La guerre de l’eau en Oisans 5-5

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Chemin entre Villard-Reculas et huez, photo Hippolyte Müller, début XXe, collection musée Dauphinois.

LA GUERRE DE L’EAU EN OISANS 5/5
Conflit entre Villard-Reculas et Huez 

Source : Archives André Glaudas :
Procès-Verbal mensuel du No 383 au No 385, avril, mai et juin 1968 de la Société Dauphinoise d’ethnologie et d’archéologie (2e trimestre 1968).

Sur le même sujet : 
– Canal Sarrasin, dispute entre Villard-Reculas et Huez
– 1450 Canal Sarrasin de Villard-Reculas

NOTA: Retranscriptions issues des fonds d’archives de Villard-Reculas et d’Huez accessible aux Archives Départementales de l’Isère. Graphie originale conservée.

LE CANAL DE VILLARD-RECULAS SOURCE DE DISPUTES
par Jean OGIER

Première partie 1/5 , deuxième partie 2/5, troisième partie 3/5, quatrième partie 4/5, Cinquième et dernière partie 5/5

Le procès a lieu le 11 décembre 1827. La communauté d’Huez est mise hors de cause. Il est précisé que la commune de Villard-Reculas n’a aucun droit sur la source de Font Belle (Délibération du conseil municipal d’Huez du 27 mars 1828).

On aurait pu penser que l’affaire était enfin entendue. En effet, d’après une délibération du conseil municipal de Villard-Reculas, du 12 juillet 1863, le Maire Chalvin écrit au préfet d’alors Hipolyte Ponsard, pour lui rappeler que pendant les trois quarts de l’année, les habitants de sa commune manquent d’eau. Mais il n’est plus question d’y amener celle de Font Belle. La commune se propose de creuser le rocher au départ du lac Blanc, d’approfondir le chenal de prise d’eau, pour alimenter plus abondamment le canal, de façon à avoir de l’eau en permanence.

Il évalue la dépense à deux mille francs et sollicite un secours de moitié ou des trois quarts.

Le préfet répond au maire en lui recommandant les souscriptions individuelles et le vote d’une imposition extraordinaire.

A propos du travail envisagé, une délibération du conseil municipal d’Huez, du 12 décembre 1875, fait allusion à la prétention des habitants du Villard-Reculas de disposer de toute l’eau du lac Blanc.

Bien sûr le conseil municipal d’Huez proteste, Il a compris le sérieux de l’affaire et s’est documenté pour établir incontestablement ses droits. Voici un extrait de cette délibération :

« Considérant que d’après l’autorisation du Roi Dauphin et du Gouverneur du Dauphiné de 1447 et d’après le procès-verbal du chatelain de l’Oisans du 20 juin 1448, les habitants du Villard-Reculas n’ont été autorisés à prendre les eaux du lac Blanc que sous le ·consentement des habitants d’Huez, que ceux-ci furent convoqués et qu’il fut convenu que les habitants du Villard-Reculas ne pourraient établir leur canal de dérivation qu’à condition de ne pas nuire aux usages et aux moulins des habitants d’Huez et de ne pas leur porter préjudice. Qu’ainsi les habitants du Villard-Reculas ne peuvent user des eaux qu’à la condition de respecter les droits et les besoins de la commune d’Huez qui est propriétaire du lac Blanc et que les titres invoqués par eux sont contraires à leurs prétentions… » M. DALOD Julien, maire (Délibération du conseil municipal d’Huez).

Pour la première fois, au cours de cette longue période de contestations, la municipalité d’Huez paraît enfin avoir eu connaissance des fameuses lettres patentes de 1447-1448.

La commune du Villard est mise en demeure de produire les titres confirmant ses prétentions dans un délai de quinze jours ; à défaut d’exécution, les eaux seront coupées (délibérations du conseil municipal d’Huez 24-9-1872).

Il est difficile de savoir si cette menace a été mise en exécution. Mais une délibération du conseil municipal d’Huez, du 22-12-1876 nous confirme que les gens du Villard-Reculas « convoitent les eaux de Font Belle ».

Il est fait mention d’un procès entre les deux communes, dans une autre délibération du conseil municipal d’Huez, en date du 11-1-1880. Ce procès est jugé le 16 décembre 1882, par le tribunal civil de Grenoble. La commune de Villard-Reculas est déboutée de ses diverses prétentions, vis-à-vis de la commune d’Huez et condamnée à tous les dépens de l’instance (lettre de M Béranger, avoué, au Préfet de l’Isère).

Pour la bonne compréhension de la situation, il faut dire que l’approvisionnement en eau de la population d’Huez n’est assuré, jusqu’en 1803, que par une petite source, tout juste suffisante pour alimenter les deux fontaines publiques. À partir de cette date, il est question d’amener l’eau de la Ponsonnière, mais, en 1855, on paraît ne pas en disposer encore.

Pour abreuver le bétail de l’Alpe et pour les lessives, on se sert de l’eau du ruisseau. Mais en période de sécheresse, son débit est presque nul ; c’est pourquoi, de temps immémorial, dans ces circonstances et en cas d’incendie en particulier, les gens d’Huez « vont mettre l’eau de Font Belle » pour accroître le débit du ruisseau de l’Alpe.

Cela ne peut se faire qu’en abattant, d’un coup de pioche le petit barrage rustique fait de mottes de gazon maintenues par des pierres et établi par les habitants de Villard-Reculas. Comment peut-on appeler cela une digue ?

