1878 : Étude sur la voie romaine de l’Oisans (V)

1878 : ÉTUDE SUR LA VOIE ROMAINE DE L’OISANS (Partie V)
Remerciement à M. Alain Pellorce qui nous a confié ce document.

Cinquième partie du document découvert dans une maison de Clavans

Où il est question de la Porte Romaine de Bons et de son origine mystérieuse.

On a pu remarquer que sur la colline on montait la Voie, après avoir traversé la Romanche, il existe un reste de vieux chemin venant du côté du village du Chambon, et se joignant à la Voie dans un détour de la montée. Les partisans du passage de la Voie romaine par Malaval, allégueraient peut-être, à l’appui de leur opinion, que c’est là une de ses traces. C’est en effet le reste du chemin, ou petite route de Briançon, qui après son ouverture dans Malaval, venait, pour sa continuation, emprunter là les secours de l’Ancienne Voie, laquelle, après avoir été fermée sur les hauteurs poursuivit encore quelque temps sa marche dans les vallées inférieures. Mais là s’est borné tout rapport entre le chemin de Malaval et la Voie ancienne.

Vers 1e milieu de la montée, avant d’arriver sous le Calvaire, on aperçoit encore un autre reste de chemin descendant à droite, vers le Freney, par la Gardette ; celui-ci fut établi au XVe siècle, comme suppléant au défaut de la Voie, que des dégradations partielles de lieux venaient de rendre impraticable aux environs de la Porte Romaine. Ce chemin supplémentaire quittant la Voie, dans la montée sous le Calvaire, allait passer la Romanche au Freney, de là montait sur les Clots et redescendait aux Chatains d’Auris pour y rejoindre l’ancienne Voie, là encore subsistante.
Le sentier qui descend au-dessous des terres de Bons amène bientôt le visiteur en un endroit où un rocher a été taillé et percé en forme d’arc triomphal, sur lequel passait la Voie, et que tout le pays nomme la Porte Romaine. La vue de ce monument, l’expression de son architecture l’élégance qui le caractérise, frappent le regard et inspirent d’autres pensées que celle d’une simple porte. S’il a servi à cet usage, on reste convaincu qu’il a eu une signification différente et bien plus élevée.
Telle est du reste la description qu’en a faite M. Scipion Gras, dans une intéressante notice sur quelques restes de la Voie romaine de l’Oisans « …une ouverture pratiquée à l’aide de pic sur un banc de rocher faisant une saillie de 4 à 5 mètres et épais d’environ 3 mètres. Cette ouverture à la forme d’une porte droite régulière, surmontée d’une voûte elliptique.
Une partie supérieure de celui des pieds droits qui ne tient pas à la montagne ayant été détruite avec le temps, a entrainé dans sa chute presque la moitié de la voûte, en sorte que le monument est mutilé ; néanmoins, il est encore bien reconnaissable dans sa forme et facile à mesurer dans ses dimensions. La largeur de la porte, prise au niveau du seuil, est de 2,50 m à 50 cent ; plus haut elle s’élargit de chaque côté de 0,32 centimètres au moyen d’une retraite taillée dans le roc ce qui forme une espèce de banc pratique sans doute pour la commodité des voyageurs. La hauteur totale du pied-droit non mutilé est de 2,90 m en y comprenant une corniche haute de 0,20 et large de 0,12 qui se trouve à la naissance de la voûte.
Celle-ci presque circulaire (demi) a au moins 3 mètres et 40 centimètres d’ouverture et environ 4 mètres de flèche. On remarque sur le rocher formant le seuil de la porte deux rainures parallèles, profondes de 7 à 8 centimètres et distantes entre elles de 4,38 m. En les examinant de près, on reconnaît facilement que ce sont des ornières creusées par des roues de voitures. Ces traces de roues dont le sol a conservé l’empreinte prouvent d’une manière irrécusable que cette porte a dû servir autrefois de passage à un grand chemin. Ce monument est d’une haute antiquité ; il est naturel de l’attribuer aux Romains, seuls assez puissants et assez civilisés pour avoir construit une porte et un chemin semblable ».[…]
En deçà de la Porte des Romains, la Voie se continuait à l’Ouest, sur un pavé de roches, le long de rochers taillés à pic, et suivait la colline jusque près du Chatelard. Descendant ensuite jusqu’au bas de la Ferrière, elle marchait encore un peu à l’Ouest ; puis, par un retour brusque, elle revenait à l’est, pour aller le long du pied du monticule du Chatelard joindre, au-dessous de lui, le petit plateau du Garcin d’en haut. Là, se dirigeant vers le nord, elle traversait le plateau, par les futaies qui bordent la Romanche et passait sur le torrent au pied des terres d’Auris.
