La Revanche du passé – Histoire de Noël 4/7

LA REVANCHE DU PASSÉ – HISTOIRE DE NOËL 4/7
Un roman court de Guy D’Eyliac
Hébergé, au cours d’un orage, par un vieux montagnard de l’Oisans, Jean Renaud est bouleversé par un récit de son hôte, son ancêtre, colporteur, était peut-être un criminel ! 

Source Gallica : Revue Guignol – cinéma des enfants
Date d’édition : 6 janvier 1935

Autre récit :
Huit jours sur un glacier

LA REVANCHE DU PASSÉ  1/72/73/7 – 4/7

CHAPITRE IV
LE COFFRET DE CERISIER

— Mon pauvre Jean, tu es un fameux animal ! dit Olivier avec conviction en voyant son camarade se laisser choir sur une chaise d’un air accablé.
À ces paroles inattendues, Jean releva la tête.

— Tu t’imagines que c’est drôle, alors, de découvrir que l’on est l’arrière-petit-fils d’un criminel ?
Le ton était tragique. Olivier se fit conciliant :
— Bon. Admettons que tu aies découvert cela, en effet. Est-ce de ta faute ?
— Non, bien sûr, mais ce n’en est pas plus réjouissant pour ça. Et ces objets que je dois restituer ! Comment veux-tu que je me présente maintenant devant Mme de la Clos-Perrière, moi, l’arrière-petit-fils de… de…
— Toi, l’arrière-petit-fils de l’assassin de son grand-oncle ? C’est ça que tu veux dire, n’est-ce pas ? Avoue qu’elle est compliquée, ton affaire !
— Olivier, je ne te comprends pas. Tout cela n’a vraiment rien de drôle et on dirait que ça t’amuse prodigieusement.
— Cela m’amuse de voir comme tu t’emballes et comme tu dramatises tout. Tiens ! Il faut que j’aille faire une course avant dîner. Pendant ce temps-là, tu vas vider nos sacs dans l’armoire. N’est-ce pas que nous serons bien dans cette grande chambre ? Eau courante, vue sur les montagnes. Décidément, il faudra que je recommande l’Hôtel des Grandes Rousses à mes amis.
Et Olivier sortit de la chambre en sifflotant. Parvenu sur la route, il partit d’un bon pas vers la maison d’Antoine Guillot. Tout en marchant, il monologuait en lui-même :
« Ce pauvre Jean ! Je ne peux guère lui confier maintenant toutes les idées qui me sont venues tout à l’heure.
Il me traiterait de fou ou d’idiot et nous ne serions pas plus avancés. Mieux vaut agir seul et ne le mettre au courant que le plus tard possible. »
Parvenu devant la demeure du gardien, il frappa deux coups à la porte.
— C’est encore moi, monsieur Guillot. Je vais vous expliquer ce qui m’amène. Je songe à écrire une histoire de l’Oisans, un gros volume. Et, pour cela, je voudrais que vous me donniez très exactement tous les détails que vous possédez sur la conspiration Didier.
— Ah ! c’est pour cela. Aussi, je me disais que ça vous intéressait bien, cette histoire ! Entrez, monsieur, entrez.
Je ne pourrai peut-être pas vous en dire très long, mais il y a quelqu’un dans le pays qui vous en donnera, des renseignements ! C’est un certain Oudouard, Ordouard, je ne sais plus bien. Je tâcherai de connaître où il demeure.
