
Chazelet, avec croix de bois et vue sur la Meije, Marcel Fleureau, Archives Départementales des Hautes-Alpes
NOTES SUR L’HÔPITAL DE LA GRAVE 1697-1723 — 4/4
Sources : Archives Andrée Glaudas (1re partie), complétées sur Gallica : Bulletin de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’anthropologie, édition le 1913.
Notes sommaires sur l’hôpital de La Grave 1697-1723
1/4 — 2/4 – 3/4— 4/4
Voyons les ressources ordinaires de l’hôpital de La Grave.
En 1698, Rome* et Pierre Pic, consuls, versent chacun 150 livres. Ce sont là des sommes procurées par les impôts communaux. En 1711, on trouve encore 300 livres.
L’hôpital a d’autres ressources, recettes régulières ou irrégulières : ce sont des fondations, des constitutions de rentes perpétuelles ou à temps, la location de prés au plateau de Paris (ces prés furent vendus en 1714). Un instant, on crut qu’il profiterait de l’ordonnance royale de 1’686 qui accordait aux hôpitaux les biens des consistoires. Comme les hôpitaux étaient nombreux, ils ne purent s’entendre sur le mode de partage. Le Conseil d’État intervint attribuant la moitié des biens à l’hôpital de Grenoble et les deux autres quarts aux hôpitaux de Gap et d’Embrun.
Les députés de ces trois établissements se réunirent à Grenoble pour déterminer comment se ferait le partage. Il fut décidé que l’hôpital de Grenoble aurait tous les biens des consistoires des bailliages de Graisivaudan, de Viennois et Valentinois. Tous les biens des consistoires de l’Oisans devaient donc être aliénés à son profit.
Qui fut chargé de faire la liquidation des biens des consistoires de Besse, de Mizoën, etc. ? Il semble, d’après les procès-verbaux suivants, qu’elle a été confiée aux administrateurs de l’hôpital de La Grave. Voici ce qu’écrit le syndic :
« Le 26e du mois d’Aoust 1697 je suis party de ce lieu avec le Cousin Gay notaire pour aller demander ce qui est deu par les habitants de Mizoën, Mont de Lent, Frenet, Clavans et Besse.
Il a signifié au consul de Mizoën la donation du Roy et fait commandant au consul de remettre l’état du compte que Mr Juge curé a rendu à la communauté et fait défense de payer les revenus à d’autres. Le Consul a demandé copie pour avertir la communauté.
Mr Gras que nous avons trouvé malade nous a priés d’attendre qu’il fut un peu remis pour terminer les affaires des particuliers où il s’est beaucoup intéressé.
Au Mont de Lent, le Sr Pellorce qui est seul débiteur n’y était pas ; au Freney, n’ayant pas pu parler aux débiteurs, nous avons prié le sr curé de leur en parler et luy avons laissé un état.
En Clavans, nous avons vendu la place du Temple, 20 livres à Mr Eymar curé et il nous a promis de s’informer de la dette de Paul Ogier et de faire le contrat.
En Besset (Besse), fait acte au sieur Pierre Combe de nous donner un état des débiteurs qui sont sur les protocoles de son père. Il nous a dit qu’il les avait déjà parcourus avec le sr Fiat et qu’il n’y a rien et que la dette de 60 livres était payée, ce qu’il faudra encore examiner.
Dépensé dans le voyage 3 livres outre les frais de la signification pour le contrôle de deux actes 12 sols. »
On ne peut rien tirer de bien précis de cette longue note, la plus longue, sinon qu’elle ne contient aucune faute d’orthographe, ce qui est rare pour l’époque.
