LES HOMMES SAUVAGES DES ALPES ET DE L’OISANS
Remerciements à François Artru pour le document sur l’observation du couple sauvage de Belledonne.
Source :
Êtres fantastiques du Dauphiné
De Charles Joisten, Nicolas Abry, Alice Joisten
Éditeur : Musée Dauphinois – ISBN : 978-2-905375-78-0
Les hommes sauvages toujours vivants
De Jean-Marc BÉLOT
Univers Mystery Series
Éd. du Galtz – ISBN 2-914019-15-7
Sur le même sujet :
Les nains de Mizoën, mythe ou réalité ?
À la recherche de la grotte des nains de Mizoën
Les Alpes françaises abondent en récits mystérieux et légendaires sur des créatures énigmatiques, des êtres sauvages qui ont fasciné les habitants pendant des siècles. Ces récits, souvent ancrés entre le XVIIIe et le XIXe siècle, se propagent à travers diverses régions alpines, dont l’Oisans, offrant un panorama captivant d’observations et de légendes. Pendant plus de 25 ans, Charles Joisten, ethnologue et folkloriste, a enquêté sur les traditions orales et populaires couvrant le territoire immense de la Savoie et du Dauphiné.
Les rencontres énigmatiques en Isère
L’Isère est l’un des foyers majeurs de ces rencontres mystérieuses. Dans le nord-est, des récits à Allevard évoquent les « Sarrasins », habitants de grottes redoutés. À Saint-Maximin et Pinsot, des êtres semblables, les « Fayes » ou « Sarradins », étaient décrits comme vivant dans les cavernes, menant des existences cachées et parfois effectuant des échanges inhabituels avec les habitants.
En Oisans, Mizoën, Allemont ou encore Besse relatent les mêmes histoires avec des êtres malveillants ou sauvages tapis dans les grottes ou les forêts voisines des villages.
Une anecdote étonnante est relatée dans le secteur des montagnes de Belledonne, à La Combe de Lancey en 1646 où un bûcheron vit, dans le Bois de la Combe, une femme sauvage complètement velue, recouverte « de sortes de flocons », au poil bicolore, noirâtre avec l’extrémité blanche, sauf sous les yeux, les pieds forts petits, sans qu’elle s’effraie. Revenu le lendemain avec un collègue, ils tentèrent de s’en saisir, remarquant son haleine puante, mais elle poussa un cri sans articulation et son mâle vint la sauver. Ils grimpèrent vite sur les rochers jusqu’à disparaître.
Des traces dans l’Oisans
Au rebord Est de Belledonne et dans l’Oisans, d’autres récits intrigants émaillent les villages. Livet-et-Gavet vers 1638-39, les deux sauvages de la Combe-de-Lancey (le même couple observé 10 ans plus tard) avaient déjà été vus en train de boire dans un torrent entre Livet et Gavet.
À Allemond, les « Bouames » étaient décrits comme de petits êtres malveillants, dérobant des vivres et même échangeant des enfants, semant un trouble parmi les habitants. À Mizoën, un récit identique mêlant vol de nourriture et rapt de nourrisson implique une tribu de nains vivant dans les grottes situées sur les hauteurs du village.
À Vaujany, de petits hommes velus, aux longs cheveux rouges, habitaient au « Trou des fayôtes ». Ils volaient du blé, du linge et « échangeaient » parfois leurs enfants contre ceux des hommes.
À Auris, la « Caborne des Afas » était vers la Rivoirette. Des substitutions et restitutions d’enfants étaient contées aux veillées.
Au Freney-d’Oisans, des « Afas » voleurs étaient des nains très poilus, disgracieux qui vivaient à la « Pierre du Bois », près de La Combe, hameau abandonné aujourd’hui situé au-dessus de l’Église et sous Puy-le-Bas avec lequel ils ont échangé, puis rendu un enfant. Selon le récit retranscrit, les habitants du hameau du Puy, très en colère, décident de brûler la forêt de la Combe pour faire partir ces êtres mal attentionnés et malveillants.
À Mizoën, la légende des nains, très populaire, connait quelques variantes, l’une d’elles met en scène des petits hommes bruns soit potiers, fondeurs, forgerons ou encore fromagers qui envahirent la haute vallée. Ils eurent des descendants qui, eux, ne voulurent pas se mêler aux cultivateurs et éleveurs du village. Désignés comme « Les nains malfaisants », ils vivaient reclus dans une grotte. À la suite d’un enlèvement d’enfant, pourtant rendu, les villageois mirent le feu à la forêt qui devient alors le « Désert de Mizoën ». Selon les versions les nains fuirent ou périrent.
Les diverses apparitions et échanges mystérieux
Oz, Vaujany, Auris, et Le Freney-d’Oisans ont été le théâtre de rencontres avec ces êtres sauvages. Les descriptions et quelques témoignages varient : soit des êtres de petite taille, soit très grands, souvent poilus et laids, mal odorant, frustres, brutaux, munis d’un gourdin rudimentaire, grognant, on leur prête un caractère vicieux, curieux, agressif ou peureux, parfois farceur lorsqu’ils tressent les queues et crinières des chevaux et qu’ils attachent les vaches par leur queue, chapardeur quand ils se délectent d’une tourte posée sur un rebord de fenêtre ou encore dérobant une chemise ou un linge de nuit, ils sont sans vergogne quand, dans le village voisin, ils procèdent à l’échange de leur progéniture geignarde contre un petit enfant humain souriant.
L’empreinte dans l’art et la culture locale
Ces récits ne se limitent pas aux rencontres directes et aux récits de veillée. À Grenoble, une fresque du XVIe siècle représente un homme sauvage tenant un arc à la main, témoignant de la présence de ces légendes dans l’art. Ainsi, le Musée Dauphinois expose deux représentations anciennes de l’Homme sauvage sous la forme de deux bas-reliefs sculptés, l’un en bois et l’autre en pierre peinte munie d’un gourdin. Ces deux œuvres sont troublantes rappelant par les traits de leur visage, leur regard, une ressemblance humaine dérangeante qui mettent en garde l’observateur civilisé la nature.
Des œuvres littéraires telles que le roman de Balzac, « Un médecin de campagne » s’inspirant du Docteur Rome de la Grave, mentionnent ces êtres sauvages, contribuant ainsi, par la littérature la plus classique, à perpétuer ces récits.
Des événements mystérieux dans la région
D’autres sites, tels que Voiron, La Tour-du-Pin, Rochetoirin, et Velannes, ont également été le théâtre, selon les récits transmis, à d’énigmatiques rencontres avec des êtres sauvages aux caractéristiques similaires intrigantes, souvent associées à des événements mettant en scène des enlèvements ou des échanges d’enfants.
Entre mystère et folklore
Les Alpes françaises abritent un riche folklore constitué d’observations, de rencontres étranges, souvent orales, mais aussi couchées sur le papier sous forme de procès-verbal mêlant ainsi avec ambiguïté rencontre d’êtres sauvages réelle et être de légende.
Ces mythes, issus de différentes régions alpines comme l’Oisans, témoignent d’un patrimoine culturel fascinant, où la frontière entre imaginaire et réalité demeure souvent floue, parfois à dessein, laissant ainsi planer une aura de mystère et d’émerveillement autour de ces récits séculaires.
Charles Joisten a passé une grande partie de sa vie à chasser et collecter ces histoires qu’il a compilées dans de nombreux ouvrages qui font référence pour les passionnés de folklore et légendes locales.