Il vous causera de ça mieux que moi. Son père était fermier chez les La Clos-Perrière. C’est lui qui a fait évader le garçon.
Lorsqu’il rentra à l’hôtel, Olivier se frottait les mains avec satisfaction. Il dîna joyeusement, comme quelqu’un qui vient d’apprendre une heureuse nouvelle. Sa physionomie, au cours du repas, contrastait avec le visage de Jean, sombre et muet.
Quand ils furent remontés dans leur chambre, pressés tous deux de goûter un repos bien gagné, Olivier interrogea à brûle-pourpoint :
— Jean, mon vieux copain, comment s’appelait ton arrière-grand-père ?
— Jean Renaud, comme moi. C’est un nom que l’on se passe de père en fils, chez nous.
— Pour quelle raison ?
— Parce que mon bisaïeul y tenait beaucoup. Il répétait souvent qu’il était arrivé en Belgique avec son nom pour tout bagage et que c’était là le seul patrimoine qu’il jugeait nécessaire de léguer aux siens. Mon grand-père, et après lui mon père ont respecté sa volonté.
— Jean, mon vieux Jean, tu ne peux pas t’imaginer comme tu me fais plaisir en me racontant ça.
— Vraiment ? grogna Jean toujours sombre. Explique-moi pourquoi si tu veux que je partage ta joie.
— Mais… réfléchis donc ! Quand on tient tellement à laisser son nom à ses descendants, c’est que ce nom est propre. Je t’assure, Jean, que tu as grand tort de suspecter ainsi ce vieillard dont les cendres reposent dans la terre depuis tellement d’années. Tu le regretteras, je te l’affirme !
Jean haussa les épaules et commença de délacer ses souliers. Olivier, redevenant sérieux, intervint :
— Mon cher, si tu étais raisonnable, tu écrirais ce soir même à ta mère pour lui demander de t’envoyer le coffret et son contenu. Songe qu’il te serait fort utile d’avoir ces objets sous la main.
— À quoi bon, puisque j’aime mieux ne pas aller les rapporter moi-même il sera tellement plus simple de demander à Antoine Guillot l’adresse actuelle des la Clos-Perrière. Dès mon retour en Belgique, je leur expédierai le tout avec une lettre explicative.
— Tu recules, mon vieux ; tu as tort !
De guerre lasse, Jean céda aux instances de son camarade. Il écrivit à sa mère un mot rapide, puis, se renfermant dans un silence farouche, il se mit au lit, sans échanger une seule parole avec Olivier.
Le lendemain et les jours suivants ne comportèrent qu’une visite plus complète du Val d’Olle et quelques promenades autour du village. Jean était très nerveux.
Il craignait fort de ne pouvoir pousser plus loin ses recherches. Les éclaircissements formels qu’il aurait tant désiré recueillir sur les étranges événements du plateau d’Emparis, nul ne pourrait les lui fournir sans doute.
À la pensée qu’il lui serait impossible d’acquérir une certitude quant à la culpabilité ou l’innocence de son bisaïeul, Jean s’arrachait presque les cheveux de désespoir.