Un assez long détour l’amenait de là au-dessus de Maillaud, d’où, après avoir franchi le ruisseau de Font Gillarde elle arrivait aux Chatains.
(Font Gillarde, nom présumé d’origine gauloise, d’une source magnifique d’eau limpide qui sort d’un seul jet sur la colline de Prénard (Auris)).
Les restes de la Voie sont très reconnaissables sur une partie de ce trajet, près de la Porte d’abord, plus loin, sur la colline, sur le chemin du Mont-de-Lans qui est là un fragment de l’ancienne voie, et sur le sentier du pied de la Ferrière, où se voient un peu plus loin des restes d’ornières sur un rocher. Dans la descente en retour au-dessus du plateau du Garcin d’en haut, on remarque vers le commencement une largeur inusitée pour un simple sentier ; plus bas, en deux endroits, des empreintes d’ornières sur le roc, et en arrivant sur le plateau, on retrouve la Voie, avec sa largeur normale de 5 m. Ses restes, très apparents sur ce plateau, se continuent par le sentier qui descend dans le bois voisin jusqu’en dessus de la Romanche, ils reparaissent quoique plus effacés sur les collines inférieures d’Auris, ou un autre sentier, se dirigeant vers le haut, va joindre le chemin qui passe la combe et conduit aux Chatains.
Le Chatelard, village le plus voisin de la Porte Romaine, peut avoir tiré son nom du mot latin CASTELLARIUM. Cette étymologie fait croire que tout auprès était une position militaire fortifiée pour le service de la Voie. En effet, le monticule au bas duquel ce village est assis, a pour couronnement un petit plateau de 60 mètres carrés de surface. Sur ce plateau on voit des amoncellements assez considérables de pierres et autres débris d’anciennes constructions. Posté comme une sentinelle au milieu de la vallée, le sommet du monticule regarde de tous les côtés de l’horizon. De ce point, il est facile d’observer tout ce qui se passait sur la voie et les circuits qu’elle décrivait tout au tour, sur la Porte romaine, sur la vallée et sur tous les alentours jusqu’à une assez grande distance. I1 est naturel de supposer qu’une position aussi avantageuse comme point d’observation fut mise à profit par les Romains, et que les ruines amoncelées sur le plateau sont celles d’un ancien poste militaire, tels que les Romains avaient coutume d’en établir sur les hauteurs pour la surveillance des pays conquis.
Au-dessus du village de la Rivoire, situé inférieurement à celui de Chatelard, et sur les terres duquel la Voie venait tourner pour descendre vers le plateau du Garcin, on aperçoit à travers l’éboulis des Touches, la trace d’un ancien chemin venant de Mont-de-Lans et descendant à la plaine par la Rivoire. Ce chemin était la continuation de la petite route de Briançon qui, au XVIe siècle, avait été forcée, par des ruptures dans le trajet jusque-là parcouru, de renoncer aux emprunts qu’elle faisait sur l’ancienne voie, pour ne plus compter que sur elle-même. Du Chambon, où elle s’appartenait tout entière, cette route eut à prendre une ligne qui pût l’amener directement dans la plaine, devenue plus praticable par l’entier écoulement du lac de St Laurent et par les travaux de défense qu’ordonna Lesdiguières sur la Romanche. Dans ce but, la ligne nouvelle faisait monter la petite route du Chambon au Mont-de-Lans dont elle traversa le plateau et de-là, descendre à la Rivoire, puis à la plaine par la rampe des commères. Les difficultés de quelques parties de ce parcours firent qu’il dût être modifié plusieurs fois selon les circonstances.
C’est ainsi qu’il reçut des améliorations sous le règne de Louis XII et de Louis XIII pour le passage des troupes lors des guerres d’Italie. Louis XIV le fit rectifier en 1707, afin d’échelonner dans l’Oisans et le Briançonnais le corps d’armée chargé, sous les ordres du Duc Berwick, de défendre cette partie de province contre le Duc de Savoie ; aussi au lieu d’une seule trace de ce chemin, on peut en remarquer deux à travers les terres et les bois de la Rivoire. La dernière venait passer sur le pont de ce village jusqu’en 1808, époque où fut commencée la route actuelle.
Il est évident, d’après cela, que cette partie de la petite route de Briançon, après une opinion contraire, n’a jamais rien eu de commun avec l’ancienne Voie romaine, et qu’elle ne peut nullement prétendre à l’honneur qu’on a voulu lui faire d’être l’un de ces restes.

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