Voici un autre procès-verbal du 27 janvier 1698 :
« Le 27 janvier, je suis part y avec le sieur Gay notaire pour aller retirer le Litteré du compte de Mizoën et examiner les protocols qui sont chez M. Gras et retirer l’extrait de ceux de M. Combe. Estant arrivés à Mizoën le sr Gras nous a remontré qu’à cause de la maladie de leur secrétaire, ils n’avaient pu tenir leur assemblée et qu’ils nous priaient bien d’attendre quelques jours et qu’ils nous l’enverraient. Nous avons retiré l’extrait de Combe pour lequel j’ai payé suivant la quittance 7 livres. Nous croyons (?) travailler à notre retour aux protocols de Gercoud, mais le mauvais temps nous a arrêté (?) deux jours en Besse et nous avons eu peine d’être de retour le 30 dudit mois ayant esté obligés de prendre des personnes pour nous conduire de Besse à Mizoën et du Dauphin icy et avons dépensé 3 livres 12 sols. »
Dans le Journal du syndic de l’hôpital de La Grave, on trouve des quittances qui donnent la certitude que les temples et cimetières furent vendus par ses soins.
I. Le 10 avril 1698, jay vendu à Mathieu Clot la place du temple et le cimetière du Chazalet pour 12 livres.
II. Le 28 juillet 1699, jay receu de Mr Eymar pour les places du temple de Clavans que je lui ay vendu contract receu par Mre Paul Juge nore, 20 livres.
Le directeur de l’hôpital de Grenoble, M. de Canel, reçut les sommes suivantes : en 1697, 300 livres ; en 1713, 140 livres ; en 1714, 93 livres 6 sols 8 deniers, dépouilles des consistoires de l’Oisans.
M. de Canel à Grenoble est un personnage très honorablement connu dans l’histoire de l’hôpital de notre ville. Une salle y est appelée : Claude Canel. Une rue se nomme : rue du Moulin de Canel. Il m’est très agréable de vous donner une courte biographie de cet homme de bien, fils aîné du-seigneur de Saint-Romans et dont les restes mortels reposent dans une chapelle à l’église de cette commune.
Son père, Jacques Canel, originaire de Voreppe, maître des Comptes au Parlement du Dauphiné, avait anobli la famille.
Claude Canel fit ses études de prêtre au séminaire de Saint-Sulpice. Il en sortit docteur en droit civil et canon. Revenu en Dauphiné, il devint le vicaire général de Mgr le cardinal Le Camus, successivement avocat au Parlement, maître ordinaire à la Chambre des Comptes, directeur de l’hôpital de Grenoble, fonctions qu’il exerça pendant cinquante-deux ans.
C’est Claude Canel qui, pour accroître les revenus de l’hôpital, acheta le monopole des pompes funèbres qui fut conservé jusqu’en 1905. C’est encore lui qui acquit en 1688, au nom de l’hôpital, une pièce de terre, hors les murs de la ville, porte de la Graille, d’une superficie de 16 sétérées pour 2.000 livres.
Sur ces terrains, il fit élever des moulins que nous avons tous vus et qui ont subsisté jusqu’à ces dernières années.
Mgr Le Camus avait une grande estime pour l’abbé Canel. Dans une lettre au cardinal de Noailles, archevêque de Paris (26 juin 1702), il dit :
« J’ai cru qu’il était de mon devoir, pour le bien de l’Église, de dire à Votre Erninence qu’il y a un prêtre qui a toutes les qualités nécessaires pour faire un très bon évêque. Il a été élevé à Saint-Sulpice jusqu’à l’âge de 27 ans ; il a été quinze ans mon official et depuis qu’il est conseiller au Parlement et théologal de la collégiale, il a été employé dans toutes les bonnes œuvres qui se sont présentées. C’est lui qui a soutenu, depuis vingt-cinq ans, notre hôpital général, pour le temporel et pour le spirituel, et le roi en cette considération l’a fait directeur perpétuel de cet hôpital. Il ne cesse de prêcher, de confesser, de diriger une infinité de bonnes âmes et plusieurs communautés ; c’est un prêtre d’une prudence, d’une piété et d’un détachement admirable et qui a l’approbation générale de toute la province. Si je ne reconnaissais en lui, depuis trente-deux ans, toutes les qualités que je viens de marquer, je n’aurais garde d’en écrire si précisément à Votre Éminence. Comme elle aime l’Église et qu’elle peut faire connaître à Sa Majesté les bons sujets qui ne travaillent pas à se faire connaître, j’ai cru qu’elle ne désagréerait pas que je lui fisse l’ouverture en faveur d’un prêtre si méritant. »
L’abbé Canel ne devint pas évêque. Il mourut au château de Saint-Romans dont il avait acquis la seigneurie, le 14 novembre 1725 (Le chanoine Claude Canel acquit la seigneurie et la terre de Saint-Romans de l’hôpital de Vienne, pour le prix de 30.000 livres, le 4 novembre 1713.