Ce qui portait à son comble l’énervement du jeune homme, c’était l’attitude d’Olivier. Celui-ci, gai comme un écolier en vacances, avait toujours une chanson aux lèvres, une expression joyeuse au fond des yeux. Jean, qui jugeait cette gaîté fort intempestive, aurait boxé son camarade.
Or, un matin, Jean Renaud, assis dans le jardin de l’hôtel, lisait une lettre de sa mère lui annonçant l’envoi du coffret, lorsqu’il fut distrait par l’arrivée de l’autobus de Rochetaillée qui s’arrêta devant l’hôtel. Cet autobus assurait chaque jour la correspondance avec les cars de Grenoble et ceux de la Grave et de Bourg-d’Oisans. Jean dressa l’oreille en entendant l’exclamation d’Olivier qui se tenait debout sur le seuil de l’hôtel.
— Comment, toi, Jacqueline ?… Et les Blanchel !… En voilà une surprise !…
Jean, furieux, enfouit sa lettre dans sa poche et s’avança sur la route. En le reconnaissant ainsi qu’Olivier, Jacqueline Champieux leva les bras au ciel :
— Ils étaient là !… Et nous qui les croyions partis pour la Barre des Écrins ou pour la Meije ! C’était bien la peine, vraiment, de nous perdre en suppositions tragiques sur leur compte !
— Jean et moi avions tout bonnement le désir de jouir du calme et du repos que l’on goûte dans la vallée de l’Eau d’Olle, expliqua Olivier un peu gêné.
— Vous ne nous ferez pas avaler ça, Olivier ! protesta Simone. Avouez-nous franchement que nos excursions bien « pépères » ne vous suffisaient pas. C’est pour cela, n’est-ce pas, que vous nous avez faussé compagnie ?
— Pas du tout ! affirma Jean. Depuis que nous sommes ici, nous n’avons pas quitté la vallée de l’Olle. Ainsi,
c’est vous dire !
— Bien vrai ! Vous n’êtes même pas montés jusqu’au glacier des Rousses ? Vous n’avez même pas fait la Croix de Belledonne ?
— Pensez-vous ? Nous n’avons pas bougé d’Allemont !
C’est à peine si nous nous sommes promenés hier matin dans le village d’en haut.
— Alors toi, Olivier, le grand alpiniste de la famille,
tu passes tes journées dans un jardin d’hôtel comme un bambin ? Non, tu ne nous feras pas croire ça !
— Tranquillise-toi, ma chère. C’était bon pour quelques jours. Mais, puisque vous voilà, les Blanchel et toi, nous allons en profiter et faire quelques petites ascensions d’ici notre retour.
M. Blanchel et sa fille étaient montés dans leurs chambres. Jean achevait la lecture de sa lettre. Jacqueline se rapprocha d’Olivier :
— Sérieusement, Olivier, je ne comprends rien à ton départ brusqué avec Jean Renaud. Avoue que c’était bien peu aimable pour nos amis. Surtout du moment que nous vous retrouvons là, occupés à ne rien faire !
— Écoute, Jacqueline, j’avais vraiment envie de me reposer. Ce n’est pas la peine de hausser les épaules, tu sais ! Toi, tu n’as quitté Grenoble qu’après le 15 août avec les Blanchel, pour visiter l’Oisans. Mais tu oublies que, lorsque je suis venu vous rejoindre à Bourg-d’Oisans, j’avais déjà passé un mois en Savoie et, là-bas, je m’en étais donné, en fait d’ascensions, je t’assure !
— Hum ! tout ça, ce sont des prétextes, mon cher, rien que des prétextes ! La vérité est que vous vous entendez comme larrons en foire, et que notre arrivée vous contrarie beaucoup, Jean et toi ! Avoue-le !
— Quelle idée !…
Ce fut au tour d’Olivier de hausser les épaules. Puis, saisissant la valise de sa sœur, il traversa le jardin et pénétra dans l’hôtel afin de couper net la discussion.
Cette arrivée inattendue fut une heureuse diversion pour Jean tout au moins, qui dut cesser de se morfondre et se prêter de bonne grâce aux distractions quotidiennes qu’organisaient les jeunes filles et surtout Olivier. Il fit plusieurs excursions aux environs d’Allemont, admira le superbe panorama qu’offre la vallée de l’Eau d’Olle lorsqu’on la contemplé des pentes des Rousses et de Belledonne. Il avait si bien oublié l’obsession des premiers jours qu’il fut vraiment surpris lorsqu’un matin,
à l’heure du courrier, Jacqueline appela sous ses fenêtres :
— Jean ! Un paquet pour vous ! Il y a une signature !
Jean dégringola vivement l’escalier et prit le colis des mains du facteur. Cela venait de Belgique. La physionomie du jeune homme retrouva tout de suite le pli soucieux qu’Olivier connaissait bien. Ce dernier rejoignit Jean dans sa chambre.
