Fête de la Vierge et de la Montagne

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Notre-Dame de la Grave, Hautes-Alpes. Vierge bois doré du XVIIe siècle. Source : Archives départementales des Hautes-Alpes

FÊTE DE LA VIERGE ET FÊTE DE LA MONTAGNE 

Source : Archives de Mme Louise Pudda
Extrait du Bulletin Paroissial La Grave.
Publication : La Meije, Bulletin Paroissial La Grave, édition septembre 1953

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Le 15 août 1953
Ce n’est pas simple coïncidence, mais véritable symbole traditionnel que La Grave fête en même temps, le même jour, Marie qui est pureté et la Montagne qui est blancheur immaculée, Marie dont le pied posé sur la terre des hommes écrase le serpent, ennemi de l’homme, et ceux qui affrontant la Montagne se délivrent du mal terrestre en gagnant ces hauteurs où ne règnent plus que l’effort, la solidarité, la générosité devant les dangers mesurés en commun.
Marie c’est la Reine intouchable des Hauts-Lieux où sourdent les eaux qui ruissellent sur le monde.
Marie c’est la maîtresse des terres altières et l’emperesse* des lacs solitaires et bleus.
Marie c’est celle qui apparaît sur les hauteurs aux simples, aux jeunes, à tous ceux dont la vie est un acte de foi et aussi de souffrance.
Marie, elle est apparue au Laus, dame non légendaire du Lac ; elle est venue à la Salette dans ce cirque de Montagne où Léon Bloy lui-même éprouva quelque douceur.
Elle a sanctifié Lourdes dont le nom signifie : eaux.

Marie, mer, maîtresse des eaux originelles sur lesquelles souffla l’Esprit. Et avant même la manifestation, elle portait en ses flancs le Régénérateur de la terre. Car il est le non manifesté ayant l’origine des mondes et il est le manifesté en la personne de son fils.
Et avant que les montagnes que nous fêtons fussent nées, Dieu était, et son Fils était lui, et lui était son Fils et Marie fut l’écrin qu’il lui choisit pour sa manifestation.
Le Saint-Esprit souffla sur les eaux et Marie mit au jour le Sauveur de ce monde qu’elle purifie de sa divine Virginité.

L’Écrin de Montagnes est autour de nous, devant nous. La Meije en ce 15 août 1953 s’élève plus blanche, plus glacée, mais non glaciale, que jamais. Et devant cet écrin splendide sur lequel s’élance l’invisible statue de Marie, un autel est dressé que surplombe la croix de bois simple érigée par des mains pieuses, armoriées de piolets, de cordes, de crampons, ces instruments terrestres de· nos ascensions profanes. Deux lanternes vieillottes, semblables, mais plus touchantes, à celles qui éclairent médiocrement les marches s’enfonçant dans les eaux lagunaires des palais vénitiens, l’encadrent.

Une foule nombreuse, très digne, très fervente est venue là, prier celui que le geste du prêtre va, tout à l’heure, faire descendre dans la blanche hostie, prier Marie, Notre-Dame des Neiges, plus blanche que le pain du sacrifice, d’intercéder auprès de son fils pour que les courses de montagne soient bénies, que les guides et les fervents de la montagne soient protégés, pour que ceux qui dorment épars, perdus dans les blancheurs solitaires des monts glacés, reposent dans la paix éternelle de son paradis.

La messe est dite par Monsieur le Curé-Archiprêtre de La Grave. Le chœur de toute la foule unie dans la même ferveur est dirigé avec enthousiasme par M. l’Abbé Seinturier, de Marseille, M. l’abbé Cordonnier, de Paris, animant les chants des jeunes filles de sa colonie. Le R. P. Courtade, de la Compagnie de Jésus, prononça un remarquable sermon. Il fit sentir la petitesse de nos êtres devant la toute-puissance de l’Être, il sut animer La Meije de la présence de Dieu et de Marie. Il sanctifia la montagne par la parole de l’Église ; il nous fit désirer connaître le souffle pur des hautes altitudes en accordant l’effort de nos forces physiques à l’effort de nos âmes vers la pureté. Il l’appela que Sa Sainteté Pie XI fut un grand montagnard et que celui qui n’était que l’abbé Ratti escaladant le Mont-Rose et le Cervin, avant que de porter la tiare, composa une prière à l’usage de tous les alpinistes.

Cette prière, cette bénédiction fut donnée après la messe par l’abbé Rousset, qui a l’insigne faveur de réunir en lui le-s deux beaux titres de prêtre et de guide.

Auparavant l’abbé Seinturier avait lu la liste des « pèris » en montagne des dernières années. Moment terriblement émouvant qui nous avait singulièrement serré le cœur. Et nous ne pouvions nous empêcher de songer au milieu de cette messe célébrée en l’honneur de Marie Reine des eaux et des monts :… « aux navires perdus dans les nuits noires ». Mais le poète a écrit injustement que : « l’oubli verse sur eux une ombre plus noire ».
Non l’oubli des morts, ceux qui dorment dans le sol, ceux qui ont disparu dans les fureurs marines ou dans les translucides tombes glaciales des crevasses, ne se fera pas, ne peut se faire, tant qu’à l’ombre des calvaires de granit, que flagellent les embruns, ou que sur cette placette de La Grave, auprès d’un simple monument aux morts d’une héroïque guerre, un prêtre entouré, assisté par une pieuse foule, renouvelle avec tant de ferveur le Sacrifice Immortel.

Les piolets avaient été bénis, le temps s’était assombri, puis rétabli, plus chaud, plus orageux aussi que le matin ! Les guides de La Grave donnèrent sur le rocher que domine une croix blanche, face aux touristes rassemblés dans l ’Arboretum, non le spectacle, mais la démonstration technique de leur sûreté, de leur valeur, de leur courage dans des exercices de rappel de corde et surtout de sauvetage de blessés. La valeur affirmée ainsi des hommes trempés par la montagne montraient bien à tous quelle belle école elle peut devenir.
Le soir, et seulement pendant quelques instants — la jeunesse éprise de plaisir s’en aperçut-elle ? — une pluie vive tomba sur le sol. Étaient-ce les larmes du ciel sur notre monde inquiet et déchiré ? ou bien étaient-ce plutôt les eaux que Marie, mère du Christ, Reine des Eaux, jette sur le sol fertile de par notre Foi pour les fécondations futures ?

JEAN PALOU, Chargé de cours d’histoire contemporaine
à l’Institut Catholique de Paris.

* Veuve de l’empereur

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