Ce faisant, les habitants d’Huez exerçaient un droit strict et imprescriptible. L’administration aurait pu s’en rendre facilement compte, si elle avait été moins prévenue.

Par complaisance, à une date indéterminée, mais certainement très ancienne, la commune d’Huez a toléré que les eaux de Font Belle, inutilisées en période normale, soient dirigées, à l’aide d’un canal auxiliaire, vers le canal principal amenant les eaux du lac Blanc. Les deux béals se rejoignent à Chavanu.

Lorsque, par suite de détérioration sur le parcours supérieur du canal venant du lac Blanc, l’eau se perdait en cascadant sur les rochers, il y en avait toujours assez, avec l’apport de Font Belle et cela épargnait aux habitants du Villard-Reculas des ascensions laborieuses, pour aller faire les réparations nécessaires.

Les prétendus barrages abattus, ainsi que la chaussée qu’on avait prévue se situent au départ de Font Belle, ou le long du canal auxiliaire, dans des propriétés particulières.

Cette tolérance finit par laisser croire aux habitants de Villard-Reculas que toutes ces eaux leur appartenaient en propre. De cette erreur sont nées toutes les chicanes et les procès que nous venons de relater.

Pour s’assurer au moins un peu d’eau potable, en toute saison, le conseil municipal de Villard-Reculas décide de capter une petite source et d’en amener l’eau dans le village.

Le maire Chaix écrit au Préfet Bérard, pour lui exposer le projet et solliciter un secours, le 9 janvier 1854 : « … il faut encore vous dire, Monsieur le Préfet que les jeunes gens robustes vendent cette eau de cette source que la commune se propose d’amener dans le village, en allant la chercher dans des barreaux (tonneaux allongés contenant environ 50 litres), à une heure loin. »

Le Préfet répond en exprimant son regret de ne disposer d’aucun fonds pour aider la commune et suggère de provoquer des souscriptions et au besoin de voter une imposition extraordinaire.

Rien n’a encore été réalisé en 1863, puisque le maire Chalvin sollicite de nouveau une subvention du Préfet Hippolyte Ponsard, pour le même objet (12-7-1863).

Le Préfet demande le plan, le devis et conseille le recours aux souscriptions. Ensuite, le conseil municipal et les plus imposés seront appelés à voter les fonds nécessaires. Nous n’avons disposé d’aucune autre pièce qui permette de connaître la suite donnée au projet. Mais il y a eu un important travail de captation et d’amenée fait en 1896. La réception a eu lieu le 28 août 1898. Le montant des travaux s’est élevé à 9 810 F.
Débit 4 litres/minute. Il s’agit probablement de la même source dont il était question en 1854.

Depuis 1882, il n’y a plus de conflits graves, de procès, entre Huez et le Villard-Reculas ; mais les disputes se sont poursuivies jusque vers les années d ’après-guerre 1914-18. Elles se sont atténuées, en particulier après les années 1940-44, parce que les habitants d’Huez ont capté d’autres sources pour assurer l’alimentation de la commune en voie d’expansion. A partir de ce moment-là, les eaux de Font Belle ne présentaient plus le même intérêt pour eux.

Par ailleurs, la population du Villard a diminué, ainsi que son cheptel, réduisant ainsi ses besoins. Ce n’est pas pour autant qu’elle renonce à s’approvisionner en eau potable.

En 1946, un syndicat intercommunal (Huez – le Villard-Reculas) se constitue pour réaliser un projet d’alimentation en eau des deux communes, sous la direction du génie rural.

La répartition prévoit les 5/30 du débit pour le Villard et les 25/30, pour Huez, des eaux captées au Rif Bruyant.

Le projet étudié, approuvé, n’est cependant pas exécuté. Le minimum du Rif Bruyant tombe parfois à 15 l/seconde en hiver. C’est peut-être la raison qui amène la municipalité d’Huez, dont les besoins en eau sont très importants en hiver, à envisager une meilleure solution. Huez procède seule au captage envisagé. Mais en 1954, Huez cède à Villard-Reculas, avec le terrain nécessaire pour constituer un périmètre de sécurité, une abondante source située à la cote 2 120 m, au nord du canal, pour la somme symbolique de 50 000 anciens francs.

Cette source captée sera emmenée au Villard-Reculas au cours de l’été 1960. (Maire J. Chalvin.)

Désormais, ses habitants ont à discrétion l’eau à domicile. Le canal continue à lui déverser l’eau d’alimentation du bétail. Son entretien est un peu négligé maintenant que les besoins sont moins urgents et la main-d’œuvre plus rare.

Il serait cependant regrettable de le voir abandonné complètement, car il a son histoire et il fait partie du paysage qu’il anime. D’ailleurs il rendrait encore d’importants services en cas d’incendie.

En raison des importants travaux exécutés dans le rayon de la station intermédiaire du téléphérique du Pic du lac Blanc, qui devient le point de départ d’un nouveau télésiège aboutissant au déversoir du lac Blanc, on a détourné l’eau venant du lac Blanc pour l’orienter vers le ravin de Font Belle. De là, par le canal auxiliaire dont nous avons parlé, elle revient à Chavanu et suit son cours normal vers le Villard. Il est regrettable qu’on n’ait pas respecté cet ouvrage datant de plus de 500 ans. D’autant qu’il n’en aurait coûté que quelques drains supplémentaires. Mais notre époque vouée au rendement n’a plus guère de respect pour de vieilles choses pourtant chargées de souvenirs.

Jean OGIER.

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