Autour du Lautaret

AUTOUR DU LAUTARET

Source : Retronews,
Journal Le Temps édition du 28 décembre 1927

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– Coins de France –

AUTOUR DU LAUTARET
Peu de sites alpins impressionnent autant que le Lautaret : nœud orographique, ligne de partage des eaux, plaque tournante de la circulation, ces divers caractères s’harmonisent en une situation maîtresse qui joue, dans le tourisme, du lac de Genève à la Méditerranée, un rôle d’aimant souverain.
On vous fait grâce d’un pic ou d’une vallée. Tel coin charmant a échappé à votre vision et vous n’avez pas eu le temps de grimper sur une altitude à l’intéressant panorama. Mais il faut vous interdire d’avoir évité le carrefour du Lautaret qui est un peu — et même beaucoup — comme la place de l’Opéra le long de ce vaste boulevard qui s’appelle la route des Alpes.

L’occasion est excellente d’effectuer une ascension de haute envergure, en vous prélassant dans un autocar depuis le Bourg-d’Oisans. En l’espace de 88 kilomètres, le facile conquérant des cimes s’élance des 719 mètres du coquet chef-lieu de l’Oisans aux 2,058 mètres du col réputé. On franchit ainsi rapidement le seuil séparant deux zones, celle de la montagne accueillante en toutes saisons et celle à qui la rigueur neigeuse restitue la Virginité les trois quarts de l’année. Profitons donc de la trêve et allons saluer les petites fleurs de l’immense pelouse qui fait un tendre vêtement à l’un des grands lieux mondains de l’été alpin.
Au sortir de Bourg-d’Oisans, vous avez à choisir entre la vallée de la Romanche et celle de son affluent, le Vénéon. Dans ce dernier cas, vous opteriez pour l’austérité frissonnante et, par en droits, pour les viriles sensations de risques pittoresques, soit au flanc de pentes menaçantes, soit, si le cœur vous en dit, dans l’investigation hardie du proche Pelvoux.
Vous préférerez, par la gorge du Freney, longer la Romanche écumeuse, bouillonnante et mugissante. Cette, force et cette colère qu’elle traduit de tant de manières, ne trouvez-vous pas bon que la sagesse de l’homme les ait captées, disciplinées et converties en un bienfaisant ministère de puissance animatrice et de lumière rayonnante ?
Voici donc le royaume de la houille blanche. La fusion lente de la neige couvrant les géants d’alentour approvisionne l’industrie dauphinoise de la vaillance motrice qui fait sa fortune, un réservoir, et le barrage du Chambon sera alimenté par le glacier du Mont-de-Lans : une cascade de 200 mètres, à elle seule, symbolise l’énergie et le prestige de la fée maîtresse de ces lieux.
Dotée d’un tel signe de résurrection pour cette contrée qui semblait abandonnée des hommes et des dieux, gardant encloses en ses flancs toutes sortes de richesses, la nature alpestre possède, dans les environs, des mines de plomb et, sur les pentes que nous frôlons, une inépuisable source de parfums avec des lavanderaies. Les HautesAlpes, dont nous venons de franchir les limites se livrent à la culture de la lavande, fort rémunératrice, plante qu’elles ne se contentent pas de cueillir au petit bonheur, mais qu’elles répandent à profusion en champs divisés par des raies à touffes d’un joli bleu grisâtre.
Toujours, saute et bondit la Romanche, d’une gaieté parfois… débordante, insouciante et heureuse de pouvoir compter sur la plantureuse alimentation de tarit de massifs. La Meije, que nous allons découvrir au tournant du chemin ; lui envoie tous ses ruissellements. Déjà, à la Grave, face à l’imposant système de glaciers et de pics, l’altitude est à près de 1 500 mètres. Sans avoir le dessein d’explorer tout ce qui est praticable, nous nous attardons à contempler cette étendue de blancheur et de silence, dont les formes harmonieuses autant que caractéristiques impressionnent l’observateur, même le plus sceptique et le plus insensible. Les facultés de l’âme, à ce spectacle, s’enrichissent des plus rares et fortifiantes émotions.
Développant, ses lignes, le paysage offre à la vue une étrange variété : libérés des gorges, les touristes se meuvent au sein de larges croupes gazonnées, se superposant indéfiniment, cependant que vers la droite, du côté de Villar-d’Arène, au-delà du col d’Arsine, se dressa l’éclat immaculé de la montagne des Agneaux. On domine de plus en plus un nombre croissant d’arêtes et de pics, de vallées et de cols. Des régions nouvelles viennent à notre rencontre : nous sommes au Lautaret.

