Les fantômes du Freney-d’Oisans, en 1808

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Vue générale du Freney-d’Oisans en 1922. Archive photo de Mme Émilie Lambert, institutrice à l’école de Puy le Bas, de 1922 à 1923.

LES FANTÔMES DU FRENEY-D’OISANS EN 1808
Première mise en ligne 27 janvier 2009, mise à jour le 12 mars 2023

Remerciements à M. Louis FAURE pour le prêt des documents, à M. Robert et Laurent Veyrat pour les détails sur l’origine du Château et à M. Pascal GARNOT pour ces propos recueillis auprès de Mme Andrée Ougier sur l’histoire de l’hôtel Perrin.

NOTA : Récit succulent, très romancé, donnant souvent un rôle de « nigauds » ou « pleutres » aux autochtones… voici un extrait tiré des mémoires de Grégoire Anselme PERRIN, ingénieur en charge du percement du tunnel de l’Infernet en 1808.

Toutes les références en bas de page. Un ouvrage lire absolument !

Le Château dont il est question est souvent confondu avec l’Hôtel Perrin, actuelle Auberge du Freney, sans doute en raison de l’homonymie. Cependant, il s’agit de deux maisons distinctes.

Cliquez-moi !Voici un extrait du cadastre napoléonien du Freney, la maison correspond au bloc cerné de jaune, au-dessus des lettres « Du » (vge Du Freney) No 388 sur le cadastre actuel.

Une photo (sur laquelle j’ai zoomé très fortement), prise en 1933 durant la construction de la nouvelle route passant par le couronnement du Chambon, Le Château doit être de bâtiment situé sur la partie haute de l’image agrandie.
Le terrain appartenait à un oncle de M. Robert Veyrat, actuel propriétaire qui a construit sa maison sur le même emplacement et dont il a conservé la cave voutée. M. Veyrat et sa mère avaient d’ailleurs gardé l’habitude d’appeler cette ancienne maison « le château »*.
Ce château aurait été construit vers dans la première moitié du XVIIe siècle.

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Quant à l’Hôtel Perrin…
L’Hôtel a été acheté par Monsieur Georges Perrin, originaire d’Allemont et sa femme (Savoyarde) à un monsieur de Clavans (vers les années 1920).
Monsieur Perrin avait plusieurs activités : plombier, ramoneur et forgeron (la forge était devant l’hôtel, elle a été démolie en 2006).
En 1931, à la construction du Barrage, l’hôtel Perrin fut loué par l’entreprise Campenon-Bernard, il fut alors transformé en garni (hôtel meublé) pour y loger ses ouvriers de façon provisoire ou définitive le temps du chantier. Il n’y avait pas encore de restauration, c’était simplement des logements (les meubles appartenaient déjà à monsieur Perrin.)
Un cinéma fut créé vers cette époque. Celui-ci a continué à fonctionner jusqu’à la fermeture de l’hôtel en 1950.
Au mois d’août 1935, à la fin de la construction du barrage, Monsieur Perrin commença à faire débit de boisson. Étant propriétaire d’un magnifique piano (mécanique selon certains témoignages) piano qui a été vendu bien plus tard, on commença à organiser des animations dansantes. Les gens du pays animaient les guinguettes du samedi soir et du dimanche après-midi.
Il y avait beaucoup de monde, notamment les samedis matin, jour du marché au Freney et on y trouvait de tout.
Monsieur Perrin a habité jusqu’à son dernier souffle l’Hôtel, Madame Perrin quant à elle, a fini ses jours en maison de retraite. 
En 2009, l’hôtel Perrin, après deux ans de chantier, est refait à neuf, et devient l’auberge du Freney.

Les fantômes du Freney-d’Oisans

Grégoire Anselme PERRIN était l’ingénieur en charge du percement du tunnel de l’Infernet en 1808.
L’extrait ci-dessous est tiré du livre « Passer les cols, franchir les Alpes ». Toutes les références en bas de page.


Le printemps suivant, l’ingénieur ordinaire, M. Amori, avait déplu à M. Lallier, ingénieur en chef, pour avoir trop plu à madame Lallier. Il demanda son changement et fut remplacé par M. Polonceau avec lequel j’avais passé plusieurs années au Simplon. Rien ne pouvait être plus agréable pour moi. J’allais revoir mon ami que j’aimais beaucoup. J’étais assuré qu’il ne fixerait pas sa résidence au Bourg-d’Oisans ni à Grenoble, comme avaient fait ses prédécesseurs. J’étais au contraire assuré qu’il la fixerait dans les montagnes. Je connaissais ses goûts. Ils avaient tant de rapports avec les miens que je ne pouvais pas me tromper. Il était honnête homme dans toute la force du terme. Nous allions recommencer nos parties de chasse, nos parties de minéralogie, etc.

Enfin M. Polonceau arriva vers la fin du mois d’avril, époque où les ateliers devaient tous être mis en activité. Nous nous occupâmes à chercher son logement. Nous trouvâmes au Freney une maison qu’on appelait le château », appartenant à un nommé Reymond. Cette maison, ou plutôt ce château, n’était pas habité par le propriétaire. Il en avait une autre, mauvaise, qu’il habitait avec sa famille. Il eut été logé bien plus commodément, mais il n’osait pas l’habiter, et voici pourquoi.

