o1690 – RAVITAILLEMENT À BESSE EN OISANS…
Et disparition de la forêts du village.
Bulletins de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’anthropologie
Date d’édition : 1897-12
Graphie originale respectée.
Entre parenthèses quelques remarques.
Notes historiques et légendaires sur la commune de Besse-en-Oisans,
Par M. OUGIER, ancien maire de Besse-en-Oisans.
(M. Denis Veyrat m’indique que l’auteur M. OUGIER pourrait être M. André Sébastien OUGIER dit Siècle [ou Siecla] , né à Besse le 15-11-1856, marié à Besse le 26-04-1878 avec Emilie Rosalie Hustache [au moins 9 enfants, les 8 premiers sont némorts ou dans les jours qui ont suivi la naissance] ; marié en deuxième noce avec Félicité HOSTACHE le 19-10-1894 [au moins deux enfants] ; décédé le 14-07-1939 à Besse. Pas d’information confirmant les dates de sa mandature de maire à Besse, car entre 1876 et 1892 il y a 3 Sébastien OUGIER qui ont été maires !)
La commune de Besse possède un territoire très étendu, réparti en pâturages, prairies, terres labourables et petite quantité de terres vaines ou rochers nus. Les pâturages et les prairies occupent la partie la plus élevée comme aussi la plus éloignée du village principal, qui ne forme qu’une seule agglomération, où tous les habitants sont réunis pendant l’hiver.
En remontant à la période où la population était nombreuse, on apprend que les habitants construisirent des hameaux, au nombre de quatre ; ils existent encore aujourd’hui. Ces hameaux n’étaient et ne sont encore habités que pendant la belle saison. Indépendamment de ces hameaux, on construisit encore des granges dans toutes les prairies éloignées. Tout cela favorisait beaucoup les travaux, puisqu’on rentrait les foins bien plus rapidement, et, une fois qu’ils étaient à l’abri des intempéries, on en faisait les transports dans le village central, au printemps suivant; le fourrage servait pour l’année suivante. On voit encore aujourd’hui les ruines de toutes ces granges qui avaient été construites avant la destruction des forêts. Comment ont-elles été détruites ? On en trouve la cause authentique dans les « Archives de la mairie de Besse ».
En voici la preuve :
Vers l’an 1610, le roi de France étant en guerre avec le duc de Savoie, et aussi avec l’Italie, on fut obligé de faire garder toute la frontière par des troupes françaises ; des camps furent formés sur plusieurs points culminants, à partir de Chapareillan jusqu’à Briançon : c’est ainsi qu’on en établit un sur la commune de Besse, au lieu dit col des Pertis, aujourd’hui col des Prés-Nouveaux (Ici, une interrogation demeure, le Col des Pertis [ou Perthuis] ou col des Perches sur les cartes du XVIIIe siècle semble voisin et bien distinct du col des Près-Nouveaux. Je n’ai pas trouvé de carte me permettant de faire la liaison ou le lien avec ce dernier. M. Paul Girard spécialiste de la toponymie en Oisans pense que le Col des Pertis (Perthuis) a disparu au profit du Col de Tirequeue ou de celui des Prés Nouveaux. Dans les cartes de Clavel XVIe siècle, le Col du Perthuis se trouve « sur la montaigne de tirecohe aux confins de la Savoie ».) ; ce col sert de communication entre le canton du Bourg-d’Oisans et la Maurienne, et il formait, avec les crêtes de montagnes qui s’étendent à l’ouest et à l’est, la limite entre la France et la Savoie. Les limites en pierre taillée existent toujours; elles portent, du côté de la France, une fleur de lys, et une croix sarde du côté de la Savoie.