Le Lautaret semble aspirer à lui le mouvement de trois vallées : celles de la Romanche, de la Guisane vers Briançon et de la Valloire, par où nous continuerons notre chemin. Les indigènes sont ; certainement reconnaissants aux explorateurs de leurs montagnes d’avoir créé un courant de circulation dont ils bénéficient eux-mêmes. Il serait difficile de départager la somme de bienfaits que retirent de l’enthousiasme touristique les Alpes et leurs visiteurs. Sans entreprendre de dresser le bilan afférent à ceux-ci, on avouera que le problème des routes et des transports a singulièrement progressé depuis que des solutions parfois audacieuses ont été fournies, lesquelles jusqu’alors paraissaient aux habitants d’ordre spéculatif. La connaissance des ressources économiques des montagnes découle, pour une large part, de la fréquentation continue dont elles ont été l’objet surtout en ces dernières années.
Comme route, celle qui, du Lautaret, conduit an Galibier, puis redescend sur la Maurienne, ne manque pas de relief, ni de grandeur. C’est d’abord la plus haute de France (2 550 mètres), après celle du Parpaillon. Ensuite, elle se subdivise en lacets hardis permettant au voyageur, quand il est juché sur une voiture rapide, d’agrémenter son excursion d’une sportivité aux sensations fortes. L’absolue confiance dans un chauffeur est un des tout premiers éléments du bien-être dans la traversée des Alpes, sauf, bien entendu, dans le cas, à multiplier, où l’on entend prendre un plus sincère contact avec le pays par une marche faite de curiosité sans cesse en éveil et d’allégresse physique.
Même si l’on dispose d’un moyen de locomotion accéléré, il vaut la peine de franchir à pied le col du Galibier du reste, la route qui sépare le Lautaret du Galibier n’a que 8 kilomètres. Au fur et à mesure qu’elle est gravie, tout le système du Pelvoux, des Écrins à la Meije, semble monter vers le regard transporté. Là-haut, au-dessus du tunnel, le panorama s’accroîtra des monts de Savoie, de cimes intermédiaires que sont le Thabor et les Aiguilles d’Arves.
Des troupeaux de vaches sont essaimés sur les croupes inclinées vers la Maurienne ; leurs clochettes ébranlent l’air ; des chalets surgissent où se concentre le lait, la vie reprend dans quelques sillons de verdure les torrents précipitent leurs eaux vers la Valloire. Aux Verneys, les sites plaisants agrémentent un paysage trop monotone jusqu’ici. C’est pas à pas qu’il faudrait maintenant prendre contact avec la séduisante nature savoisienne depuis la coquette cité de Valloire jusqu’aux localités prospères de la vallée de l’Arc, que le miracle de l’énergie électrique transforme en forge de Cyclope. Pour ma part, je ne pense pas qu’il existe de tableau humain plus disparate en ses tons que ce penchant des Alpes frangé au sommet des proches neiges éternelles et rougi à sa base de l’ardeur des fours incandescents où s’élabore l’aluminium !
Il serait tentant de dresser ici l’inventaire de la richesse industrielle qui, en peu d’années, le long de la rivière d’Arc, étonnamment recourbée, a créé un… arc de feu.

Remontons au Lautaret pour nous mêler au mouvement du tourisme. Le P.-L.-M. a désiré compléter l’installation hôtelière par un chalet, gracieusement bâti sur un mamelon à la vue ample. Le site est auguste : au nord-est, les Trois Évêchés, au nord-ouest, le Grand-Galibïer, au sud, le pic de Gombeynot, montent solennellement la garde sur le passage. D’ici, le rayonne ment est facilité par le rôle de carrefour du Lautaret, dont l’avenir nous paraît s’incarner davantage en une fonction de port d’attache qu’en une organisation de séjour prolongé, pour le tourisme du moins. Le massif de la Meije, avec ses pics élancés et sa silencieuse blancheur, retarderait le touriste par une sorte de fascination, qui est un hommage de nos facultés sensibles aux chefs-d’œuvre que la nature s’est plu à isoler du contact des hommes.
Mais qu’est-ce donc que, étalées au sein de la pelouse, ces parcelles cultivées ? En parcourant les prairies et les faibles vallonnements de cette altitude, que de fleurettes mignonnes, à l’éclat net et pur, n’avons-nous pas cueilli ? Serait-ce ici le champ d’essai pour en conserver les variétés ou pour en modifier, les types ?
Voici le jardin alpin du Lautaret.
Les jardins alpins ont une longue histoire que nous n’entreprendrons pas de raconter. Du moins, dirons-nous que cette histoire révèle la longue patience des savants botanistes, leur succès, quand on les a aidés, leur découragement quand ils se sont sentis seuls. Il y a quelques jours, nous passions auprès de l’Hort-de-Dieu, dans le massif de l’Aigoual. Le professeur Plabault y avait longtemps entretenu une création de ce genre. Il nous avouait que le manque de crédits l’empêchait de continuer cette œuvre originale. Plus favorisé par la chance, dont les hommes sont d’excellents instruments, le jardin alpin du Lautaret a sans doute connu toutes sortes de circonstances, mais il s’en est libéré avec bonheur.
Une première tentative fut accomplie en 1899 par M. Lachmann professeur à la faculté des sciences de Grenoble. Il s’agissait de réserver, parmi le gazon couvrant les abords occidentaux du Lautaret, une modeste surface garnie de la flore des altitudes, et qui serait une annexe du laboratoire de botanique de la faculté.
Timidement, l’institution vécut jusqu’au moment où l’invasion — heureux signe des temps, du reste — du tourisme menaça de couper, par une grande route, l’établissement en deux et donc de le mutiler. Le manque de ressources pour l’entretien termina, en réalité, la première phase de cette vie jusque-là chétive.
Le restaurateur du jardin, dans sa Seconde période fut le successeur même de M. Lachmann à Grenoble, le professeur Marcel Mirande, fort de la collaboration de Léon Auscher, un grand animateur du Touring Club de France, M Mirande obtint de cette puissante et intelligente association quelle construirait à ses frais et sur un nouvel emplacement un magnifique jardin alpin avec un chalet destiné à abriter un laboratoire de botanique et un musée alpin d’histoire naturelle et d’ethnographie. Il nous paraît que la fondation de ces institutions annexes constituait la grande caractéristique du jardin nouveau et comme la solide base qui devait en consolider le développement.
Admirons le concours de sollicitude qui entoura l’organisme rajeuni et enrichi ! La Compagnie P.-L.-M. fournit le terrain, contribua pour 15 000 francs à la dépense et accepta de verser une cotisation annuelle de 500 francs. Le ministère de l’Agriculture consentit une subvention de 6 000 francs. D’autres allocations émanèrent de l’Office national du tourisme, de la Société nationale d’horticulture. Des sympathies agissantes se manifestèrent de la part du Club alpin, de la Société d’études des Hautes Alpes : celle-ci fit don d’une plante rarissime, le Geum heterocarpum.
Mais c’est au Touring-Club de France et à l’université de Grenoble que revient le principal mérite d’avoir mis debout une telle entreprise et de veiller activement sur elle.