— C’est le coffret, n’est-ce pas ? Peut-on voir les objets ?
— Tiens, mon vieux, regarde !
Jean tendait un coffret de cerisier très simplement ouvragé. Olivier l’ouvrit et déballa les différents bibelots soigneusement enveloppés de papier de soie. Il y avait une chevalière en tout semblable à celle de l’Emparis, mais seulement un peu plus grosse. Le nécessaire en ivoire délicatement travaillé — un vrai bijou — contenait dé, ciseaux, poinçon, etc., en or fin. Olivier hocha la tête :
— Oui, c’est bien le blason des la Clos-Perrière que je vois répété sur le dé d’or et sur la chevalière : De gueule au chevron d’azur accompagné de trois étoiles d’argent. Sais-tu que ce sont là, sans doute, de précieux souvenirs pour cette famille ?
— Sûrement. « Celui de la conspiration Didier » avait dû les emporter en fuyant. Et puis, mon arrière-grand-père…
— Ton arrière-grand-père a eu d’étroites relations avec ce La Clos-Perrière-là ! Ça me paraît certain. Maintenant, il reste à déterminer lesquelles ! répondit Olivier avec calme.
Tout au fond du coffret, il trouva la vieille enveloppe jaunie dont le cachet portait également les armes des la Clos-Perrière.
— Tiens ! L’enveloppe ! Tu m’en avais parlé aussi, mais je l’avais bien oubliée ! Voyons son contenu. Tu permets ?
— Bien entendu. Tu vas voir, elle est insignifiante, cette lettre !
Olivier sortit avec précaution de l’enveloppe une feuille de papier fripée, aux coins usés. Il déchiffra à haute voix ce qui suit :
« Mon cher ami, » malgré toutes les difficultés ordinaires dans de pareilles affaires, nous avons enfin terminé. On est d’accord sur tout et on ne s’occupe plus à présent que de la noce qui est fixée à dimanche. Nous vous invitons à nous faire le plaisir d’y venir ; nous comptons sur vous et vous devez être bien persuadé qu’en amenant vos amis vous nous ferez d’autant plus de plaisir que vous serez plus nombreux. Comme la fête doit être — je vous l’avoue — sans façon, vous nous ferez plaisir si vous apportez quelques provisions (V. Louis Cortès : L’Oisans). »
— Drôle d’invitation, ma foi ! s’écria Olivier. Dis donc, je ne me doutais pas qu’on avait déjà inventé les surprises-parties dans ce temps-là. En tous les cas, le La Clos-Perrière, qui a écrit ça, était bien ladre !… De si grands seigneurs pouvaient, il me semble, offrir le vivre et le couvert à leurs invités ! surtout à l’occasion d’une noce !…
— Jean, tu rêves et tu n’écoutes même pas ce que je te dis. Que comptes-tu faire de ces objets ?
— Les expédier comme j’en avais l’intention. Antoine Guillot m’a donné l’adresse de Mme de la Clos-Perrière, à Annecy. Tu penses bien que je ne vais pas courir là-bas !
— Tu as tort. Annecy n’est pas si loin de Grenoble et la promenade en vaut la peine. Et puis, songe donc ! Si l’on a fait de sérieuses recherches au sujet du disparu, personne ne sera si bien au courant que, Mme de la Clos-Perrière.
— Non, non, je n’entreprendrai certainement pas ce voyage, si simple soit-il.
— Alors, pourquoi ne t’arrêterais-tu pas à Annecy en repartant pour la Belgique ?
— Olivier, c’est inutile. Tu ne me feras pas changer d’avis. Dès demain, j’expédierai les objets, j’écrirai ma lettre ; et je te jure qu’après cela, j’aurai un fameux poids de moins sur le cœur !
— Demain, tu n’auras pas le temps, nous faisons le lac Blanc.
— Vous le ferez sans moi. Je ne tiens pas du tout à cette promenade.
— Idiot, va ! Si tu crois que ça changera quelque chose à ta situation que de jouer au moine cloîtré !
Jean ne répondit pas. Il s’était assis devant sa table et commençait un brouillon de lettre. Olivier sortit de la pièce en grommelant des épithètes peu flatteuses à l’adresse des gens « qui s’imaginent un tas de sornettes et ne veulent pas voir l’évidence ».
Jean encaissa les qualificatifs sans comprendre l’allusion. Il poussa un soupir de soulagement lorsque la porte de la chambre lui apprit, en claquant vigoureusement, qu’il était seul. Alors il s’absorba dans la tâche épineuse d’expliquer à Mme de La Clos-Perrière les circonstances au cours desquelles il avait découvert le coffret de cerisier.

La suite demain… 

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