En 1690, le camp étant formé à environ 3,000 mètres d’altitude (en réalité 2293 m pour le col des Près-Nouveaux), on fut obligé de construire des baraques pour abriter les soldats, et comme le bois et les ardoises faisaient complètement défaut dans ces parages, le gouvernement réquisitionna les bois et-les ardoises des granges construites dans les prairies particulières, faisant grand tort aux habitants d’alors et à ceux d’aujourd’hui, car on n’a jamais pu les reconstruire, faute de bois.
Je donne ici la copie exacte de plusieurs lettres adressées au Consul (Maire), qui établissent l’authenticité de ce que je viens de citer :
« Col des Pertis, 3 juillet 1690.
« MONSIEUR LE CONSUL,
« Je vous prie de m’envoyer des munitions de gueule pour moi, car je ne puis pas rester sans vivres. Envoyez-moi aussi demi-main de papier et dix montures pour voitures, du bois et ardoises pour construire une autre hutte comme celle que nous avons construite, et le merle pour la construire, et des broches èt clous et d’ardoises pour la couvrir et achever celle qui est faite qui n’est couverte qu’à moitié, saisi des cabanes de la Pisse. Il m’est impossible de pouvoir rester en ce lieu. Envoyez-moi aussi un drap que vous appelez au vulgaire une souilleillure, que vous vous servez pour faire sécher le blé.
C’est pour faire une tente pour moi, car je ne puis pas coucher avec les autres. Je vous prie de n’y pas manquer et vous suis, Monsieur le Consul,
« Votre très humble serviteur.
« Signé : GIRAUD. »
« P.-S.,— Envoyez-moi du pain grossier pour des soldats qui sont pas relevés et n’ont pas de quoi vivre. Je le ferai payer. Envoyez-moi aussi quatre quintaux de paille. »
« Au Col des Pertis, le 6e juillet 1690:
« MONSIEUR LE CONSUL,
« Vous me marquiés hyer par la vostre que vous m’envoyez un pain de froment de ceux qu’on cuit en Besse, cependant je n’en ay point trouvé, et au lieu de ce pain j’ay trouvé une pougne venue du Bourg. Je vous prie de m’envoyer les sappes et palles que je vous ay demandé, avec six cavagnes pour voyturer de terre, et des broches et clous, et les charpentiers, et dix ou douze montures à bast des nouveaux convertis pour voyturer en ce lieu des vieilles hardoises des granges abattues à la Pisse. Envoyez-moy aussi demy-main de papier pour escrire, et chair routie ou boulie qui soit fraîche, car je ne puis guesre manger de chair sallée, » vous scavez que je n’en ay point depuis deux jours et que l’on n’en trouve pas en ce païs.
Soyez exact à tout ce que je vous demande, et suis, Monsieur,
« Vostre très humble serviteur.
« Signé : GIRAUD. »
« P.-S. — Il faut parler à la débitte pour la viande. J’ay bâillé un des pains aux porteurs du présent, qui m’ont bâillé 5 sols 6 deniers, que je vous remettray. »
La lettre qui précède prouve authentiquement la destruction des granges des propriétaires. Voici maintenant une suite d’autres lettres, toutes écrites au camp des Pertis. J’insiste sur ces lettres qui font comprendre l’importance stratégique du col des Pertis, qui est encore de nos jours visité chaque année par nos troupes alpines qui y passent avec leur artillerie de montagne, et qui, dans le cas d’une guerre avec l’Italie, deviendrait un point important en seconde ligne de défense :
« En Col des Pertis, le 8 juillet 1690.
