RÉFLEXION SUR LES MAISONS QUI DEVIENNENT DES RUINES
Source : Archives de Mme Louise Pudda
Extrait du Bulletin Paroissial La Grave.
Publication : La Meije, Bulletin Paroissial La Grave, No 95, édition mars 1961
Sujets connexes :
– Le Réveillé
– Cours de ménage à La Grave
NOTA : Ce texte non signé de 1961 s’inscrit dans un contexte particulier de l’histoire de l’Oisans et du canton de la Grave. Une période où les sports d’hiver commencent à se développer dans la région, laissant entrevoir de nouvelles perspectives économiques par le tourisme. Toutefois, le territoire ne fait qu’aborder sa conversion vers cette nouvelle économie. La région fait face aux conséquences d’un exode rural important, amorcé à la fin du XIXe et s’accélérant au début du XXe siècle, qui a vidé de nombreux villages de leurs habitants. Le texte témoigne des préoccupations de l’époque concernant la préservation du patrimoine bâti et le maintien de la vie dans les hameaux. Il propose des solutions pratiques pour la conservation et la transmission des maisons, à un moment où la région se trouve à la croisée des chemins entre son passé rural et les promesses d’un développement touristique.
Lorsque l’on passe dans les villages ou hameaux du canton, on est frappé par le nombre de maisons en ruines qui s’y trouvent. Souvent des touristes de passage ou des voyageurs qui connaissent peu notre pays, nous parlent de ces maisons à demi ou aux trois quarts éventrées, que l’on rencontre et nous demandent : « Mais comment se fait-il donc que dans un si beau pays il y ait tant de ruines ? »
On a vite fait de leur expliquer que le pays peut être beau, mais qu’aussi il est rude et que la vie y est difficile, et s’il y a tant de maisons qui tombent c’est qu’on n’a pas les moyens de les entretenir.
Mais si vous le voulez bien, réfléchissons ensemble plus profondément et prenons des cas bien précis que vous connaissez pour telle ou telle maison. Souvent lorsqu’on tombe sur une maison comme cela et qu’on demande à qui elle appartient, on répond : « Oh ! cette maison elle est aux enfants du Père X… Lui, il est mort ; sa fille habite le Monétier ; il a un fils à Grenoble et une autre fille à Vizille. Après sa mort, ils ne se sont pas bien entendus et le partage en est resté là.
D’autres fois un voisin vous répond : « Ah ! cette chambre, oui c’est dommage ; elle appartient à un tel. Oh ! S’il avait voulu, il l’aurait vendue, il y a quelques années ; il a refusé plusieurs bonnes occasions, mais maintenant il n’y a rien en fait, c’est en trop mauvais état, plus personne ne la veut.
D’autres fois encore on vous dit : « Oh ! cette maison, on leur en a donné 800 000, mais ils en voulaient 2 millions alors maintenant elle est perdue pour tout le monde. »
Ces diverses réponses, et il y en aurait d’autres, font réfléchir…
Bien sûr on est libre et on peut faire de son bien ce qu’on veut. Mais… on est chrétien aussi, et on sait bien qu’on ne peut pas gaspiller à tort et à travers ce que nous avons reçu.
La maison de ses parents, de sa tante, de son oncle, c’est dur de se séparer de souvenirs si chers à son cœur ; mais croyez-vous que ce ne soit pas plus dur encore de la voir tomber chaque jour, alors que peut-être, elle pourrait faire le bonheur de quelqu’un ?…
Nous estimons bien que les maisons, le plus possible, doivent rester la propriété des gens du pays. Mais quand par hasard on s’aperçoit que d’ici quelques années elles auront de grosses réparations qu’on ne pourra pas faire, alors il faut se dire aussi : « Je n’ai pas le droit d’en faire une ruine. »
Lorsqu’on est âgé, que l’on a des enfants, pourquoi ne pas les réunir dans l’amitié, sous notre bonne autorité de grand-père ou de grand-mère, et parler à cœur ouvert de son partage. Il vaut toujours mieux « arranger ses affaires » de son vivant dans l’amitié, que de laisser faire ses enfants seuls après sa mort. Arranger ses affaires, cela ne veut pas dire se déposséder de tout en faveur de ses enfants. Les parents gardent la jouissance entière de leur bien, mais leurs enfants savent que cette grange sera pour eux, tandis que cette chambre sera pour l’autre. Lorsqu’on sait qu’une chose que l’on a désirée sera à vous, on y fait attention et on l’entretient.
Que de maisons auraient été sauvées dans le canton si les parents avaient arrangé leurs affaires de leur vivant.
Pour passer son bien à ses enfants, on ne paye pas de droit. Les frais de notaire sont de l’ordre de 5 % jusqu’à 600 000 fr., et de 3 % jusqu’à 2 millions.
Si vous voulez réparer, il y a la solution des « Gites Ruraux », qui est intéressante ; moyennant certaines conditions vous pouvez obtenir une subvention de 200 000 fr. si vous faite un petit appartement deux pièces pour louer l’été. (Renseignements à la Mairie).
L’Habitat Rural prête aussi de l’argent à 5,5 % pour réparer sa maison.
Une autre solution intéressante si vous n’avez pas d’héritier : vendez votre maison en viager. Une somme assez
importante au début vous permettrait de faire certains aménagements qui vous aideront à mieux vivre et en suite tous les mois vous recevrez quelque chose. Mais si vous voulez profiter de cette occasion n’attendez pas l’avant-veille de votre mort, cela n’en vaudrait plus la peine !
Autre possibilité : si vous avez trois maisons, vendez-en un ou deux pour réparer celle que vous habitez. Et faites savoir officiellement à la Mairie que vous avez une maison à vendre. Encore mieux : mettez un écriteau en bois : « À Vendre » ; l’été, les touristes qui passent vous feront des propositions.
Ne vous découragez pas à l’avance, la maison la plus reculée, la plus petite, peut trouver un acheteur, et il
y en a souvent qui écrivent ou qui viennent nous trouver.
Enfin, bref, j’espère que nous nous sommes compris. Faites ce que vous jugerez bon, mais ne faites pas de vos maisons des ruines.