La Conspiration Didier, épisode 6

FEUILLETON HISTOIRE
LA CONSPIRATION DE GRENOBLE — 1816
Texte de Auguis. Publié dans le journal Le Temps en 1841.

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Épisode 6

La foule ne partageait pas la joie féroce des royalistes et des troupes ; elle était, au contraire, consternée et silencieuse. Quelques jeunes gens, en passant auprès du hideux instrument de mort, osèrent saluer le sang des martyrs. Plusieurs nobles dames, qui, présentes aux séances de la cour prévôtale, avaient battu des mains en entendant prononcer l’arrêt de mort, étaient venues, parées comme en un jour de fête, s’asseoir aux balcons de la place pour jouir du spectacle de cette exécution. L’empressement que le prévôt Planta et le président M. Jacquemet, avaient mis à remplir leurs devoirs ne satisfit pas les principales autorités du département ; cette justice leur parut encore trop lente, et elles en désirèrent une qui fut plus expéditive.

Les enragés de dévouement se débarrassèrent alors de la cour prévôtale : elle ne leur semblait pas assez partiale (elle avait proposé un sursis et prononcé un acquittement), comme aujourd’hui on se débarrasse du jury dans certaines causes politiques, bien qu’il soit positivement écrit dans la Charte-Vérité :

« Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels : il ne pourra, en conséquence, être créé de commissions et tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être. »

Le conseil de guerre s’assembla ; M. de Vautré, colonel de la légion de l’Isère , en était le président.

Dès la première séance, ce conseil condamna à mort vingt-un accusés, parmi lesquels il y avait des sexagénaires, presque perclus, et des enfants de seize ans. La séance ouverte à onze heures du matin était fermée avant la tombée de la nuit. La confrontation de trente accusés avec plus de vingt témoins, les interrogatoires de chacun d’eux, durèrent à peine quelques heures. « Indépendamment de cette précipitation, dit M. Rey, dans la pétition qu’il a publiée sur ce triste épisode de la Restauration, nulle précaution ne fut prise pour prévenir l’erreur ou l’effet de la prévention de la part des témoins. Cependant, la plupart des accusés avaient été arrêtés dans la nuit, circonstance qui nécessitait beaucoup de circonspection dans l’acte de reconnaissance. Aucune mesure n’avait été prise pour assurer la défense. M. Vial, avocat choisi par un seul accusé, fut nommé d’office par le président pour en défendre dix-huit autres. Des avocats qui étaient absents depuis plus de trois mois furent désignés pour ce ministère. Aucune pièce de la procédure ne fut communiquée aux accusés ; aucun avocat ne fut averti de sa désignation ; et si trois d’entre eux. MM Vial Sapey et Jules Mallein, se trouvèrent à l’audience, c’est qu’ils avaient été appelés par cinq des accusés. Les vingt-cinq autres furent jugés sans avoir vu conférer un seul instant avec leurs défenseurs. M. Vial fut seul averti d’avance ; MM. Sapey et Jules Mallein ne le furent qu’au moment où la terrible commission s’assembla. L’un des accusés, Maurice Miard, à peine âgé de quinze ans, n’eut pas même un défenseur d’office. En marge de l’acte interrogatoire que lui avait fait subir le rapporteur, on avait écrit : À mettre hors de cause. Malgré celle première résolution, ce malheureux enfant fut traduit et condamné. »

Une foule considérable assistait à ces débats qui, dans toute la force du terme, devaient être menés tambour battant : ils eurent une bien neuve ressemblance avec les jugements des septembriseurs, prononcés au milieu des massacres de l’Abbaye. Le rapporteur lit en bloc l’exposé ; il mit presque plus de temps à s’excuser sur l’insuffisance de son rapport, vu le peu de détails qu’il avait eus pour le préparer, qu’à lire le rapport même. Sa conclusion, à laquelle il se hâta d’arriver, était la peine de mort pour tous les accusés. Il proposa au conseil d’en recommander quelques-uns à la clémence du roi. Du nombre de ces derniers était le prévenu Piot, ancien grenadier de la garde impériale, qui avait suivi Napoléon à l’île d’Elbe.

