À la recherche de la grotte des nains de Mizoën

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Cascade de la Pisse, non loin de Mizoën, route de l’Oisans. Photo Alfred Michaud vers 1880. Collection Musée Dauphinois.

À LA RECHERCHE DE LA GROTTE DES NAINS DE MIZOËN
Une course en Oisans.

Archive : Gallica

Dans : Société de spéléologie (France). Auteur du texte
Éditeur : (Paris)
Date d’édition : quatrième année
No 13 — janvier-mars — 1898
No 14 — avril juin — 1898

Sur le même thème : Les nains de Mizoën, mythe ou réalité ?

Un aven (1 à explorer (communication faite à la séance du 3 février 1898)

Par M. F. De Villnoisy.

Les souvenirs qui suivent se rattachant à une excursion faite il y a plusieurs années déjà, dans les montagnes de l’Oisans et ne concernent la spéléologie que d’une manière assez indirecte. Mon but principal était de contrôler sur le terrain les opinions émises par le Dr Roussillon, sur la voie romaine de Turin à Vienne, et j’ai suivi de nouveau l’itinéraire parcouru par lui, vingt ans plus tôt.

Ma première halte été le plateau de Brandes, sur les ruines de l’établissement métallurgique ouvert par les Romains, exploités plus tard par les Dauphins, et dont Humbert s’était réservé la possession comme domaine particulier, lors de la cession de ses états au roi de France. Il porte le nom populaire de Ville du roi ladre ; on y voit les restes d’un fortin dont j’ai pris les photographies, ceux des toutes petites maisonnettes des ouvriers, des amas de déblais composés presque exclusivement de labyrinthe, d’une blancheur éclatante qui tranche sur les autres pierres toutes envahies par les lichens. Je n’ai pu songer à l’exploration, ni même à la recherche des galeries des mines, et j’ai repris ma route vers le Gua, les deux Clavans et Besse, ou il fallait arriver avant la nuit close.

Avant Brandes, entre la cascade du fort pittoresque de Sarrine [SIC], voisine du Bourg-d’Oisans, et le ravin du Gua, on rencontre du calcaire. Il y a même peu après les hameaux de la Garde, une source qui a déposé des masses de tuf assez considérables, mais à partir du Gua, on est au milieu des schistes anciens, et ce sont eux qui forment la masse de la montagne de la Salte (NDLR. Grande crevasse ou Salse située au-dessus de Besse) et du plateau de Paris. Tout cela est dénudé. Non seulement il n’y a pas trace d’arbres et de grands chardons, d’ailleurs assez rares, sont précieusement recueillis comme bois de chauffage, mais l’herbe même, lorsqu’on arrache les touffes des creux où elle se maintenait encore ne réussissent pas à les reconquérir. Il n’en était pas de même il y a quelques siècles. Les éboulis schisteux de la Salte, dont j’ai pris une vue à titre de document topique sur les désastres que provoquent les déboisements inintelligents, étaient encore couverts de bois à la révocation de l’Édit de Nantes.
En 1885 des travaux faits à leur base pour exploiter les bancs d’ardoise ont mis au jour des souches ayant plus de 6 mètres de circonférence. Les habitants n’avaient pas besoin de cette preuve matérielle pour se rappeler l’existence des forêts détruites et en déplorer la perte. J’ai même pur recueillir sur place une légende qui les concerne, et c’est elle qui me permet de parler de cette excursion à la société de spéléologie.