Dix jours avant l’arrivée de Polonceau, je m’étais adressé à ce Reymond, qui était le Maire de la commune du Freney, pour louer son château pour M. Polonceau. Cet homme, qui avait soixante ans, me demanda douze francs par mois du loyer de cette maison et d’un grand jardin, et il ajouta naïvement (c’est lui qui parle) : « M. Perrin, je dois vous prévenir que le château que vous venez de louer est presque inhabitable, que je n’y coucherais pas, ni personne de ma famille, quand il s’agirait de gagner tout au monde. Ainsi je vous conseille de chercher un autre logement à ce monsieur qui doit arriver, parce qu’il aura beaucoup de désagréments dans ce château, et il ne pourra pas l’habiter longtemps. Depuis qu’il est à moi, je l’ai affermé à plusieurs particuliers du pays. Aucun n’a pu y coucher deux nuits de suite. »
Sa femme, ses filles et deux grands enfants tremblaient à la seule idée que quelqu’un allait habiter ce terrible château qui était l’épouvante de tout le pays. Enfin, je demandai pourquoi il n’était pas habitable. Le père me répondit en frissonnant : « Toute la nuit, monsieur, oui, toute la nuit, il est rempli de revenants qui font un tapage épouvantable. Nous y tenons des noix et du pain, et, lorsque nous avons besoin d’aller en chercher au milieu du jour, nous y allons toujours trois ou quatre.
Ainsi, jugez si un homme seul pourrait y passer la nuit. Il y mourrait de peur si on ne lui faisait pas d’autre mal. Nous faisons dire tous les ans beaucoup de messes pour apaiser ces revenants qui, effectivement, après, font moins de tapage. Mais ils recommencent toujours en automne, plus fort que jamais, et ce bruit dure presque aussi fort pendant huit mois de l’année. Et pendant tout ce temps, cette misérable maison est inabordable ».

Après ce récit, je me mis à rire et je tâchai de les dissuader. Mais ce fut en vain. « Parlez-en à M. le curé, me dirent ces braves gens, et vous verrez ce qu’il vous en dira. Il sait mieux que nous ce qui se passe dans ce château ». Je le crois bien, leur répondis-je, mais soyez tranquilles. Il n’y aura plus de revenants lorsque ce monsieur y sera logé. C’est moi qui vous en réponds. Enfin je m’en allai en plaignant la crédulité de ces pauvres gens, et fâché contre le curé que je connaissais beaucoup, qui était instruit, mais fin, rusé et fort adroit.

M. Polonceau arriva quelques jours après. Je lui fis part des revenants, desquels il se moquait. Nous fûmes voir le château. Il le trouva bien, et, au bout de huit jours, il vint pour l’habiter. Le premier soir, j’y couchai avec lui et son domestique. Nous y fîmes venir avec nous un conducteur des travaux, Gautier. Nous avions bien pensé qu’il pouvait bien se faire que quelque coquin du pays s’introduisît dans la nuit dans cette maison par quelque issue que nous ne connaissions pas, ni le propriétaire, dans l’intention de lui voler tous les soirs quelque chose de ce qu’il y entreposait, tels que des noix, du pain, etc.

Enfin, nous nous couchâmes tranquillement. Mais, au bout d’une heure de tranquillité, nous entendîmes marcher au galetas dans des tas de noix qu’on y avait déposées pour sécher.
Peu d’instants après, on faisait du bruit dans la cuisine et dans les chambres où nous étions couchés. M. Polonceau avait déjà allumé sa chandelle. Le domestique en avait fait autant dans la cuisine. J’entre dans la chambre de Polonceau, et au moment où j’ouvrais la porte, il frappe un grand coup qui tua un revenant. Gautier se leva. Nous nous armâmes tous les trois, chacun d’un pied de niveau, qui avait, au bout, de longs fers pointus. Et en moins d’un quart d’heure, nous eûmes détruit quinze revenants qui n’étaient autre chose que des rats énormes qui étaient presque aussi gros que des chats.

Les maîtres de la maison ne s’étaient pas couchés. Ils nous croyaient tellement perdus qu’ils s’étaient mis en prière et priaient pour nous. De temps en temps, ils sortaient pour écouter si nous ne criions pas au secours. Ils nous entendirent enfin faire notre ramage après ces revenants. Nous faisions un bruit épouvantable dans la maison en courant après ces rats d’une chambre à l’autre, au galetas, dans les caves, et en criant quelquefois : « À vous, Polonceau. À vous, Perrin. À vous, Gautier. » Ces pauvres gens n’osaient jamais venir à notre secours. Ils appelaient leurs voisins qui ne furent pas plus hardis qu’eux. Ils nous appelaient du dehors, mais, éloignés de la maison, nous disant de sortir. Et, comme nous faisions beaucoup de bruit, nous n’entendions rien. D’ailleurs, nous ne pensions pas qu’ils fussent réveillés à cette heure-là. Ceux de nos revenants qui, dans notre combat, avaient conservé la vie s’étaient enfuis et nous étions restés maîtres absolus du champ de bataille. Nous étions fatigués, car le combat avait duré plusieurs heures, au bout desquelles nous nous recouchâmes.