Un des membres du conseil, M. Benoît, éleva quelques doutes sur la compétence de ce tribunal exceptionnel : une courte discussion s’engagea, mais elle fut bientôt terminée par une lettre du général Donnadieu, qui notifiait que, Grenoble étant en état de siège, les accusés appartenaient à la juridiction militaire. Le président, M. de Vautré, interrogea successivement les accusés d’une voix dure et menaçante. Cet interrogatoire était si rapide, que M. Benoît fut le seul qui put prendre quelques notes, et encore ne fut-ce qu’en s’aidant de lettres initiales et de signes.

Quand fut appelé le premier accusé, M. de Vautré se borna à lui demander son nom ; puis parurent comme témoins, quatre soldats qui avaient marché contre les insurgés. Le président leur demanda en masse s’ils reconnaissaient l’accusé ; tous répondirent à la fois qu’ils le reconnaissaient… Alors cela suffit, dit-il. Le prévenu, Noël Allouard, voulut faire quelques observations, mais le président lui imposa silence en l’injuriant : Tais-toi, coquin ; veux-tu bien te taire! lui répéta-t-il plusieurs fois ; et c’était un vieillard qu’il traitait de la sorte ! un vieillard qui n’avait eu d’autre tort, si c’en était un, que d’être venu sur le théâtre du combat pour détourner ses fils d’y prendre part ; et nulle charge positive ne s’élevait contre lui, car ceux qui déposaient qu’au moment de son arrestation il avait été trouvé armé d’un fusil, étaient unanimes pour y déclarer qu’ils ne parlaient que d’après un ouï-dire.

— Y a-t-il quelqu’un qui veuille prendre la parole pour ce brigand ? demanda le colonel Vautré aux avocats présents. MM. Sapey et Mallien se levèrent ; mais comme, sans avoir conféré avec le prévenu, ils ne pouvaient connaître ses moyens de défense, ils prièrent la commission de vouloir bien accorder un délai suffisant.

— Allons donc ! interrompit brusquement M. de Vautré, se récriant sur le mot de délai, au moment où M. Sapey achevait de le prononcer ; il faut en finir. MM. les avocats, ajoutant ils n’ont qu’à dire s’ils veulent ou non se charger de la défense.

Il n’y avait pas à convertir un pareil juge ; aussi se borna-t-il à défendre au fond. Son discours sur le fait de l’accusation ne pouvait être long ; il dura à peine quelques minutes que M. de Vautré regretta beaucoup, eu faisant la remarque qu’on n’en finirait jamais s’il fallait en entendre autant pour chaque prévenu.

Le président allait recueillir les voix sur Allouard, mais il se ravisa et proposa à la commission de prononcer par un seul et mène et jugement contre tous les accusés. Cette proposition adoptée, ils sont au nombre de vingt-neuf, traduits devant le bureau, l’un après l’autre ; confrontés rapidement avec les témoins, ils sont renvoyés sur un banc où on les fait asseoir. Après cette espèce d’appel nominal pur et simple, le président demande à MM. Sapey et Mallein, s’ils veulent prendre la défense des accusés qui n’avaient pas de conseil.

Alors furent reproduites les observations sur la nécessité de conférer avec les prisonniers, et de faire entendre, au besoin, des témoins à décharge. C’était un droit qu’on ne pouvait leur dénier ; mais le président interrompant de nouveau celui qui parlait, et interpellant avec grossièreté les deux avocats, leur enjoignit de répondre oui ou non ; puis, après leur avoir déclaré qu’il n’admettait aucun retard ni aucune autre discussion que celle du fait matériel de l’accusation, il ajouta qu’il allait nommer d’office à tous les accusés non pourvus de conseil, un soldat pris au hasard.

La suite demain…

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