« MONSIEUR LE CONSUL,
« Comme mon frère ny point d’officier n’est venu pour me relever, je suis obligé d’aller à la garde de la Grave pour en prendre la moytié pour renforcer la nostre et pour y faire la relevée. J’ay étably à ma place, jusques à mon retour, le fils de Monsieur Jasques d’Auris, et comme il n’a pas beaucoup d’expériance, j’ay retenu Claude Bellet, de vostre communeauté, pour le seconder, ne pouvant pas mieux faire, et j’ay bien du regret de quitter la garde. Vous envoyerez des vivres audit Bellet aujourd’hui par un exprex; si les muletiers que je vous avais demandé fussent venus, j’en aurais pris des leurs, mais comme je vois que personne ne vient et que vous négligez les affaires du Roy de la sorte, vous en pourriez estre enpayne, car s’il arrivait quelque malheur la fautte serait toute sur vous, et il fault que vous sachiez qu’il me faut encore pour le moins quarante charges d’ardoises et je les devrais déjà avoir dimanche matin; j’en conféreray aveq vous car je prétends de retourner ce soir de la Grave coucher en ce lieu, et demain aller coucher au bourg, c’est pourquoi vous m’envoyerez demain deux heures avant le jour un cheval ou mulet jusques à la Pisse, parce que je partirai d’icy à la pointe du jour ; si mon frère ou quelque autre venait ce soir, il ne faudrait rien envoyer, parce que je profiterais de leur monture ; je n’ay plus de vivres que les moytiés du pain de Besses que m’aviez envoyé. Monsr Aymond, curé du Chasallet, et le sieur Paillas vinrent, hyer de parler à Monsr d’Arve, à Saint-Jean-d’Arve, et me dirent des nouvelles que je vous diray demain et à Monsr Guerre et Mr Roux ; je les fis goutter avec moy, sans quoy j’aurais encore du vin, cependant il m’a fallu boire de l’eau ce mattin à mon dîner. Je vous salue, Mr Guerre, curé à Besse, et Mr Roux.
« Votre très humble serviteur,
« Signé: GIRAUD. »
« Au Camp des Pertis, ce 8e juillet 1690.
« MONSIEUR LE CONSUL,
« J’ay oublié de prendre vos vivres avant que de vous quitter, dans la croyance où j’estais d’en trouver quelque peu ça haut; mon frère est allé à la Grave, nos soldats m’ont assuré qu’il vient demain; je vous prie d’avoir la bonté de donner ordre au sieur André Dosde de m’envoyer du pain, du vin et du fromage comme il en envoyait à mon frère. Il y a beaucoup de nos soldats qui n’ont point de pain, parce qu’ils demeureront icy plus de temps qu’ils ne croiaient pas, pesez exactement le pain que vous ferez apporter pour les soldats et l’on les fera payer avant que je les distribue. Ils demandent aussi du vin et rien ne leur sera délivré qu’ils rie l’ayent payé.
Je vous donnerai bien de peine, mais il n’y a pas du plaisir de voir en cet estat une partie de ses soldats, et suis,
« Monsieur, votre très humble serviteur,
« Signé : GIRAUD. »
« Au Camp des Pertis, 9e juillet 1690.
« MONSIEUR LE CONSUL,
« Je vous suis bien obligé de vos bontés et ay reçu avec plaisir ce que vous m’avez envoyé, j’avais pris un pot de vin et un pain d’un garçon de Besse qui en a apporté ce matin, je le lui ay payé. Je vous prie de nous envoyer quatre charges de paille et six charges de vieilles hardoises qui ne soient pas soulevées en hiver, car elles pourriraient, toutefois qu’elles ne soient pas entièrement partagées, et pour vous faciliter lade voiture, il vous faut servir des nouveaux convertis qui ont des montures et si vous n’en avez pas assez dans votre communauté vous pourrez recourir à ceux de Clavans ou Mizoin qui vous seront les plus commodes. Mon frère alla hier du côté de la Grave avec deux soldats de Besse, et il n’est pas encore de retour. Je vous prie de n’oublier pas notre pauvre cheval et de nous envoyer aussi deux ou trois chandelles avec des allumettes car on ne sçait comment faire la nuit et surtout pour lire la liste des sentinelles. Saluez de ma part Monsr Roux et Monsr Faure, et suis de tout mon cœur,
« Monsieur, votre très affectionné serviteur.
« Signé: GIRAUD. »