Lorsque les paysans du dehors entendirent plus de bruit, que les lumières furent éteintes, ils imaginèrent que nous étions tous morts. Ce bruit se répandit dans tout le village qui fut extrêmement alarmé. Nous allions nous-mêmes devenir de nouveaux revenants pour eux, et bien plus à craindre que les premiers, parce que le maître de la maison se considérait déjà comme ayant contribué à notre mort. Il aurait dû ne pas nous louer la maison. Toute sa famille le lui reprochait, et il s’en repentait lui-même, mais il n’était plus temps.

Comme ils nous croyaient bien sûrement tous morts, ils allèrent de très grand matin faire part à M. le curé du malheur qui venait d’arriver. Le curé, qui savait à quoi s’en tenir du côté des revenants, fut cependant inquiet sur la cause du bruit que nous avions fait dans la nuit. Ceux qui lui racontèrent ne manquèrent pas d’augmenter de beaucoup les scènes que la peur avait fait naître dans leur féconde imagination.

Le curé descendit avec eux. Ils vinrent ensemble frapper au portail du château que nous n’avions pas encore ouvert. Et ils furent tous extrêmement surpris lorsque le domestique vint ouvrir et qu’il leur dit tranquillement que nous n’étions pas encore levés. Ils se retirèrent, ainsi que le curé qui vint nous rendre visite deux heures après et qui nous fit part de tout ce qui s’était passé au-dehors pendant la nuit. De notre côté, nous lui racontâmes en détail le combat que nous avions livré la nuit aux revenants, et nous lui fîmes voir les morts, pour preuve de notre victoire nocturne.

Pendant que le curé était avec nous, j’envoyai chercher le maître de la maison qui vint aussitôt, accompagné de son fils aîné. Nous lui montrâmes les quinze revenants morts. Ce pauvre homme était si content qu’il en pleurait de joie. Et en s’adressant au curé, il dit : « Que nous sommes heureux que ces messieurs soient venus habiter cette maison. Car nous aurions toujours cru, et vous aussi, M. le curé, que cette maison était remplie de revenants, et nous n’aurions jamais osé l’habiter. » Le curé que j’examinais se mit à sourire et parla d’autre chose. Nous dîmes au père Reymond qu’il y en avait encore beaucoup, et qu’il fallait, pour pouvoir les détruire tous, enlever toutes les planches qui bouchaient les intervalles entre les travettes, parce que les rats se cachaient sur les poutres. Aussitôt nous enlevâmes plusieurs de ces planches et nous vîmes encore plusieurs revenants. Le père Reymond et son fils travaillaient à l’enlèvement de ces planches avec un courage extrême. Nous suivîmes toutes les pièces et nous tuâmes environ une douzaine de revenants. Le père Raymond s’aidait de toute son âme à la destruction de ces animaux qui lui avaient tant fait peur, ainsi qu’à toute sa famille. Avant de nous séparer, je dis au curé en riant : « Plus de messes pour congédier les revenants, M. le curé. » Il rit et nous aussi !

Comme la famille Reymond m’avait dit que les messes apaisaient pour quelque temps les revenants, il est bon d’expliquer comment cela pouvait avoir lieu. Le curé avait l’adresse de ne dire ces messes qu’au printemps. La belle saison étant venue, ces espèces de revenants trouvaient alors à manger dans la campagne. La maison Reymond était alors dégarnie de noix, de pain et d’autres denrées. Lorsque les fraîcheurs d’automne revenaient, on garnissait cette maison de pommes de terre, de beaucoup d’autres fruits tels que poires, pommes, noix, du pain, des légumes d’hiver, de la viande salée. Et avec tout cela, les revenants rentraient aussi rendre visite à leurs nouvelles provisions. Ils avaient habité la campagne pendant quelques mois, et c’était là, non l’effet des messes, mais bien plutôt celui de la superstition entretenue par le curé.

Cette maison fut donc habitée par M. Polonceau qui, en peu de temps, en chassa tous les revenants. Cela n’empêcha pas que, plus tard, nous entendîmes dire dans le peuple, non seulement par les habitants de cette commune, mais par un assez grand nombre des communes voisines que M. Polonceau avait fait un arrangement avec M. le curé, qu’il lui donnait par an une forte somme pour dire des messes afin que ces revenants lui laissent habiter paisiblement cette maison. Le père Reymond, ajoutaient ces misérables superstitieux, ne donnait pas assez pour des prières, voila pourquoi les revenants reparaissaient toujours. Nous fîmes, M. Polonceau et moi, tout ce que nous pûmes pour détruire cette croyance, mais nous ne pûmes pas réussir. Un autre personnage, qui avait un intérêt contraire, cherchait tous les jours d’accréditer ce que nous cherchions nous-mêmes à détruire.

51mf5et2q8l_sl500_aa240_Livre relié : 400 pages
Collection : Carnets de vie
aux éditions : La Fontaine de Siloé
isbn : 2-84206-200-0

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