. On n’a pas la prétention d’enfoncer des portes nouvelles, de vanter un baume inédit qui puisse guérir les profondes blessures de la démographie montagnarde. Pourtant, on peut se demander, faisant écho d’ailleurs à de nombreuses doléances recueillies sur place, pourquoi les gouvernements se sont jusqu’ici obstinés à appliquer aux cantons d’altitude, aux habitants perchés à 1500 m et même au-dessus les règlements et les barèmes valables pour le reste de la France.

Une charte de la montagne ?

C’est le climat pourtant qui conditionne la vie dans son relief essentiel. Ce qui est valable pour la France ne l’est pas pour la Laponie. Or certaines régions alpines sont autant de petites Laponie, quelques-unes même de l’au-delà du cercle polaire. Ces évidences, pascal leur a préféré l’éclat de son grand nombre quand il disait, approximativement : « vérité en décembre des Pyrénées, erreur au-delà ».

Si l’on veut garder aux hautes vallées leur parure de montagnards dont on a si souvent vanté les rudes qualités et même les défauts qui ne sont que l’envers de celles-ci, il faut leur faciliter la vie. Et cela ne peut se faire, comme c’était le cas sous l’ancien régime, par des discours, des promesses, par la viande creuse d’éloquents hommages, mais par un ensemble de mesures, et notamment par une réduction des charges dont ils sont suffisamment harassés par le poids des saisons pour qu’on leur consente entre autres choses, quelque légitimes privilèges, lâchons le mot.

Notre passion naïve pour une simple égalité nous a donné assez de mécomptes pour qu’on continue à s’en inspirer dans le domaine qui nous préoccupe aujourd’hui.
Serait-il outrecuidant de demander l’établissement d’une charte de la montagne ?
Elle serait sans doute longue et difficile à mettre au point. Mais si son utilité, comme nous le croyons apparaissait centaine, le gouvernement du Maréchal ne bouderait pas à la besogne.
En dehors de la population mouvante des centres de tourisme et de sports d’hiver, il importe de conserver à la haute montagne son appareil paysan, car il constitue comme la matrice d’où est sortie toute une pépinière de Français qui, aux jours de paix comme au temps de guerre, ont toujours fait honneur à notre race.
La montagne sans montagnards, ce n’est plus la montagne, du moins celle que nous chérissons.

Jean PERQUELIN

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