Lorsqu’autrefois les ancêtres des habitants actuels sont venus s’établir sur le territoire des communes de Besse et de Mizoën, ils y ont trouvé une race de nains qui demeuraient dans une caverne. Ces petits hommes, dont il est facile de reconnaitre la parenté avec les Korrigans qui habitent les dolmens de Bretagne et les Nutons des grottes de Belgique, ne connaissant pas la culture, ils vivaient de chasse, recueillant des produits spontanés du sol, et étaient surtout d’incorrigibles pillards, contre lesquels leurs nouveaux voisins ne parvenaient pas à se défendre.
Ils n’étaient cependant pas sans intelligence ni sans une certaine civilisation. C’est d’eux que les montagnards actuels ont appris à faire le fromage et ils n’ont jamais su pratiquer cette industrie aussi bien que leurs maîtres, car les nains, en recueillant le petit lait, après séparation du caillé, trouvaient moyen d’en retirer de quoi faire une seconde espèce de fromage, ce à quoi on ne parvient plus maintenant.
Ils étaient aussi susceptibles d’ambition, et une femme de leur race, songeant que leur petite taille était la principale cause de l’infériorité sociale des siens, mais que des croisements entre les deux races pourraient faire disparaître ou l’atténuer, pénétra en cachette dans la maison d’une femme blanche et fit l’échange de leurs enfants. Elle ne perdait cependant pas le sien de vue, et l’entendant un jour crier, elle rapporta l’enfant qu’elle avait en disant à l’autre mère : Rends-moi mon fils puisque tu n’es pas capable de le bien soigner, alors que j’ai laissé le tien ne manquer de rien. »
Malgré la reconnaissance que les blancs dus avoir envers les nains pour leur avoir enseigné à faire le fromage, il leur en voulaient énormément de leur maraudage, et pour y mettre définitivement fin, il incendièrent la forêt qui leur servait de refuge. C’est depuis lors que le plateau de Paris est dénudé, et le feu fut si violent qu’il calcina le sol jusqu’à 5 pieds de profondeur.

La grotte qu’habitaient les nains existe toujours, elle est sur le territoire de Mizoën, du côté des escarpements de la Romanche. Comme on n’y va que rarement, il se peut que les éboulis en aient quelque peu encombré l’orifice, mais il ne faudrait pas une longue enquête pour la retrouver, et si j’avais eu un jour de plus, j’aurais accepté avec joie l’offre que me faisait mon hôte de la rechercher ensemble. Ce n’est, je l’espère que partie remise, et peut-être me sera-t-il possible quelque jour de reprendre cette enquête ou de la savoir faite par mon compagnon de la première course, M. Muller (2, bibliothécaire à l’école de médecine de Grenoble et chercheur des plus zélés.
L’existence de cette grotte n’a rien qui doive surprendre, si la masse de la montagne est formée de schistes anciens [ainsi qu’en témoignent les bélemnites (NDLR. Traces fossiles de céphalopodes marins) qui se rencontre à Rif-Tort, dans un banc qui a été fortement comprimé, et injecté d’aragonite, après dislocation. Une même bélemnite s’y trouve aplatie et divisée en tronçons que séparent des veines d’aragonites], le long des escarpements qui dominent la Romanche le calcaire reparaît. Entre Besse et La Grave, le plateau de Paris, du côté ou le torrent gronde dans l’étroite coupure de Malaval, est bordé d’une bande calcaire qu’on e saurait mieux comparer qu’un liseré noir d’un papier de deuil.
Un certain nombre de phénomènes géologiques qui relèvent des études habituelles de notre Société se présentent sur cette zone. Le faîte compact et imperméable du calcaire porte une série de petits lacs ; lac Cristallin, lac Noir, etc. La plupart sont de simples dépressions, où l’eau s’accumule après la fonte des neiges, atteignant une profondeur maxima d’un mètre environ, et qui sont fort souvent à sec ; aussi ne renferment-elles ni flore ni faune, en dehors des larves dont la vie est courte. Le lac des Moutières, assez profond pour conserver de l’eau tout l’été, et qui se trouve tout au bord de l’escarpement qui sur ce point se relève an bourrelet, renferme déjà beaucoup plus de larves, et je les ai prises à première vue pour de jeunes poissons.
Enfin, le lac Noir mérite une place à part. Ici, nous ne sommes plus en face d’une cuvette, mais d’un point d’intersection de couches qui ont subi des efforts dont l’énergie est attestée par leurs plissements, leurs contorsions, et la présence de veines de minéraux qui n’apparaissent que là. Après une courte plage en partie submergée, et sur lequel une faune aquatique abondante vient prendre ses ébats, la roche est coupée à pic et l’eau acquiert brusquement une profondeur assez considérable, mais que l’on ne pourrait mesurer qu’en étant en bateau. On a l’impression d’un gouffre d’effondrement rempli d’eau. À l’ouest, toutes les roches d’un noir intense sont scarifiées à la surface, d’où le nom du lac, et cet encadrement des eaux d’un vert également sombre, l’aspect désolé des pierres grises qui bordent la plage du nord, coupée de bancs de roches et relief, qui viennent plonger dans l’eau, enfin l’aridité des montagnes qui bornent l’horizon, sans un creux où l’herbe trouve assez de terre pour fixer ses racines, formes un tableau d’une incontestable grandeur.