C’est avec le directeur même du jardin alpin du Lautaret, M. Mirande, que nous avons eu plaisir et intérêt, à nous rendre compte du résultat de sa persévérance, l’œuvre à laquelle il se consacre avec une vocation maintenant récompensée et poussée de l’avant. Huit massifs rocailleux portent les plantes caractéristiques des principaux massifs montagneux du globe : Pyrénées, Alpes orientales, Caucase, Himalaya, régions arctiques, massifs divers, flore du Lautaret. En outre, dans 22 plates-bandes sont classées les plantes caractéristiques des Alpes occidentales.
Le jardin du Lautaret est donc d’abord une sorte de musée vivant des fleurs et plantes poussant à l’altitude. Ne se contentant point, de cet office de statistique et de curiosité, il devient, en outre, un terrain d’expérience ; les études que cette institution favorisera permettront d’introduire dans les Alpes ou autres montagnes de France — de l’étranger aussi — les espèces convenables aux différentes zones d’altitude ; de la plaine pourront venir s’adapter ici certaines espèces ; le concours de rétablissement a déjà été demandé pour des essais culturaux en ces régions de la rhubarbe, de la pomme de terre, de certaines céréales. Les plantes fourragères et les essences forestières se placent au premier rang de l’apostolat utilitaire d’un jardin qui est comme la réduction de la montagne, de celle où, bravant les morsures du froid, s’arc-boutant aux terrains les plus ingrats, la vie, d’une ardente foi, proclame sa force invincible, en la traduisant souvent par une grâce charmante. Le pavillon qui complète l’installation est le siège d’un véritable institut scientifique, il est, construit entièrement en pierres dans le style haut-alpin, signe de goût comme preuve d’attachement aux traditions régionales, à ses traditions : devant lesquelles le tourisme s’incline avec déférence, résolu qu’il est à se consacrer à leur sauvegarde.
On a établi dans la grande salle du rez-de-chaussée un musée ethnographique. Cette salle est la reconstitution, à l’aide de meubles et d’objets’ d’art, d’un intérieur des Hautes-Alpes.
L’endroit — le cœur même du massif — est providentiellement choisi pour offrir au visiteur ; cette sorte de synthèse d’une vie sociale à l’autonomie pieusement conservée.
Le reste du chalet est consacré à un laboratoire de botanique, muni du matériel nécessaire à des collections de plantes, de minéraux, d’animaux même. Et cela fait songer au parc national qu’on essaye de constituer, près d’ici, au pied du Pelvoux. Bibliothèque, cartes, plans, vues, rien ne manque aux travailleurs qui voudront pénétrer à : leur tour dans le monde enveloppé jusqu’ici d’hésitation et de mystère.
Notre génération a heurté à la porte de nos montagnes, cadenassée par la crainte ou l’indifférence. Bien des écorces et des gangues cachent des substances nourricières. Un riche butin est assuré aux « découvreurs » des altitudes. Carrefour de passage, disions-nous du Lautaret. Pour le touriste hâtif, peut-être. Il veut être plus que jamais une halte d’étude, un instrument éprouvé de connaissance.

Le Lautaret est un poste de la science au seuil d’une réalité qui vient au-devant d’elle.

Albert Sauzède.

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