Aux Grandes-Rousses (3470 m.)

Refuge de la Fare, archives en ligne Musée dauphinois.

AUX GRANDES ROUSSES (3470 m.)

Archives : Gallica

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Publication :  L’Actualité dauphinoise illustrée
Date d’édition : 14 septembre 1890

Nous arrivons bien tard pour parler d’une ascension qui a été faite, en août, aux Grandes-Rousses. Disons-en cependant quelques mots.
Elle a été fort intéressante et favorisée par un temps splendide. La caravane, composée de cinq personnes, Mme et M. Thorant, Mme et M. Coutavoz, et notre directeur Mont Rolland, était partie de Grenoble à cinq heures du matin, profitant du train de plaisir pour Briançon, service organisé cet été sur les instances du Syndicat d’initiative. Elle quittait la voiture aux Sables vers neuf heures et demie et gagnait le village d’Allemont, où un plantureux déjeuner l’attendait. Déjeuner d’ailleurs servi sous la charmille, le long d’un jardin tout plein de roses et d’œillets dont le parfum corrigeait heureusement les émanations d’un civet de chamois par trop faisandé.

Le guide Michel et le porteur Donnât ont la bonne idée de charger les provisions sur un mulet, qui les porte à une heure de marche du chalet-refuge de la Fare. Aussi, la montée commencée vers trois heures se fait agréablement malgré la chaleur qui est très forte.

À sept heures, la caravane atteint le refuge, non sans avoir fait en route de nombreuses stations qui permettent d’admirer le splendide panorama qu’on a derrière soi. À chaque instant on fait demi-tour pour contempler le massif de Belledonne, bien en face avec ses trois pics qui se détachent très nettement ; en bas, le village si pittoresquement groupé de Vaujany ; à droite, la chaîne tout en à-pic de Belledonne, qui domine la vallée d’Olle et, au fond, un peu à gauche, la vallée de la Romanche, qu’on aperçoit jusqu’à l’Infernet.

Le porteur, arrivé un peu avant nous, avait préparé une délicieuse soupe à l’oignon. Les provisions aidant, l’appétit aussi, le repas du soir, ainsi improvisé, est trouvé délicieux.

Vers dix heures, les touristes s’enveloppent de couvertures et se jettent tout habillés — ou à peu près — sur la paille du refuge, que de nombreuses bestioles habitent. Ce sont, durant la nuit, de sonores ronflements de ces insaisissables, de violents soubresauts causés par le contact trop intime des hôtes permanents du refuge, qui fraternisent avec les hôtes de la nuit. D’où un bruit à peu près continu qui chasse le sommeil que l’excès de fatigue rend d’ailleurs léger. Aussi, vers quatre heures, le chocolat est déjà préparé et pris, et en route pour le pic de l’Étendard, qui est atteint à neuf heures.

L’escalade a été assez difficile, mais très amusante. Les couloirs, remplis de neige, étaient impraticables ; il a fallu grimper sur les roches. De temps à autre, un caillou se détachait, roulait, passant tout près des touristes retardataires — ce qui cause des émotions assez violentes, même à ceux qui aiment la montagne en raison des dangers qu’elle fait courir.

Le sommet est couvert de neige ; pour l’atteindre, il a fallu tailler des marches le long d’une arête de glace. Nous ne dirons pas les splendeurs du panorama qui se déroule tout autour des voyageurs. Il est le plus incomparable et le plus merveilleux, au moins de ceux qu’on peut aller voir sans courir aucun risque.
Le temps a continué d’être beau ; l’air est d’une pureté inouïe. Le Mont-Blanc semble être à deux pas ; sa masse imposante écrase tout l’horizon vers la Savoie ; derrière, ce sont les aiguilles d’Arves, les Évêchés ; la Meije, majestueuse et élancée vers le ciel, apparaît comme la hampe d’un immense étendard dont le glacier du Mont-de-Lans serait le drapeau immaculé. Et puis, en tournant encore, Taillefer et enfin Belledonne qu’on domine !

Très joyeuse la descente, émouvante tant soit peu cependant le long des glaciers des Quirlie et de Saint-Sorlin. Après une halte au bas, voici d’immenses pâturages qu’on traverse en courant, voici surtout l’éblouissante cascade de Clavans, unique au monde certainement, lançant dans les airs une immense gerbe liquide qui retombe en éventail.

À cinq heures, on est à Clavans-le-Haut ; à sept heures, au Freney, et à neuf heures, au Bourg-d’Oisans. Le trajet de Clavans au Bourg-d’Oisans a d’ailleurs été fait en voiture. Bon souper, bon gite à l’hôtel Martin, et le lendemain, tout doucement, retour vers Grenoble, où les touristes — c’est du moins notre avis — rapportent le souvenir des vives impressions de ces trois agréables journées durant lesquelles, si le corps s’est aguerri, l’esprit a gardé une sérénité qui vaut bien des fatigues et provoque le désir d’une prochaine excursion. M. R.

N. B. — Les Grandes-Rousses ont été gravies, huit jours après, par le gendre et le fils de M. le Général Lespiau. Les deux touristes étaient accompagnés du guide Ginet.

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