Au milieu des scories de fer et de manganèse, on a vu paraître quelques taches de minerai de cuivre mêlé à du quartz cristallisé. Ce minerai reparaît dans une fente de l’escarpement, d’où la vue plonge sur l’hospice de Loche, et dans cette coupure vertigineuse, se trouve l’entrée d’une galerie de mine, qui se coude à angle droit, et que nous avons exploré sur toute sa longueur, qui est d’environ 200 mètres. Je ne sais trop quelle date lui assigner, j’y ai recueilli un coin de fer assez bien conservé pour avoir servi encore, mais je ne m’explique pas comment on pouvait extraire les matériaux sans risquer de tomber à pic jusque dans le lit du torrent. À peu de distance, s’élèvent sur le plateau des ruines de deux chalets qui se rattachent évidemment à l’exploitation voisine, mais ces murs de pierres sèches, sans caractère aucun, peuvent aussi bien remonter à l’époque romaine qu’à quarante années seulement.

Si, en suivant la crête, on se dirige vers le vallon dit le Clos des Erardes, on trouve au point qui porte ce nom, dans un pli de la montagne, une pente gazonnée qui laisse voir les cimes voisines du Bourg-d’Oisans, et au premier plan les dentelures de la crête qui se continue vers Besse, tantôt relevées en bourrelet, comme au lac des Moutières, tantôt inclinée en pente trop raide pour être abordée sans imprudence. Et tout près, sur l’un de ces talus qui couronnent le précipice, rendu plus dangereux par les lamelles d’ardoise délitée qui couvent leur surface, paraît une tache noire et triangulaire ; c’est une « ouverture d’aven ». Il est voisin de la chute du ruisseau du Rif-Tort, qui après avoir décrit sur le plateau d’innombrable méandre au travers de prairies tourbeuses, se dirige enfin vers le sud en se creusant une gorge étroite, puis forme une chute de plusieurs centaines de mètres. Je ne pouvais songer à l’atteindre ; la course aurait exigé plusieurs heures encore, et il aurait fallu des cordes pour se laisser glisser jusque près du bord de l’abîme. Force était donc de le contempler de loin et d’en faire une simple photographie. Pour comble de malheur, le temps gâtait à ce moment, j’ai opéré dans les conditions très peu favorables et le cliché a été du nombre des trois qui dans toute la promenade ont été manqués. Heureusement l’aven reste visible. Autant qu’on en peut juger de loin où celui-ci se juxtapose au calcaire. Peut-être y a-t-il eu effondrement d’une salle de grotte ouvert par une dérivation souterraine du ruisseau du Rif-Tort. Si j’osais pousser plus loin les hypothèses, je rapprocherais cet aven de la grotte des Nains qui doit être probablement du même côté, mais il est préférable d’attendre qu’une exploration ait fait la lumière sur ces divers points ; et je me borne à les signaler aux chercheurs.

1) Gouffre naturel

2) Hippolyte Müller indiquera 20 ans plus tard dans une publication, que malgré ses efforts la grotte n’avait pas été retrouvée.

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