Passage du Col du Lautaret à Noël dans les années 30

Passage du col du Lautaret, Auguste Villaret, 1914, Archive ADI.

PASSAGE DU COL DU LAUTARET À FÊTES DE NOËL DANS LES ANNÉES 30  
À l’époque, on savait faire…
Texte extrait du Bulletin No 55  de l’association Coutumes et Traditions de l’Oisans.
L’abonnement à notre bulletin trimestriel : 12 euros par an.

Récit de Mme Madeleine GONNET

PASSAGE DU COL DU LAUTARET EN HIVER

Longtemps, à Villar d’Arène, la silhouette de Madeleine Gonnet, née Berthet, discrète et affable, a été familière à tous. Elle nous a quittés l’été dernier (NDR : 2006), octogénaire. Nous savions qu’elle avait été institutrice dès 1939, prématurément veuve, puis retraitée. Elle a souvent raconté à sa fille Lucette, puis mis par écrit, ses souvenirs de jeunesse.

Le service postal du Canton de La Grave ainsi que le transport des personnes est assuré par Henri Albert dit « père Henri » conduisant des chevaux attelés à un traîneau qui glissait sur la neige durant tout l’hiver.

Aux vacances de Noël et de Pâques, les élèves pensionnaires à l’École primaire supérieure de Briançon, originaires du Canton de La Grave, passaient le Col du Lautaret pour se rendre dans leurs familles.
Quelle expédition ! risquée, précédée de longs jours de soucis et d’inquiétudes de la part des élèves concernés et même de la Directrice qui accordait la permission de partir avant les autres, une demi-journée, pour franchir le col.

« Père Henri », de Villar d’Arène, assurait ce voyage en traîneau entre Monêtier-les-Bains et La Grave, environ 25 km à parcourir, un jour dans un sens et le lendemain dans l’autre sens ; inquiet, lui aussi, de transporter 7 jeunes élèves qui venaient coucher à l’hôtel au Monêtier pour repartir le lendemain matin vers 8 heures et arriver à Villar vers 16 heures ou 17 heures le soir puis à La Grave, le terminus.
Grande joie pour ces élèves de rejoindre leurs familles après une séparation d’un trimestre sans visites au pays.

Le lendemain matin, debout en vitesse, un brin de toilette, habillements chauds, pantalons, lainages, bas de laine, gros souliers, écharpes, bonnets, moufles et gros sacs de goûter, bien vite déjeuner : café au lait, tartines et en route pour le col !
Le traîneau, attelé d’un gros cheval noir harnaché, se garnit de deux bancs pour asseoir les clients et le guide, ainsi que les sacs de voyage, le tout bien serré pour se tenir chaud.

Il est huit heures, il fait très froid, le traîneau glisse bien sagement sur la neige égale et durcie.
Une première halte au Pont de l’Alp. Chacun descend se chauffer et boire un petit café ! Là, rencontre des cantonniers, bien bronzés, prêts à accompagner « Père Henri » et son attelage pour couper les congères avec leurs sapes, dégager un peu la route comblée par la tourmente de la nuit passée, tracée par de longues lattes plantées dans la neige gelée et replacer chaque jour ces traces au bon endroit !
En route de nouveau avec un supplément de secours : un grand mulet roux, renfort nécessaire pour affronter la longue montée du col.

Le traîneau dérape souvent, il franchit les bosses et les creux, penche à droite et à gauche. Les animaux s’enfoncent dans la neige jusqu’au ventre, ils se débattent vaillamment et écument de sueur. Les cantonniers à skis retiennent à l’aide de cordes le traîneau qui risque à tout instant de verser dans la pente… Quelle frousse pour ces jeunes clientes. Le « Père Henri », lui, dur comme le roc, ricane en disant : « Appelez un peu « Papa » au lieu de « Maman » !
Nous descendons du traîneau et suivons à pied cet attelage insolite, seul, comme perdu dans ces montagnes sournoises, inhospitalières, luttant contre les éléments déchaînés de la nature.
Deuxième halte courte dans la maison d’un cantonnier où vit sa famille. Les bêtes reprennent un peu d’ardeur, elles soufflent, pètent, s’ébrouent en secouant la neige qui les a envahies. Puis le traîneau se remet en route, les jeunes clientes regagnent leur bancs avec appréhension, mais reprenant courage peu à peu, car ils aperçoivent le col, bien loin encore ! Les congères s’accumulent de plus en plus, les bêtes s’enfoncent souvent, leurs flancs se couvrent de sueur et d’écume blanche. Le même scénario recommence.
Le traîneau avance toujours, il dérape souvent, perd la trace de la route parfois. Enfin, cahin-caha, de congère en congère, de creux en creux, de virage en virage, on aperçoit, bien haut encore, le col du Lautaret. Peu à peu, la route devient plus sûre avec une neige plus dure et glacée.
Arrivés au Lautaret vers 13 heures, nous descendons du traîneau et nous trouvons une maison enfouie dans la neige ; mais il y a quelqu’un… Les cantonniers dégagent la porte et les fenêtres avec la pelle et nous entrons bien au chaud. Nous mangeons dans la cuisine notre casse-croûte sorti des sacs, nous buvons un café chaud puis nous repartons en direction de La Grave. La route paraît mieux tracée, les grandes lattes sont bien plantées et les chevaux suivent bien la trace.
Encore quelques secousses, des risques de verser dans les pentes, les ravins, mais ils sont moins accidentés.

Nous reconnaissons toutes nos montagnes, nous apercevons tous les hameaux haut perchés, qu’il fait bon respirer l’air du pays ! ! Voici le Pal, tout en bas le Pied du Col, puis nous apercevons les Cours et enfin Villar d’Arène avec son fin clocher pyramidal, ses maisons très resserrées, ses rues pentues. Quelles joie et émotion d’arriver à la maison et de savourer les vacances dans la famille !

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, une erreur ou si vous souhaitez ajouter une précision,
veuillez nous en informer en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur les touches [Ctrl] + [Entrée] .

Ce contenu a été publié dans ARCHIVES, CHRONIQUE, HISTOIRE, ROUTE, TÉMOIGNAGE, TEXTE, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.