* Le docteur Rome, de Voreppe, était originaire de La Grave, où des membres de sa famille exercèrent les fonctions de consuls, de procureurs de l’hôpital et de notaires. Il y naquit le 13 juin 1781. Après de brillantes études au collège de Briançon, avec des succès remarqués par le préfet Ladoucette, il vint étudier la médecine à Grenoble, où il eut pour professeurs les célèbres docteurs Billerey, Billon et Fournier. Reçu docteur à Paris (1808) l’année suivante, il dirigeait i’hôpital civil et militaire de Briançon.
Le baron de Ladoucette, nommé préfet de la Roër, l’emmena à Cologne, où il se distingua par sa science, son zèle et son dévouement. (La Roër ou Ruhr, affluent de la rive droite du Rhin, donna son nom, sous l’Empire, à un département français.) A Cologne, il dirigea jusqu’en 1814 le Dépôt de mendicité et se lia d’amitié avec le célèbre Alexandre de Humbold. Il n’eût dépendu que de lui de se faire une brillante situation en Allemagne, après la chute de l’Empereur, mais, en bon Français, il ne voulut pas servir l’étranger.
En 1810, le docteur Rome est appelé aux fonctions de médecin de l’Asile de Saint-Robert. En même temps, il est professeur d’accouchement pour les élèves sages-femmes de l’Isère et directeur du service de la maternité.
En 1830, ne voulant pas prêter serment au nouveau gouvernement, il abandonna ses multiples fonctions à l’Asile de Saint-Robert et se retira à Voreppe, malgré les efforts du préfet Gasparin.
Désormais, il se vouera sans relâche à l’exercice de sa profession. Nuit et jour, il était prêt à partir pour soulager les malades. Deux fois par semaine, il se rendait il Grenoble où il obtint des cures merveilleuses.
Le docteur Amable Rome n’était pas seulement un médecin distingué, c’était la bonté même. Jamais il ne tint un compte de ses visites, de ses consultations ; jamais il ne demanda d’honoraires. Aux pauvres, il donnait les remèdes, ses mouchoirs bandaient leurs plaies. « Une fois nous l’avons rencontré, dit son ami Durand l’aîné, prononçant l’adieu éternel sur le bord de sa tombe, une fois nous l’avons rencontré gagnant sa demeure par des chemins détournés ; il avait donné sa chemise pour envelopper un nouveau-né. »
Le docteur Rome fut l’ami de Balzac. L’éminent écrivain, qui peignit la société dans la première moitié du XIXe siècle, prit le docteur comme modèle dans Le Médecin de village.
Les Chartreux et les Dominicains de Chalais avaient en lui la plus entière confiance ; des autographes du P. Lacordaire et du général des Chartreux, conservés dans la famille, le prouvent éloquemment.
Le docteur Amable Rome mourut sur la brèche, à Voreppe, le 19 mai 1850.
Son petit-fils, M. Alfred Rome, architecte à Grenoble, possède un dessin le représentant sur son lit de mort, dessin dû à Mlle d’Agoult.
Son fils, le docteur Alfred Rome, lui succéda et jusqu’à sa mort il exerça la médecine à Voreppe.
(Ces renseignements ont été pris dans une brochure Biographies du Briançonnais. par Aristide Albert. Imp. veuve Rigaudin, rue Servan, Grenoble, 1877.)