
Photographie prise à l’occasion des chantiers de fouilles archéologiques d’Hippolyte Müller sur le plateau de Brandes. Source Musée Dauphinois.
BRANDES, ENTRE HISTOIRE ET LÉGENDE
Source Retronews : Quotidien La Patrie, édition du 2 décembre 1919
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À TRAVERS LA FRANCE
Le Plateau de Brandes
HISTOIRE ET LÉGENDES
À 50 kilomètres sud-est de. Grenoble, dans l’Oisans, dans l’ancien pays des Urceni (SIC), sous les Romains, une ville de 2.600 habitants s’étale dans la plaine. C’est le Bourg-d’Oisans, la capitale de la région, le point de départ d’excursions fort intéressantes dans le massif des Grandes Rousses, chaine isolée de gneiss granitoïde qui s’élève sur un vaste socle de mamelons herbeux et qui doit son nom de Rousses à la couleur crée des calcaires ferrugineux de la face ouest.
La route part de Bourg-d’Oisans, elle longe la belle cascade de baronnes, monte par des lacets à la Garde, puis à Huez, puis enfin aux chalets de l’Alpe.
En prenant à l’est le chemin qui traverse un vaste plateau des pâturages, on arrive bientôt aux ruines de Brandes, au milieu des décombres de petites habitations et des éboulis d’anciennes galeries de mines. Sur la hauteur voisine s’élève l’oratoire de Saint-Nicolas non loin de la Tour (ruinée) du Prince Ladre.
Il y avait là, raconte l’histoire près de la voie romaine qui traversait l’Oisans, une ville habitée par des forçats : on y exploitait des mines de plomb argentifère et de cuivre, aujourd’hui abandonnées — mais qui eurent autrefois, sous les Dauphins, vers le 13e siècle, une certaine importance. La redevance était de 200 livres viennoises, valant à peu près 40.000 francs de notre monnaie d’aujourd’hui. On y trouvait une pierre précieuse et les lapidaires emploient encore aujourd’hui dans les colliers sous le nom de Shorl bleuet d’osanite.
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La tour du prince Ladre a été considérée comme une œuvre romaine ou arabe, ou simplement locale et médiévale.
L’oratoire de Saint-Nicolas est en grande vénération dans l’Oisant. Aussitôt la fonte des neiges, au commencement de juin, les jeunes filles ou les veuves qui veulent être mariées dans l’année, s’empressent de monter à l’oratoire de Brandes. Une pierre aiguë est située devant la chapelle de Saint. La postulante se tient à genoux sur cette pierre tout le temps de son invocation.
Tout alentour de belles prairies, mais absence complète de bois et d’arbustes au milieu de cette brillante uniformité végétale. La faute en est aux anciennes exploitations minières qui rasèrent tous les bois des environs.
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Les Sarrasins séjournèrent en Dauphiné au cours du huitième siècle. Comme les Romains, ils exploitèrent les mines et en cultivateurs avertis, creusèrent le canal d’irrigation qui va du lac Blanc au village de Villars-Reculas, et qui existe encore, entretenu à frais communs par les habitants de la contrée, et qui porte le nom significatif de canal des Sarrasins.
Les Allobroges étaient au siège de Delphes, en 278 avant J.-C. La ville fut prise par les Gaulois, dit l’histoire par l’Allobroge, dit la tradition, qui fait remonter l’origine du nom de Dauphinois, au surnom de Delphini, donné aux Allobroges pour prix de leur valeur à Delphes.
Aussi c’est dans un rêve de souvenirs que le voyageur parti le matin du Bourg-d’Oisans monte vers Huez et Brandes. Il longe les gorges escarpées et profondes de la Sarenne et suit la route ombreuse bordée de ruisseaux bruissant et clairs.
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Rien n’est délicieux comme ces départs à l’aube dans la montagne toute baignée de cette rosée des nuits de septembre, qui s’illumine et s’égoutte le long des herbes odorantes et à l’extrémité des branches déjà frileuses. Quelques feuilles détachées des acacias, des noyers des ormes. Elles gisent sur la route, cimentée de fines gouttelettes. Des araignées ont tendu des rosaces déliées qui s’étoilent toutes lumineuses de la buée nocturne comme d’une poussière de givre. Et dans le silence de cristal du petit jour, les pas sonnent avec gravité sur la route aux lointains solitaires.
Douceur exquise du rêve qui s’attise et se précipite, dans la marche et dans la fraîcheur vierge des sentiers rocheux.
Quelques bruits — passage à travers la route d’un merle qui s’effare, cri strident de la grive surprise qui se dérobe derrière les sapins, rythme mouillé des Ruisseaux en cascade sous les herbes.
Rayon de soleil qui fuse à l’horizon, tout rose, entre deux pics, tout noirs.
Magie concertée du décor et des symphonies de la montagne.
Et, par-dessus tout, cette sorte d’aspiration, d’élan qui nous pousse plus haut, toujours plus haut, cependant que les poumons se dilatent, et que monte et s’enfièvre le désir ardent d’atteindre le plateau et de gravir le pic.
Les cultures s’espacent, et le cadeau de Brandes apparaît avec ses prairies et ses mousses.
Plus d’arbres. À peine quelques mélèzes nains aux aiguilles clairsemées, des touffes d’airelles poussées à l’aventure de rares rhododendrons au vert plus sombre.
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À l’horizon, de tout côté les cimes surgissent au loin, bleutées et fondues dans le ciel — ou plus proches, brusquement déchirées, et s’avivant de l’éclair d’un glacier — les cimes, nos amies, c’est la nappe neigeuse du Mont-de-Lans, c’est le profil aigu de la Meije, c’est le Pelvoux, lointain, lumineux, c’est belladone et ses dentelures vagues, de roches sombres dans l’horizon clair.
Toutes ces cimes, en cercle, assemblées, dressées, à l’entour du plateau de Brandes, gardiennes attentives et silencieuses, qui se souviennent de son passé et veillent sur son secret.
Car toute une cité morte est là. Habitations mystérieuses en décombres, fossés écroulés. Tour ruinée, c’est tout ce qui demeure pour évoquer l’âme de ceux qui là, sont nés, se sont enivrés de l’air pur, ont aimé, ont pleuré, et sont morts devant l’impassible panorama des cimes sereines et éternelles.
Romains chercheurs de métaux précieux. Musulmans chassés par Roland, qui pendant un siècle, ont arraché l’or aux passants et l’argent aux entrailles de la Terre.
Gentil Dauphin Guigues qui rendait la justice à tout un peuple de mineurs !
Tous ont disparu. Et de toute cette jeunesse, de toute cette vie, rien ne reste que la fameuse tombe de marbre, et la crypte aux ossements.
Sous les débris de la Tour, était la chambre close où le fils de Guigues oublia et laissa mourir de main, recluse enamourée et vainement fidèle, la ville fille d’Huez qu’il aimait secrètement.
Le silence plane sur l’intensité déserte et nue du plateau, de Brandes.
Alors, elle rentre dans la chambre souterraine et s’endort, pour toujours sur son lit, parmi les fleurs de la prairie qu’elle a cueillies et qui ne se fanent pas plus que ses traits ne s’altèrent.
Les années succèdent aux années. Et chaque année un spectre blanc qui laissa voir sous son linceul une armure d’acier sanglante, un cavalier fantôme surgit à l’ombre du gouffre noir des gorges.*
*Nota : La fin du texte fait référence à la légende du chevalier Jehan d’Arnold. On dit également que son chien revient à Brandes les nuits de Noël, sur les ruines de la chapelle et pleur longuement son maître.