1939 UNE ROUTE ENTRE VENOSC ET SON ALPE
Source : Le Petit Dauphinois
Date d’édition : 23 août 1939
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Potentiel des sports d’hiver et d’été.
Les lacets de la route de Bourg-d’Arud grimpant en direction de l’Alpe de Venosc
Venosc, 18 août —
La nouvelle route de l’Alpe du Mont-de-Lans à l’Alpe de Venosc vient d’être terminée. Elle est large, facile, roulante à souhait. Depuis le lac du Chambon, par une série de magnifiques lacets jusqu’à l’Alpe du Mont-de-Lans, on pourra atteindre sans aucune difficulté, à travers le large vallon cher aux skieurs, les délicieux chalets de l’Alpe de Venosc et leur balcon incomparable sur la Muzelle et la profonde vallée du Vénéon.
Il y a là un potentiel très élevé pour le sport d’hiver. Monte-pentes, hôtels, chalets aménagés, rien ne manque et surtout rien ne manquera. On aménage l’Alpe avec ardeur, et on songe un peu, en voyant le déploiement de cette activité, à l’appareillage d’un grand navire : tout sera paré pour cet hiver, n’en doutons pas !
Mais, nous sommes au cœur de l’été. Pensons donc simplement en touristes bien embarrassés lorsqu’arrivés au bord d’un collet quelque peu vertigineux, nous voyons le Vénéon si proche et la route zigzagante de Venosc s’arrêter hélas un peu au-dessus de l’église après quelques virages pleins de bonne volonté.
Il manque un maillon à cette chaîne et évidemment, il est de taille ! Mais quel dommage et comme il faut souhaiter que puissent aboutir les initiatives hardies qui ont amorcé déjà très sérieusement le tracé d’une route magnifique reliant l’Alpe de Venosc à Venosc-Ville
Ainsi obtiendrait-on l’un des plus beaux circuits routiers de l’Oisans, du Chambon à la vallée du Vénéon, et mettrait-on en valeur ce délicieux pays de Venosc, encore mal connu, dernier asile de calme et de fraîcheur avant d’aborder la rude bataille que l’incomparable route de La Bérard livre sans répit à la montagne jusqu’au cœur même du Pelvoux.
Venosc, patrie des horticulteurs
Connaissez-vous bien Venosc et ses maisons artistiquement étagées au-dessus de Bourg-d’Arud ? Saviez-vous que ces habitants furent très en vedette et figurent encore parmi les horticulteurs de grande classe ? On en a connu dans toutes les pointes d’Europe et même du monde, puisqu’aux États-Unis, au Mexique et au lointain Japon, il y eut des originaires du Mont-de-Lans et de Venosc pour s’adonner à la culture des fleurs rares. L’un des leurs, Étienne Bert, ne fut-il pas à Paris, il y a une cinquantaine d’années, le plus grand spécialiste de l’orchidée ?
Il est curieux de noter que cette orientation vers le commerce des fleurs vint tout naturellement à ces montagnards, en récoltant durant la saison d’été les plants de lis martagon, de rhododendrons, de chardons bleus, et autres fleurs de leurs Alpes qu’ils surent habilement faire connaître aux amateurs et aux horticulteurs de la plaine. De relation en relation, ils s’intéressèrent eux-mêmes à l’horticulture et c’est ainsi que quelques-uns devinrent rapidement des maîtres en l’art floral.
À part quelques cas isolés, cet intéressant mouvement ne semble pas avoir donné suite. Les habitants de Venosc se tournent aujourd’hui avec confiance vers le tourisme, et ils ont raison.
Un paysage presque « trop parfait »
Leur pays a été connu et loué par tous les pionniers de la montagne. Il y a de nombreux souvenirs de Coolidge et de son fidèle guide Almer. Et le grand géographe Élisée Reclus n’a-t-il point lui-même décrit Venosc comme offrant l’un des plus beaux sites des Alpes ?
Si le bon génie de la montagne vous guide d’aventure et vous conseille de gagner le village par quelques-unes de ses ruelles pittoresques, écoutez-le, vous ne vous en repentirez pas. Pour peu que vous arriviez à la hauteur de l’église, vous jouirez du spectacle le plus typiquement complet que l’Alpe puisse offrir. Un touriste ne nous a-t-il pas déclaré qu’il trouvait même ce paysage trop parfait ? Mais qui se plaindrait que la mariée est trop belle ?
En fait, rien ne manque à ce tableau digne de figurer à la meilleure page de l’album d’un aquarelliste amoureux de l’Alpe romantique : ni les prairies qui grimpent à l’assaut du Soreiller, ni le vallon profond et boisé parsemé de chalets et de ponts rustiques remontant de plus en plus vers la Muzelle, ni l’indispensable cascade barrant d’un large trait laiteux le schiste noir et luisant, ni les forêts de sapins qui soulignent de leur sombre traînée les gigantesques escarpements de la Brèche du Vallon ; et tandis que tout au fond, le Vénéon trace ses méandres en vert émeraude et argent, sur le tout plane cet immatériel glacier de la Muzelle, accroché on ne sait par quel miracle et dont les séracs menacent à tout moment de s’engloutir avec un bruit d’enfer dans le petit lac qui leur sert de miroir.
Voilà ce que vous pourrez admirer tout à votre aise et des kilomètres durant, lorsque vous descendrez de l’Alpe de Venosc à Bourg-d’Arud.
À quand l’inauguration de la route dont on remarque déjà le hardi tracé, dont l’utilité apparaît incontestable aux habitants de Venosc, et qui ne nous ménagera tout au long de ses harmonieux détours que des émotions heureuses ?
E. DESCHAMPS